Figure de proue de la scène hardcore depuis plus de 20 ans, The Speed Freak s’amuse à travers ses albums et ses alias à déconstruire le genre afin d’y instiller de multiples influences. Semant du dub ou de la world-music dans ses compositions, l’allemand raconte le temps d’une interview le parcours qui l’a mené jusqu’à son septième et dernier album, What The Freak ?!. Entre temps, Martin Damm — pour les intimes — nous offre sa vision acérée de la scène hardcore. Instructif.
English version below
280 références, tous styles et formats confondus, deux disques d’or, 20 ans de carrière et presque deux fois plus d’alias : The Speed Freak est devenu une référence incontournable en matière de musique électronique, mais surtout en terme de hardcore. Il revient l’année avec son 7ème album WTF!? pour What The Freak!?, aux antipodes des compositions sombres et industrielles de ses débuts. Le producteur, qui réinvente constamment le genre au fil de sa musique dure, mais colorée et pourvoyeuse d’énergies libératrices, s’impose une fois de plus comme le chantre allemand d’un son hardcore plein de nuances.

Comment avez-vous découvert la musique hardcore ? Vous écoutiez quoi quand vous étiez gamin ? Déjà des BPM énervés ?
J’étais un adolescent dans les années 80, et à cette époque le hardcore n’existait pas encore. Mais j’ai grandi en écoutant de la musique expérimentale de ces années là : 80´s EBM, Industrial, Noise. Je me suis lancé dans une collection de vinyles en 1982 : j’en ai maintenant une collec conséquente de 14 000, du disco des années 1970, en passant par tous les styles des années 80 et la techno, arrivée plus tard. En fait je peux me targuer de dire que j’ai dans ma collection toute l’évolution de la techno ! En ce qui concerne le hardcore, quand les premières sorties de hardcore ont eu lieu sur des labels allemands comme Industrial Strength (label de Lenny D, autre monstre sacré du genre, ndlr) ou PCP, je me suis moi-même mis à produire. Finalement je suis dans la scène depuis le tout début.
Je suis dans la scène hardcore depuis le tout début.
Comme vous avez exploré de nombreux styles, avec The Speed Freak, mais aussi avec vos très nombreux alias, j’aimerais connaitre votre relation à la musique, mais surtout à l’exploration de celle-ci.
Je vis avec la musique depuis ma naissance. À 4 ans, j’ai commencé le piano — éducation classique, j’ai même joué de l’orgue dans une église à une époque — j’ai appris à jouer de la guitare, mais je n’aimais pas parce que le son me semblait limité. Plus tard, quand j’ai commencé à gagner de l’argent à la fin des années 1980, j’ai acheté de l’équipement électronique pour produire ma musique. Le mélange des styles est très important pour moi. A mes yeux, c’est ce qui garantit l’évolution de la musique électronique. Bien qu’il semble normal de préférer une musique plutôt qu’une autre, je pense qu’il vaut mieux éviter. Il y a tellement de styles de musiques électroniques, avec des éléments qu’il reste encore à explorer. Donc, non, je ne suis pas complètement “hardcore” sur mes productions. J’aime utiliser le hardcore comme base afin d’y ajouter des éléments d’autres styles de musique par dessus.
Le mélange des styles est ce qui garantit l’évolution de la musique électronique.
Est-ce que vous connaissez bien la scène hardcore française ?
En ce moment il semble que la scène européenne offre une multitude de choses intéressantes en terme de hardcore. La scène hardcore européenne se porte très bien en ce moment. À propos de la scène hardcore française, j’ai remarqué qu’une nouvelle audience est apparue. Les soirées hardcore en France sont à présent bien plus énergiques qu’il y a quelques années. Et jouer en France est toujours une super expérience pour moi.
Et en ce qui concerne la scène allemande, là d’où vous venez ?
Je ne connais pas bien la scène hardcore allemande.
Pourquoi donc ?
Ce n’est pas fait exprès, c’est juste parce que je ne suis pas en contact rapproché avec les promoteurs de soirées allemands. Dans la région du Ruhr, il y a une immense scène hardcore, mais elle est ciblée gabber, c’est-à-dire pas vraiment mon style de hardcore, c’est pourquoi je ne suis pas hyper investi dans la scène de mon pays natal.
La scène hardcore se porte très bien en ce moment.
Vous aimeriez être plus investi dans la scène allemande ou ça vous est égal ?
Ça m’est égal et je n’y ai jamais vraiment pensé, c’est certainement pour cela que j’ai répondu aussi rapidement à votre question sur la scène allemande ! Pour moi, une part fondamentale de ma vie de musicien est de rencontrer des gens venus de pays différents, avec différents backgrounds, mais avec qui je partage le même amour de la musique.
Pouvez-vous décrire avec vos propres mots la teneur de votre dernier album, What The Freak ?! ? On y retrouve votre gout pour le mélange des genres.
WTF!? est mon premier long format depuis 2008, donc je me suis senti obligé d’amplifier mon concept de mélange des genres. Mon idée était de jouer plusieurs tracks de hardcore : de la hardtek avec “Much Higher”, du frenchcore avec “Zombies From Outer Space”, des tracks plus marrantes comme “Angry Speedbird”, d’autres plus rave avec “Maximum Frequencies”… Puis, j’ai enrichi l’album de sons pas du tout hardcore, comme “Time Is Bleeding” — un titre broken-beat qui se rapproche plus de l’electronica des années 90 que du
Crossbreed actuel — ou “Madworld”, plutôt acid.
Je ne vois pas un album comme une simple compilation de tracks, mais plutôt comme un concept global, qui peut aussi bien être écouté à la maison sans s’ennuyer. Un bon album devrait emporter l’auditeur dans un voyage qui le secoue de haut en bas, suivant le rythme des tracks. J’ai une certaine vision cynique du monde qui peut être décelée dans l’album WTF?!. En dépit des éléments comiques de certains tracks au premier abord, on peut voir en filigrane une critique de l’humanité (et du chemin qu’elle emprunte) si l’on écoute l’album de manière plus abstraite, si on lit entre les lignes. Je n’aime pas jeter un message à la face des gens, mais le message est bien là, dissimulé entre les lignes pour ceux qui prendront le temps de le chercher.
Il devient assez difficile de trouver des bons tracks dans le flot de sorties insignifiantes.
Depuis le temps que vous évoluez dans la scène hardcore, quels changements avez-vous remarqués ? Et comment d’ailleurs imaginez vous l’avenir de cette musique ?
Il y a constamment des changements, mais le plus gros impact jusque là a été le passage de la distribution classique aux ventes digitales. Quand la musique est devenue accessible en digital, non seulement le comportement des consommateurs a changé (aujourd’hui tout est disponible en streaming), mais en plus la production même de musique à été ébranlée : il faut impeccablement bien produire pour faire en sorte que le consommateur veuille posséder la version physique. Le versant positif de ce bouleversement du digital, c’est que désormais il est très simple pour n’importe qui de produire et distribuer ses propres tracks. Mais le coté négatif, c’est que tout le monde s’y met (enfin je crois), et il devient assez difficile de trouver des bons tracks dans le flot de sorties insignifiantes, parce que les magasins de vente en ligne sont pris d’assaut pas des producteurs amateurs qui proposent des sons standard.
Quels producteurs ou DJs vous inspirent aujourd’hui ?
J’ai beaucoup de respect pour les producteurs qui suivent leur propre façon de faire de la musique, et qui évitent les standards. Mais je dois avouer que je puise mon inspiration de musiciens qui ne font pas de hardcore, ou encore de B.O. de films (j’adore les soundtracks qui accentuent l’émotion que peut susciter une scène de film), par exemple celles de
Ennio Morricone. Il y a aussi les jeux vidéos, la politique, et de manière générale tout ce qui m’entoure.
Que répondriez-vous aux personnes qui pensent que le hardcore est de la pure violence ?
Je leur recommanderais de se rendre à une soirée hardcore pour qu’ils se débarrassent de leur préjugés. Oui le hardcore est uptempo et des éléments agressifs, mais il ne rend pas l’auditeur agressif. Le but est de leur donner un espace pour se purger de ses émotions grace à la musique.
Quel est votre public idéal ?
Déjà pour moi il n’y a pas de différence entre jouer sur une grosse scène ou une petite avec 200 personnes. Tant que l’audience est ouverte d’esprit et vive la musique, en fait tant que je sens de bonne vibes du public, je suis ravi de jouer.
La musique hardcore offre un espace pour se purger de ses émotions.
Bon, le meilleur pour la fin : comment expliquer la multitude de sous genres dans le hardcore ?
Haha, comme je l’ai déjà dit, il me semble naturel de préférer un certain style et de construire des murs virtuels autour afin de l’isoler des autres styles. Je trouve cela absurde. Les gens devraient plutôt s’ouvrir à parcourir un voyage musical, même s’ils écoutent quelque chose qui ne convient à leur genre favori. Je me souviens des années 90 quand je jouais dans des soirées illégales : nous jouions seulement de la “techno”. À cette époque, vous pouviez jouer du breakbeats, de l’acid, du early hardcore, de la rave, etc, et personne ne s’en plaignait car on appelait tout cela “techno”.
Quoi de neuf prévu pour la suite ?
Pas mal de choses pour les mois à venir ! En ce moment je produis “Mutations 02”, un EP pour Psychik Genocide sur Audiogenic, incluant la version actualisée de “Devastator” et de “Kicking Ass”. Je prépare aussi une collaboration intéressante avec un groupe de grincore nommé Grunt. Il y aura aussi deux EPs pour Absurd Audio, un mec signé chez Audiogenic, sur lesquelles il y aura de belles collaborations.
English Version :
How did you discover hardcore music ? What did you listened when you where young ? Already hardcore ? I was a teenager in the 1980s, so there was no hardcore at that time. Nevertheless i grew up listening to experimental electronic music (80´s EBM, Industrial, Noise). I started collecting Vinyls in 1982 and by now I have a nice collection of 14000 records, starting with 1970s Disco and going through all 80s styles and later techno. Basically I can say that I have the whole evolution of how techno came into existance standing in my record-shelf 😉 Regarding hardcore, when the first hard releases on Industrial Strength, PCP and some dutch labels appeared I pretty soon started producing myself. So I can say that I was already there when hardcore started.
As you explored many styles, with The Spead Freak but also trough your various aliases, I wanna know what’s your relationship to music and to music exploration : which style moves you most, how and why ? I have been living with music all my life. at age 4 i started a classic piano-education, even played the organ in a church for a while, learned to play the guitar (but did not like it because it seemed so limited in sound) and later, when i earned money in the late 1980s, I started buying electronic equipment and producing music myself. The style-mix is very important to me. In my eyes this is what keeps the evolution of electronic music going. Although it seems to be part of human nature to favourite a certain music-style and concentrate on that one, i feel this is wrong. there are so many styles of (electronic) music which have great tracks and elements and exploring them is very interesting to me. So, no, i am not the total “hardcore-head”, but for my productions i like to use hardcore as a basis to put elements of other styles of music on top.
Do you know well the French hardcore scene ? At the moment it seems that Europe in general has lots of new and interesting hardcore-producers coming up. the european hardcore-scene seems very healthy at the moment. About the French hardcore-scene i noticed that a new generation of audience has grown. The parties in France are right now much more energetic than ~ 3 years ago. For me right now playing in France is a great experience.
What about the german scene ? I am not much involved in the german scene, as i play mostly outside of Germany.
Why ? Is this a choice ? This is not on purpose, but simply because i have no close contact to german promoters. In Ruhr-area there is a massive german hardcore-scene, but this is concentrated on mainstyle-gabber, not really my type or style of hardcore, so I am not really involved there.
You wish you were involved into germanic scene because it is your birth place or you don’t mind at all ?
In fact, I don’t mind and never thought much about that, probably that’s why I answered your question so short ! To me part of what makes my life as a musician interesting is that I meet people in different countries with different backgrounds with who I have my love for music in common.
Could you describe in your own word what you meant with your last album What The Freak ? There’s a lot of mixed up styles. WTF!? is my first longplay-album since 2008, so i felt some pressure to emphasize my style-mix-concept. my idea was to display various styles of hardcore (Hardtek-like tracks like “Much Higher”, Frenchcore-tracks like “Zombies From Outer Space”, Fun-tracks like “Angry Speedbird”, Rave-tracks like “Maximum Frequencies”) and enrich the album with non-core-tracks like “Time Is bleeding” (a broken-beat-track which is closer to 1990s Electronica than nowadays Crossbreed) and “Madworld” (Acid). To me an album is not just a compilation of tracks, but something that has an overall-concept, that can be listened to at home without getting bored. A good album should take the listener on a ride and during this journey it should take him up and down, following the course of the tracks. I have a certain cynical view on the world which can be found in all of the WTF-tracks. Although some tracks seem to have funny elements at first look, you can see criticism of humanity (and the course it is going) if you listen on a more abstract level and read between the lines. i do not like smearing a message into people´s faces, but the message is there, hidden between the lines, if people care to look out for it.
Trough all this years you’ve been on the hardcore scene, which main changes did you notice ? How do you see the future of hardcore music ? There are constant changes, but the biggest impact so far was the change of music-distribution towards digital sales. when music became available digitally not only the behaviour of the consumer changed (nowadays nearly all tracks are available through streaming – people do not need to buy physical releases) as well as the production of music (you have to produce your tracks really well to make the consumer want to own a physical release). On the upside due to digital distribution it is very easy for everyone to produce his own tracks and spread them, but on the downside everybody really does this and (in my opinion) it is bothersome to find the good tracks among a flood of meaningless releases, because the online-stores are packed with hobby-producer-tracks which are sub-standard production-wise.
Which other producers or DJs inspire you most ? I have big respect for producers who go their own way with their music and try to avoid the standards. but i must say that i get inspiration from composers outside of the hardcore-scene, from Soundtracks (i love soundtracks that emphasize the mood of a certain scene in a movie just by the music), from the works of Ennio Morricone (Soundtracks again, but this man has such a good hand for melodies…), Videogames, politics and everything that happens around me.
What would you say to people who think hardcore is just mere violence ? I would recommend them to attend a hardcore-party to get rid of their prejudice. Yes, hardcore is uptempo and has aggressive elements, but not to make the listener go aggressive , but to give him a valve for letting out his emotions when dancing to this music.
Which public do you prefer and why ? For me it does not matter if i play on a big festival with a huge crowd or a small party with 200 people. as long as the audience is open-minded and goes with the music, as long as i feel the vibes in the audience, i am happy to perform.
Why is there so many subgenres in hardcore music ? Haha, like i said before : it seems part of human nature to find a certain style and build virtual walls around it to seclude it from other styles. In my opinion this makes no sense. people should be open-minded and ready for a musical journey, even if they listen to something that does not belong to “their” subgenre. i remember back in the early 1990s i played on illegal parties and we just played “techno”. back then you could play breakbeats, acid, early hardcore, rave, and so on, in one set and nobody complained because all of this was considered “techno”.
What’s next for you ? There is a lot coming up in the next months. Currently i am producing the “Mutations 02”-EP for Psychik Genocide (Audiogenic) – including updated versions of “Devastator” and “Kicking Ass”. After that i have to do 2 tracks for japanese hardcore-compilations (which will be more rave than hardcore) and i have an interesting collaboration with the Grindcore-Band “Grunt” coming up. Also there will be two more EPs for Absurd Audio (Audiogenic) with interesting collaborations.