Jacques : « J’ai choisi de faire des œuvres qui, à mes yeux, défoncent »

Photo de couverture : ©D.R
Le 18.12.2019, à 16h40
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Deux ans après s’être fait cambriolé son studio et avoir quitté le paysage médiatique pour s’installer au Maroc, Jacques est de retour. Ce mercredi 18 décembre, l’artiste publie une vidéo complètement loufoque, qui met un point final à sa retraite et confirme ceci : Jacques est incapable de ne rien faire. Il fait le point.

Jacques is back. En 2017, juste après le cambriolage de son studio, l’un des artistes les plus prolifiques et appréciés de la scène électronique française décidait de se retirer du paysage médiatique, de faire ses valises et de partir s’installer au Maroc, d’où il était bien discret. Discret, mais pas totalement inactif, puisqu’on l’a vu collaboré sur différents projets, notamment avec Salut c’est cool, Superpoze, Agoria ou même Gucci. Mais c’est ce mercredi 18 décembre – jour de son anniversaire – que Jacques refait surface franchement et en son nom, en publiant une vidéo digne d’un court métrage : “Hoohoohoo Hahaha”. L’occasion de s’entretenir directement avec lui sur son absence, son retour et ce qu’il présage.

Comment ça va au Maroc ?

Ça va très bien, je suis perché dans une montagne occupé à me faire des bonnes bouffes et jouer avec mes oreilles.

Il y a deux ans tout pile, ton studio se faisait cambrioler et tu décidais de quitter la scène pour faire une pause. Que s’est-il passé et comment les choses ont-elles évolué depuis ?

J’ai racheté du matos pour partir en Chine, honorant les quelques concerts qui y étaient prévus avant mon cambriolage. Ensuite je suis allé m’installer au Maroc dans une maison que je loue et dans laquelle j’ai fait un mon humble studio. J’ai écouté beaucoup de Thinkerview, maté des tutos de mixage son sur Ableton et de montage vidéo sur After Effects. Je n’ai pas fait d’études supérieures alors j’essaye de faire ma propre université à la maison. J’ai arrêté de répondre à la plupart des propositions qui s’offrent à moi pour me concentrer sur les projets que j’ai vraiment envie de réaliser, ça peut être des idées de chansons, comme des idées de dessin, de vidéo, de petites histoires, d’installations sonore, tout ce qui me passe par la tête. J’ai bossé sur un morceau de Basile di Manski “Before The World”, j’ai participé à l’album de Salut c’est cool Maison, j’ai fait une vidéo avec Cloé Bailly pour GQ England, la musique de la pub LEGO avec Flavien Berger, la bande son du dernier défilé Gucci, mais j’ai surtout fait beaucoup de musique pour moi-même, tel le cuisinier se faisant un petit plat en pers.

Est-ce que la scène te manque ?

Mon expérience de la scène a été très diverse. J’ai joué dans des festivals tout comme dans des galeries, dans des club techno, salles de concerts, musée, église, ring de boxe, piscine, radio, container, soirées de marque, etc… Rares ont été les fois où les conditions d’un bon moment de live étaient réunies, ce qui explique peut-être pourquoi la scène ne me manque pas trop. Par contre j’ai toujours très envie de vivre et faire vivre des moments musicaux avec beaucoup de gens en même temps et le son très fort ! Mais j’attends patiemment le jour où il y aura un public suffisamment désireux de me voir pour que ma team soit en mesure de proposer un vrai cadre sympa pour les gens et pour moi. Choisir les salle, l’horaire, le prix de l’entrée, les conso, le timing etc… Je voudrais que mes futurs concerts ne soient pour moi ni un acte de promotion, ni un moyen de rentrer du biff, mais simplement une pause musicale qui se vit intensément à plusieurs. Le genre d’énergie que tu peux trouver dans une bonne messe, un cours de danse dans la rue, ou une manif.

Pourquoi avoir choisi ce format vidéo pour ton retour ?

Je ne sais pas, ça s’est fait comme ça. Et c’est justement parce que je l’ai fait spontanément que je considère que c’est digne de votre attention. Ce que je fais par choix est souvent inconsciemment influencé par les préjugés que je peux avoir sur l’attente du public imaginaire qui peuple mes pensées. Comme s’il y avait une certaine musique que je suis censé faire. Ces réflexions là sont inhibantes et ce n’est qu’en m’éloignant de la ville et du web que je réussi à m’en libérer. En vrai s’il y a quelque chose que j’ai choisi, c’est de faire des œuvres qui, à mes yeux, défoncent. Après ça le format, s’impose de lui-même, je suis ouvert à tout.

Quel est le message de cette vidéo ? Que raconte le morceau ?

La vidéo et le morceaux vont complètement de pair mais pour info : la vidéo a été pensée sur la musique et pas l’inverse. Je précise parce que pour moi cette musique est une petite œuvre évidemment hors format mais néanmoins chargée d’une émotion qui me touche beaucoup telle quelle. C’est pas un track à balancer en soirée comme ça, à moins de vouloir péter l’ambiance, mais quand même je l’ai bossé non pas comme une B.O. pour la vidéo mais bel et bien comme un morceau appartenant à un style de musique capricieux, ingrat, fuyant mais définitivement loyal et sincère auprès de ceux qui lui donnent de l’attention.

La vidéo parle du sentiment d’être incapable d’exprimer l’urgence que j’ai au fond de moi. Et elle parle aussi de comment cette urgence fini par se dissiper, non pas en l’exprimant, mais en arrêtant d’alimenter ses causes. Donc pour les professionnels du mind-fuck je dirais que cette vidéo exprime l’urgence de comprendre que ce n’est pas en exprimant l’urgence que cette dernière finira par se dissiper, mais bel et bien en travaillant sur soi-même pour arrêter d’alimenter l’existence de cette urgence. Allez c’est deep mais ça vaut le coup d’essayer.

Comment le clip a-t-il été pensé ? Quelles sont les personnes qui y ont participé ? Comment t’ont-elles aidé ?

J’ai reçu une proposition de participer à l’expo Électro de la Philharmonie de Paris, ça m’a d’abord plutôt flatté même si j’étais chaud de refuser pour me concentrer sur mon projet de ne rien foutre. Puis je me suis persuadé que c’était l’occasion d’honorer d’une part mon envie de faire une installation sonore avec Valentin Guillon, d’autre part mon autre envie de donner une suite à Phonochose #1 avec Theophile Boutin. Donc banco ils sont tout les deux venus au Maroc et on a bossé pendant deux semaines sur la vidéo qui a été projetée à l’expo Électro. Et maintenant je peux le dire, ce que certains d’entre vous on vu à l’expo n’aura été qu’une version de travail de la vidéo qui est enfin sortie sur le net. On a décidé de continuer de gaffer la vidéo après l’expo, et j’étais naïvement convaincu que j’allais réussir à faire tous les effets spéciaux moi-même sur After Effects. Seulement la courbe d’apprentissage d’After Effects ressemble davantage à celle du saxophone qu’à celle de la guitare électrique en ce sens qu’un débutant à la gratte pourra facilement monter un groupe de rock, tandis qu’un débutant au saxo pourra facilement casser les oreilles de sa famille et surement pas enregistrer un solo qui tienne la route. Et c’est ainsi que j’ai fait appel à Alice Kunisue et Sylvain Fernandez pour aller au bout des compositions visuelles que j’avais entamées.

Peux-tu nous parler de l’installation avec laquelle le morceau a été composé ?

J’avais acquis un système de percuteurs automatiques pour un projet qui n’a jamais vu le jour et depuis, j’ai toujours eu envie d’en faire une installation avec mon pote Valentin Guillon ; on parlait d’un truc qui ressemble à une ville miniature avec tout le câblage comme des poteaux électriques et les différents modules comme des immeubles aux formes d’objets. Et finalement c’est bien ce qui s’est passé, et c’est toujours tel quel dans mon garage que l’on voit dans la vidéo. Chaque note du clavier déclenche la percussion d’un objet dans l’installation. Il y a des verres, une saucière, un cone de glace métallique, des plaques de verre, des bonbons de hong kong, une grille, un bac en metal, des gourdes en plastiques, on avait prévu plus d’objets mais il y a pas eu le temps. Sans doute qu’à l’avenir avec Valentin on se donnera les moyens d’en faire un gigantesque. Là j’ai seulement 32 percuteurs mais si on chope deux autres systèmes on pourrait commencer à faire un truc grandiose. Voilà, donc j’ai enregistré l’installation puis j’ai composé le morceau à partir de ces bruits, comme à mon habitude, mais sans tempo.

Le communiqué de presse de la vidéo parle de challenges personnels : « se libérer de la gravité, accéder à de nouveaux univers grâce à la créativité, s’immuniser de la flatterie »… Comment affrontes-tu ces challenges au quotidien ?

Je vois la vie comme un challenge car à chaque instant devant chaque situation, j’ai toujours une option A, la facile qui amène à profiter temporairement, et puis il y a une option B, la galère qui demande plus d’efforts mais qui permet d’avancer vraiment. Le challenge est de réussir à vivre suffisamment consciemment pour être capable de discerner la A de la B, et si possible, choisir la B à chaque fois. Et franchement c’est pas toujours évident parce que les options se ressemblent. Je parle du fait de faire la vaisselle direct avant que ca s’entasse, ou d’être honnête avec une personne qui abuse avant qu’elle n’abuse vraiment. À toutes les échelles j’ai les deux options.

Dans ma situation, l’option facile serait de claquer un album suffisamment cool pour provoquer une vague de hype. Puis faire une tournée, de préférence des DJ sets pour empocher la thune à moindre frais, et en parallèle, accepter tous les plans pub sans efforts, en faisant bien attention que ca n’entache pas trop mon image de marque. Tu fais ça tous les 3 ans et t’es au max, au bout de 2/3 albums t’achètes un appart’ ou une maison à la campagne, et puis après t’as plus qu’à sortir un morceau par ci par là, poster une tof sur Insta à chaque fois que t’as l’impression de vivre un moment stylé, et surfer sur le souvenir de toi-même pour aller re-cachetonner un petit coup quand t’as envie de partir en vacances ou acheter une caisse. Partout où tu vas on te dit que t’es génial, t’es invité en soirée, les marques te filent des produits gratos… Voilà ce qui commençait à m’arriver et que j’ai fuis en partant au Maroc. Et même si les sirènes continuent de chanter, j’essaye au mieux de rester éveillé pour que chacune de mes interventions restent animées par un vrai désir de partager quelque chose avec les gens ; et jamais un simple moyen de continuer à tirer mon épingle du jeu sous prétexte que ça ne dérange personne.

Le 18 décembre c’est ton anniversaire. Quel est ton cadeau de rêve ?

Tu vois dans le clip il y a un moment où je saute dans le public qui éclate en mille morceaux. C’est une façon de dire que le jugement des autres, qu’il soit bon ou mauvais, n’est qu’une illusion temporaire sans réelle consistance, et ainsi n’est pas vraiment digne d’attention. Et bien malgré ça, je vais pas te mentir, pour mon anniv je serais content que les gens kiffent ma vidéo ! Après si certains d’entre vous veulent m’offrir des livres j’ai fait une liste là :

2020 annonce-t-il le grand retour de Jacques ? Quels sont tes prochains projets ?

TMTCQMMJCP (Toi-même-tu-sais que moi-même-je-sais-pas) 😉

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