Into The Valley : enfin un festival techno écolo qui invite autant de DJ’s femmes que d’hommes

Écrit par Paul Brinio
Photo de couverture : ©Into The Valley
Le 28.04.2017, à 16h06
05 MIN LI-
RE
©Into The Valley
Écrit par Paul Brinio
Photo de couverture : ©Into The Valley
Du 29 juin au 1er juillet, le très envié Into The Valley ne se tiendra pas en Suède, mais à Rummu en Estonie ; le festival initié par Music Goes Further a décidé de poser ses valises dans un lieu chargé d’histoire, qui fut une carrière de calcaire puis une prison. En l’espace de deux ans, ce rendez-vous qui convie plus d’une centaine d’artistes a connu une expansion colossale, conduisant ses équipes à monter trois éditions différentes, en Suède, en Afrique du Sud et en Estonie. Trax s’est entretenu avec Ulrike Schönfeld, la programmatrice du festival, au sujet de ses choix artistiques, de l’état d’esprit d’Into The Valley et de l’égalité des sexes.

Pourquoi avoir choisi de déménager de votre lieu précédent ?

Dalhalla, en Suède, était incroyablement beau mais nous avons eu plusieurs problèmes. Le numéro un : cette carrière avait une capacité définie et immuable, et même lorsque le festival n’était pas sold-out, les gens devaient faire la queue pendant une heure pour aller aux toilettes. Le lieu ne nous permettait pas de nous étendre. Deuxièmement, Dalhalla était une offre de luxe. Il fallait prendre un vol pour Stockholm, puis un train pour trois heures ; vous en aviez pour facilement 400 euros de transports. Sur place, il n’y avait aucun hôtel à moins de 100 euros. Si vous aviez l’intention de rester tout le week-end, Into The Valley devenait un produit de luxe.

Et vous avez donc choisi l’Estonie ?

Déjà il y a l’euro, donc pas besoin de changer son argent. Beaucoup de gens ne connaissent pas ce pays magnifique, qui est par exemple le plus boisé de toute l’Europe. Vu le background historique du pays, énormément de gens parlent parfaitement l’anglais ou l’allemand. C’est donc plus simple pour les festivaliers internationaux. La vie est moins chère, et le lieu que nous avons trouvé est à 40 kilomètres de l’aéroport, on peut y accéder en transports en commun.

À ce propos, ce nouveau spot semble avoir un passé historique assez particulier…

Rummu est une ancienne prison soviétique et un camp de travail. Au fil des années, la moitié de la prison a été engloutie par le lac de la carrière où les prisonniers étaient forcés de travailler. C’est un lieu assez unique. Faire quelque chose de beau à l’intérieur de ces murs est, à mon sens, normal aujourd’hui. C’est un lieu où l’on enfermait ceux qui avaient une opinion politique différente, ils passaient des années de leurs vies là-bas, dans des conditions très mauvaises. Y organiser un événement positif aujourd’hui est bon pour l’ensemble du lieu.

Comment allez vous répartir cette ancienne prison ?

Notre indoor-floor est une partie de la prison. Nous allons mettre trois scènes en extérieur, mais celui en intérieur fera partie intégrante de la prison.

Quel est le concept ou le fil rouge du festival Into The Valley ?

Nous avons toujours eu envie de donner aux gens l’expérience d’un mélange entre la nature, l’esprit de la musique et l’art. C’est pour cela que nous cherchons des endroits où personne n’a jamais été, de manière à offrir aux festivaliers un week-end inoubliable. Nous ne sommes pas dans un esprit : « Waow je suis allé à ce festival et cela a changé ma vision du monde… » (rire) J’ai grandi en Allemagne de l’Est, dans une culture des festivals, depuis que le Mur est tombé nous avons toujours eu ces magnifiques festivals comme Fusion, Nation of Godwana, même le Melt… Être avec ses amis dans la nature pendant un week-end, camper, faire la fête, cuisiner ensemble, passer un bon moment… C’est ça, notre concept.

En parlant de nature, avez-vous un positionnement écologiste ?

Effectivement, pour l’édition de cette année nous allons donner des sacs plastiques aux gens, et ils vont pouvoir récupérer de l’argent s’ils collectent leurs ordures et les ramènent. Il y aura aussi des verres qu’ils peuvent ramener chez eux ou au boulot. Pour la scénographie, nous allons utiliser la quantité énorme de bois que nous avons sur place. Vu la situation arboricole du pays, nous n’avons donc rien à transporter de loin, c’est un plus au niveau de l’empreinte carbone.

Nous avons remarqué que votre line-up était composé d’approximativement 50 % de femme, c’est un choix délibéré ?

C’est délibéré, évidemment ! (rire) En Suède, les gens sont des fervents défenseurs de l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est ancré dans leur culture. Comme nous avons commencé le festival dans ce pays, cela fait partie de notre ADN. C’était normal d’avoir une équité. Au début, nous avions beaucoup de femmes qui jouaient dans la journée, et nous avons assisté à de véritables « shitstorms », avec des festivaliers qui ne comprenaient pas et nous disaient : « What the fuck ?! Pourquoi Ricardo Villalobos fait le closing alors que Nina Kraviz joue l’après-midi ?! Ça ne va pas ! » La Suède, aux côtés de la Norvège et de la Finlande, est l’un des rares pays à se soucier vraiment de cette égalité et à être aussi ouvert d’esprit là-dessus.

Cela va aussi être le cas pour votre édition Into The Castle en Afrique du Sud ?

Oui, et en ce qui concerne ce festival, je ne veux pas en faire un événement pour les “rich white kids”. Nous allons favoriser la mixité.

Quelles ont été les réactions des artistes et des festivaliers ?

Je pense que les gens réalisent un peu après que nous programmons autant de femmes, et en toute logique, ça ne les choque pas. Le public de nos débuts étant beaucoup composé de Suédois, donc cela ne les surprend pas non plus. Il y a une énorme scène électronique là-bas, Berlin n’a pas le monopole, et les artistes qui vivent ici viennent de partout dans le monde. Beaucoup d’artistes de cette scène suédoise sont des femmes, et c’est très facile de trouver des talents locaux en Suède quand on programme un festival.

Et en Estonie, allez-vous continuer ce processus qui consiste à inviter des artistes locaux ?

Bien sûr, nous allons ramener des artistes estoniens, mais aussi lituaniens, lettons et russes. Ils seront au moins une vingtaine.

Comment penses-tu que ce genre de programmation peut changer la face des programmations à l’échelle internationale ?

Je ne m’en soucie pas. Je fais mon travail du mieux que je peux, et avec trois éditions différentes, il faut être plus créatif qu’avant. Il faut différencier Into The Valley, Into The Factory et Into The Castle, donc impossible de faire de la recopie. Bien avant la programmation 50/50 d’Into The Valley, il y avait déjà des discussions sur la place de la femme dans la musique électronique. Beaucoup d’artistes s’en souciaient, comme Jennifer Cardini, The Black Madonna, Honey Dijon ou Ellen Alien. Aujourd’hui, tu peux être DJ numéro 1 dans le monde, si tu es une femme tu gagneras toujours quatre fois moins qu’un gars qui fait la même carrière. C’est un fait. À notre niveau, nous pouvons simplement montrer cela aux gens et les focaliser sur ce sujet, pour les aider à réfléchir.

Comment est-ce que l’on porte un projet comme celui-là ? L’aspect international est-il un frein, pour le booking par exemple, ou un plus ?

Plus l’on fait de festivals et plus c’est facile pour moi, car les artistes sont plus tentés de venir. Notre mobilité est une vraie chance, nous adorons voyager, et c’est un vrai plus à condition de ne pas faire n’importe quoi. Nous regardons par exemple quels peuvent être les pays sûrs pour nos festivaliers. Il est nécessaire de réfléchir avant à ce qui est le mieux pour eux. Ce serait un problème de faire un festival aux Philippines disons, car la répression contre la drogue y est particulièrement féroce.

Quel est le fil directeur derrière une programmation internationale et exigeante ?

J’essaye de créer une identité propre à chaque festival et d’aller parfois à l’encontre de mes goûts. Si je m’écoutais, je bookerais plein de DJ’s roumains mais du coup nous serions une copie du Sunwave. Il faut toujours trouver une balance entre la vente de tickets et l’intérêt du line-up, tout en gardant sa propre identité. Il faut surtout être un amoureux de la musique, sinon on ne fait pas ce boulot. Si l’on fait ça pour l’argent plus que pour l’amour de la musique électronique, on peut commencer à booker de l’EDM… (rire)

Évènement Facebook

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant