“J’ai beaucoup été influencé par les artistes de Warp, comme les Black Dog par exemple. “Bytes” est mon album préféré du label, depuis près de vingt ans maintenant ! Il y est question de nostalgie…” La nostalgie. C’est exactement le sentiment qui s’échappait des critiques qui ont assailli l’avant-dernier album de Clark, Iradelphic, en 2012. Celles-ci affichaient une certaine méfiance à l’égard du surprenant projet d’un des piliers du label Warp, suite d’un beau parcours ponctué des Turning Dragons (2008) ou Body Riddle (2006), ou encore son tout premier Clarence Park (2001). Quelque chose ne passait pas. Indigestion liée aux phases acoustiques ? À la voix un peu trip hop de Martina Topley Bird ? Clark nous est revenu en novembre avec un septième album, éponyme et unificateur.
Clark dessine singulièrement les contours d’une Terre en pleine explosion. Il trace le parcours d’une apocalypse à venir. Rythme lancinant, notes de piano répétitives, on songe comme sur “Strength Through Family” à une sorte de drone survolant une banlieue envahie par le froid, balancé par les bourrasques de vent.
En 2001, le superbe Clarence Park usait d’une composition filtrée où se dégageaient des acrobaties sonores étriquées, donnant l’impression d’un corps en crise d’épilepsie. Clark est bien plus solide, parfaitement structuré. Creusant une galerie nostalgique et puissante dans le granit électronique, avec la violence de fraises géantes ou au peigne fin de découpages laser, il offre le plaisir d’une maîtrise technique et d’une portée émotionnelle dignes des poètes romantiques. Mais laissons lui la parole : Clark explique Clark.
TRAX : Pourquoi avoir donné ton propre nom à ce septième album ?
CLARK : Au départ c’était une simple blague, qui a vite tourné au défi : “Serais-je assez stupide (ou courageux) pour appeler mon septième album par mon propre nom ?”. Puis la musique étant de mieux en mieux à mesure que j’avançais, je me suis dit “pourquoi pas finalement”. J’ai déjà plusieurs titres d’albums pour divers futurs projets. Je planifie généralement tout a peu près cinq ans à avance. Mes trois prochains albums sont déjà prêts, par exemple. Finalement, il n’y a rien d’extraordinaire à faire un album éponyme. Je pensais simplement que ce nom là irait bien avec le son, tout comme la jaquette de l’album qui montre la silhouette de ma tête en gros plan, pleine d’arbres.
Je suis un artiste maladroit, je m’en excuse
Dans certaines critiques, on compare Clark à ce que tu faisais à tes débuts (Clarence Park). Qu’est-ce que tu en penses ?
Aujourd’hui j’ai l’impression qu’il a été fait par quelqu’un d’autre, quelqu’un de jeune et d’un peu stupide, un peu gras et schizophrène, excité en permanence. Alors que cet album a quelque chose de plus introverti. J’adore Clarence Park donc je prends ça comme un compliment mais c’est bizarre, par exemple, que les gens ne réagissent à la présence du piano dans ma musique que dans les morceaux d’Iradelphic. J’ai toujours utilisé du piano, dès la première piste de Clarence Park ! J’en ai un peu marre de Clark maintenant et je tiens à défendre mes anciens albums (jusqu’en 2006, Clark avait pour nom de scène Chris Clark, ndlr).
C’est marrant mais je ne pense pas que les artistes fassent jamais des productions qui soient si différentes de l’une à l’autre en termes de qualité. Il semblerait plutôt que ça vienne des médias de présenter les travaux comme appartenant d’une certaine tendance, ou qui perçoivent des changements. Chacun de mes projets est comme un journal intime, rien de plus, rien de moins. Je ne mettrais pas un album plus en avant qu’un autre. Mais je devrais dire que je suis un artiste maladroit. Je m’en excuse. Je me sens un peu fuyant aujourd’hui… Comme un lézard vif à la langue fourchue. Peut-être que demain je redeviendrai un chien. Vous préféreriez ça ?
Comment tu décrirais ton parcours musical depuis Clarence Park ?
C’est bizarre, parfois j’écoute une piste et j’ai peine à reconnaitre le jeune homme qui a fait Clarence Park. D’autres fois j’écoute des morceaux comme “Wolf” ou “Indigo Optimus” et je me dis que je ferais exactement la même chose aujourd’hui. Donc c’est étrange, ça change à chaque fois. Je ne pourrais plus jamais écrire Clarence Park aujourd’hui, vraiment, c’est un album de jeunesse. Je me rasais à peine à cette époque.
Je me suis entraîné des heures sur In Utero de Nirvana
Comment as-tu commencé la musique, à prononcer de l’intérêts pour des productions musicales?
J’ai commencé par le piano et la batterie. Je me suis entrainé pendant des heures et des heures sur le rythme de “Scentless Apprentice” sur l’album In Utero de Nirvana, quand j’avais 11 ans. Je ne parvenais pas forcément à le faire mais je suis entré dans la découverte d’autres rythmes à ce moment là. J’ai toujours été très proche du piano, depuis que je suis petit. J’adore l’aspect des notes, l’emboitement des blanches et des noirs.
Les harmonies et les modulations se sont fixées dans mon esprit, je ne pourrai jamais m’en défaire. Je mémorise très bien les accords et les motifs… sauf en guitare. Je ne pourrai jamais apprendre à faire de la guitare… C’est pour ça que j’adore le synthétiseur je pense, parce qu’ils sont comme de “superpianos”. J’aime vraiment le piano, je me sens comme chez moi quand j’en joue.
Est-ce que ton installation à Berlin a changé quelque chose à ta perception de la musique, et dans ta façon de composer ?
Non, pas vraiment. Tout le monde pense que c’est parce que j’habitais à Berlin que j’ai soudain compris la techno et que j’ai écrit Turning Dragon. Mais j’ai écris plus de la moitié de cet album avant d’avoir fini Body Riddle. C’est une bien plus belle histoire “le mec anglais qui déménage à Berlin et se met à faire de la techno”, ou peut-être est-ce simplement un cliché sympathique… En revanche, j’adore la forme du Berghain de l’extérieur, il est monstrueux. On dirait qu’il est vivant, comme dans un bad trip, comme une bête.
Il faut en finir avec l’image d’un mec neutre qui expérimente la technologie
Tu as dit de ton album que tu as voulu y « faire entrer la météo ». Qu’est ce que tu voulais dire par là ? Tu la décrirais comment cette météo ?
Je suppose que je pensais une météo intérieure et émotionnelle. Il y a plusieurs cas de figures, parfois en conflit, mais en tout cas au même endroit, dans une même sphère. C’est en ce sens qu’il y a de l’harmonie. C’est un conflit “unificateur”. L’intérêt pour moi, c’est d’amuser mes auditeurs. C’est cliché et ennuyeux quand un artiste donne exactement à son public ce qu’il souhaite. Il faut des déviances, des surprises. C’est comme dans un flirt en fin de compte, on ne veut pas tout montrer à l’autre tout le temps, il s’ennuierait.
Dans mes albums, je voulais avoir différentes saisons : des moments orageux, des moments calmes, du froid glacial et parfois quelques rayons de soleil. J’aime l’idée qu’un album soit un écosystème. Un album devrait être divers et profond, comme ce qu’on peut imaginer du monde qui nous entoure.
J’aime aussi l’idée que la musique est organique, brute. Il faut en finir avec l’image d’un mec neutre qui expérimente la technologie. La musique est faite AVEC la technologie, pas PAR la technologie, c’est une collaboration. Mais d’ordinaire, c’est moi qui domine les machines.
Ce sont ces morceaux que je mets dans mes albums, ceux qui ne m’ont pas laissé le choix
Dans l’album Iradelphic, et dans plusieurs morceaux de tes précédents albums, on ressent quelque chose de très organique. Dans Clark, tu sembles avoir trouvé un format intermédiaire, qui s’élève “visuellement” à l’espace, à quelque chose de plus absolu, comme une tour imposante dans un paysage hivernal.
C’est une belle image, merci ! Ou comme un étrange monolithe qui arrive de nulle part dans un paysage d’aliens. Ça aurait été l’hiver aussi. Ou encore comme un royaume caché dans un étrange monde imaginaire. J’adore cette idée de la musique comme un royaume, un endroit physique qu’on peut escalader de l’intérieur, qui protège du monde ou de la réalité. C’est comme une échappatoire, une armure ou un voile protecteur que l’on peut mettre pour se protéger de l’extérieur.
C’est comme ça que j’écoute la musique de toute façon, quand je marche dans la rue, avec un casque, le son très fort. Je pense que cet album est plus structuré et imposant qu’Iradelphic, simplement parce que je peux être un peu excessif parfois. En comparaison, Iradelphic sonne comme de pures vacances d’été.
Comment tu t’y prends dans ton processus de création pour composer tes morceaux ? Est-ce que tu penses en termes d’images, est-ce que tu inventes une histoire, ou réfléchis surtout en termes de sonorités ?
Ça dépend. Ce n’est jamais vraiment lié à la technique. J’ai besoin d’être attiré par un groove, j’ai besoin de sentir que je tombe dans quelque chose, comme dans cette idée du royaume. Pour moi, c’est ça le pouvoir : un espace physique qui t’hypnotise, t’entraîne. Parfois c’est un groove, d’autres fois c’est une mélodie ou juste un son pur. Parfois, un riff peut être ressenti de façon si lourde, si satanique ou ritualiste, qu’on n’a plus le choix, on n’a plus qu’à lui obéir, et on devient une chose. On n’a alors plus qu’à s’assoir là et faire de la musique jusqu’à ce que ce soit fini.
Une lumière blanche venant du brouillard a beaucoup de pouvoir je pense
Mais il y a toujours des morceaux plus intéressants qui se dégagent de ces moments, et ce sont eux que je mets dans mes albums. Ceux qui ne m’ont pas laissé le choix, qui se font tout simplement tous seuls. C’est le sentiment le plus délicieux que je connaisse, je ne pourrai jamais m’en lasser, c’est la meilleure montée au monde, vraiment.
Si tu avais une image pour définir ce qui t’inspire ?
Tu connais les vieilles télévisions analogiques des années 80 ? Quand on l’éteint, il y a cette lumière blanche et brillante qui se ferme au centre de l’écran puis disparait. J’adore cette image, cette séquence de lumière blanche et pure qui disparaît lentement. Parfois je pense à ça et ça me donne envie de le mettre en musique, comme si c’était le son de quelque chose disparaissant dans un abysse. Pour moi, c’est une pensée fascinante et effrayante à la fois d’essayer de faire de la musique à partir de cette image.
C’est comme de produire le son du faisceau lumineux d’une lumière qui viendrait d’un brouillard ou d’une fumée, comme les stroboscopes ou la fumée dans les clubs (rires). Une lumière blanche qui vient d’un brouillard est une chose qui a beaucoup de pouvoir, je pense.