Cette année, pour la première fois vous avez choisi de participer à la Techno Parade, événement que vous avez fortement contribué à lancer. Est-ce une joie, pour vous, de pouvoir défiler sur votre char ?
Jack Lang : Oui c’est un motif de joie et de plaisir. Dès ma nomination à la tête de l’Institut du Monde Arabe (IMA), j’ai souhaité ouvrir les programmations et les activités de l’IMA aux musiques d’aujourd’hui, car elles en étaient totalement absentes. Cela concerne aussi bien les musiques électroniques, le rap, comme toutes les formes de musiques contemporaines. Ce changement a été opéré aujourd’hui au travers des événements Arabic Sound System. Il me paraissait donc tout à fait légitime que l’IMA soit présent à Techno Parade, sur un char conçu et co-produit avec Trax, un magazine qui a la compétence et la connaissance de proposer une qualité à fois esthétique et musicale.
A la programmation, on souligne la nouvelle scène des musiques électroniques arabes se mélange à des artistes reconnus, comme Sofiane Saidi qui est un chanteur de raï.
Ce qui est merveilleux, c’est cette programmation assez étonnante. Chacun des DJ’s apportera un talent, une force, une originalité. Et le clou, c’est vrai, c’est Sofiane Saidi en fin de journée. On l’appelle le prince du raï ! Il a merveilleusement remis cette musique sur le devant de la scène. Je suis un amoureux du raï. C’est un genre populaire, vigoureux, profondément ancré dans l’histoire et dans le présent. Et lui réussit, sur des compositions électroniques de diverses formes, à nous promener dans le temps, dans l’histoire, dans le présent, pour nous faire vivre la grandeur de la musique algérienne.
Vous organisez une after party ensuite à l’IMA, sur la terrasse et dans la salle du haut conseil. On pourra vous y voir danser tardivement ?
Je me réjouis par avance d’y être. Je n’y vais pas pour me montrer, mais pour le plaisir d’y être. Si j’y danserai, je n’en sais rien par avance.
Il me semble que l’esthétique du char est passée plusieurs fois sous vos yeux attentifs. Pourriez-vous nous dire un mot sur ce qui a été choisi comme direction et votre implication ?
Je ne suis pas un artiste ou un créateur, mais je tenais beaucoup à ce que ce char soit d’une esthétique rejoigne l’identité de l’IMA : simple, rigoureuse, et colorée. L’idée était aussi que le char, qui portera à la fois le nom de Trax et le nom de l’IMA, soit une célébration de l’ensemble des pays arabes. Les 22 drapeaux de chacun des pays de l’Institut seront brandis par les participants, ainsi que le drapeau français. C’est une manière d’affirmer que nous croyons au métissage. La France est un pays qui est profondément enrichi par les cultures de tous les horizons du monde, spécialement des pays du Sud. Des citoyens, des créateurs, et des inventeurs qui par leurs parents, leurs grands-parents, sont liés au Maghreb, à la Syrie ou à d’autres. aa Quand je pense que pendant des années, la musiques électronique a été présentée comme la musique du diable, de la violence, alors qu’il y a peu de musiques qui soient à ce point favorables à la tolérance, à l’amitié, à l’ouverture d’esprit… La Techno Parade c’est ça aussi : un appel à la tolérance et à l’exaltation de la mixité et du métissage.
Sur le char comme à l’after party à l’Institut du Monde arabe s’exprimera une jeunesse française issue de parents arabes. Dans leurs musiques, ils reprennent cette identité arabe, dans les éléments, les instruments, les mélodies, les chants traditionnels, jusque dans leur pseudonymes. Que pensez-vous de cette fierté renouvelée par cette jeunesse qui renoue avec ses origines ?
J’en suis spécialement heureux. J’ai longtemps rêvé du jour où l’on pourrait créer un événement qui s’appellerait “Arab Pride”. La France est liée à l’Orient et au monde arabe depuis des siècles. C’est une richesse, pas seulement sur le plan artistique, mais aussi sur le plan scientifique, humain et politique.
La techno parade a failli ne pas se faire cette année. Pourquoi la soutenir encore après tant d’années, alors que l’on voit le genre s’imposer dans la sphère publique ?
J’ai souhaité que la Techno Parade existe en m’inspirant de la Love Parade de Berlin. La musique électronique doit conquérir le droit circuler à l’intérieur de la ville. Certes, l’urgence n’est plus la même qu’il y a 20 ans, mais il faut reconnaître qu’en ce moment, il y une résurgence de certaines formes de rejet. Ce qu’il s’est passé à Nantes pour la fête de la musique continue personnellement à me toucher énormément. Je ne sais pas quelles étaient les motivations de cette présence policière, dans ce jour devenu désormais sacré pour les Français. Au-delà, la Techno Parade est aussi l’occasion de prendre le pouls de l’évolution de la musique électronique en France. Renoncer à la parade techno cette année aurait été une forme de défaite.
Est-ce pour cette raison que vous avez accepté l’invitation d’Anne Hidalgo au déjeuner qu’elle organisait la semaine passée avec une dizaine d’artistes ?
On m’a invité, il n’y avait pas de raison de ne pas venir. Les semaines précédentes, j’ai eu l’occasion de la convaincre de soutenir le club Concrete en danger. L’idée était d’échanger pour sauvegarder la créativité, l’essor des concerts, obtenir éventuellement des transformations de la réglementation. Mais peut-être faudra-t-il aussi s’adresser à l’État. Sont sortis de ce déjeuner des projets très intéressants qui méritent d’être développés, comme par exemple un lieu où la transmission des savoirs pourrait s’opérer, et faire le lien entre l’histoire et le futur. Les pouvoirs publics doivent reconnaître en pleine dignité toutes ces formes de musiques qui appartiennent au patrimoine national.
Mme Hidalgo est en campagne pour les municipales de manière active. Votre présence à ses côtés est-il synonyme de soutien ?
Je suis en campagne pour la liberté musicale, pour la musique électronique, pour l’art, pour la culture. C’est la campagne la plus importante, déterminante de tout le reste. Alors peut-être suis-je un peu naïf, mais je suis présent à ses côtés en tant que militant de la culture, de la musique électronique et de l’art contemporain. Même si j’ai mes propres idées profondément ancrées en moi.