En confinement chez Vazy Julie : projets de révolution, oisiveté, swiss ball et féminisme

Écrit par Maxime Jacob
Le 27.04.2020, à 11h39
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Écrit par Maxime Jacob
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La période de confinement est moins anxiogène avec un peu de lecture, pas mal de musique et de quoi nourrir notre réflexion. Dans cette série d’interviews, Trax est allé à la rencontre virtuelle de musicien·ne·s confiné·e·s pour leur demander quelques recommandations culturelles. Depuis son appartement marseillais, la française Vazy Julie, membre du Metaphore Collectif et de l’agence de booking Bi-Pole, échaffaude ses plans révolutionnaires.

Où êtes-vous actuellement ? Pourriez-vous décrire l’endroit où vousêtes confiné ?

Je suis dans mon appartement à Marseille. Je m’estime privilégiée parce qu’il commence à faire vraiment beau et que j’ai deux petites terrasses avec un accès direct au ciel et aux rayons du soleil. J’aime passer du temps dans mon salon, où il y a des plantes, de la douceur et des couleurs.

Vazy Julie, chez elle à Marseille, en avril 2020.

Comment cette période de confinement change-t-elle votre rapportà la musique ?

Cette période de confinement change beaucoup mon rapport aux choses de manière générale, dont mon rapport à la musique. Étonnement, je m’aperçois que pour moi, l’écoute est extrêmement liée au corps : tous les matins en me levant je mets de la musique et je danse dans mon salon (chose que je n’avais jamais le temps de faire au temps où je travaillais dans un bureau, parce que je suis toujours en retard). Avant d’être confinée, j’écoutais tous les jours de la musique au bureau dans mon casque en semaine, et tous les week-end en soirée ; mais c’était différent, parce quand c’est ton taf à plein temps, tu t’éloignes parfois de la notion de plaisir. Le silence était devenu un luxe. Je suis heureuse d’avoir retrouvé ce rapport plus spontané avec la musique, c’est tellement plus satisfaisant !

Quel est le dernier disque que vous avez écouté aujourd’hui ?

Le dernier EP de Lorenzo Senni. Une beauté.

Quels sont les disques essentiels pour vous en ce moment ?

À la maison j’aime écouter des choses que j’aurais du mal à jouer en soirée. Je suis quelqu’un d’extrêmement sensible, et j’ai besoin de ma dose de douceur chaque jour. Du coup, ce sont mes classiques émotion qui m’accompagnent depuis le début de cette période sensible : je me suis replongée dans la discographie de Boards of Canada, Borhen and der Club of Gore, The Careteaker, Roly Porter, Ben Frost, Nine Inch Nails, Coil, Oklou, Rosalía… J’ai composé une playlist pour Trax, avec des morceaux à écouter à la maison en vrac, sans distinction de style ou de couleur.

Quelle est la dernière vidéo que vous avez regardée ?

J’ai une affection toute particulière pour les toutes petites choses mignonnes alors je suis abonnée à tout un tas de comptes de Tiny things sur YouTube et Instagram. Pas plus tard qu’il y’a 10 minutes, j’ai bloqué sur une vidéo de confection du plus petit couteau du monde en pâtes alimentaires. Voila, voila… Internet !

Quels sont les films que vous allez revoir ?

Je n’ai pas prévu d’adapter ce que je vais regarder au confinement, mais je regarde max de film, selon mon humeur. Pour rire, toute la filmographie de Quentin Dupieux. Pour l’esthétique, toute la filmographie de Greg Araki. Pour la beauté du geste, ce sera Herzog. Pour rêver, Alessandro Jodorowsky. Pour se questionner, Attention danger travail de Pierre Carles, qui date un peu mais qui est toujours aussi important. Il y a Idiocracy que je regarderais bien à nouveau, ce n’est pas du grand cinéma mais il résonne pas mal avec ce qu’il se passe en ce moment. Je suis abonnée à Mubi qui est une super alternative à Netflix et j’ai vu que l’INA avait ouvert sa plateforme gratuitement pendant le temps du confinement.

Que lisez-vous ?

Je lis pas mal d’essais et de la poésie. Une forme que j’adore aussi, c’est la correspondance. Je pense que cette période nous questionne beaucoup sur ce que nous voulons être au monde. Voici une petite liste non exhaustive des mes recommandations lectures en lien avec cette problématique :

  • Pour une introspection, Le loup des steppes, de Hermann Hesse. Je l’ai lu récemment et il a littéralement changé ma vision du monde et l’image que j’avais de moi-même.
  • Pour s’émoustiller, je conseillerais Correspondances, d’Anais Nin et Henry Miller. C’est tout aussi beau que c’est méga hot.
  • Pour la beauté des mots : Elsa, d’Aragon.
Elsa Triolet.
  • Pour préparer la révolution : L’insurrection qui vient, du Comité invisible aux éditions La Fabrique. La Domination Policière et Le capitalisme Patriarcal de Silvia Federici, aux mêmes éditions. Et évidemment Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet. Ces livres traitent de sujets d’actualité sur lesquels j’ai décidé de prendre position.
  • Pour une maitrise de son corps et de sa parole, L’acteur invisible de Yoshi Oida. Je conseille notamment de se pencher sur les exercices de visualisations, un excellent moyen de vivre des expériences psychédéliques en ayant uniquement recours à son propre corps !
  • Pour se préparer au pire, quelques classiques : 1984 de George Orwell, Nous autres de Zamiatine, Un monde meilleur de Huxley et Fahrenheit 451 de Bradbury.
  • Et pour déculpabiliser de chiller : Le droit à la paresse de Paul Lafargue. Une ode à l’oisiveté.

Que comptez-vous faire pendant cette période d’isolement que vous ne pouvez pas faire habituellement ?

Je suis confinée, mais je télétravaille quand même : le festival Le Bon Air a été reporté et je veux pouvoir accompagner au mieux les artistes que je représente au sein de l’agence Bi-Pole dans cette période de doutes. Je dois aussi réinventer une façon de faire exister Metaphore Collectif à distance avec l’aide précieuse de Shlagga, Israfil et DJ 13NRV. C’est pas le chill total, mais j’ai quand même plus de temps que d’habitude… Ce temps, je veux le mettre à profit pour m’écouter vraiment, pour explorer à l’intérieur de moi-même et pour me connaitre mieux. Je pense qu’on croit se connaitre, mais qu’on ne prend pas le temps de se comprendre et de s’apprivoiser vraiment. Pour moi, le confinement c’est l’univers qui ordonne à ceux qui ont le privilège d’avoir un chez-soi et qui ne sont pas forcés de se déplacer pour bosser, de prendre ce temps. Je cuisine, chose que je ne faisais plus depuis longtemps, je fais du sport et du yoga, je m’octroie une heure par jour de soleil sur ma terrasse, je prend le temps de faire mes propres produits de beauté, j’écris tous les jours, je commence tout juste à faire de la musique, je réaménage petit à petit mon studio qui était devenu un débarras, j’appelle régulièrement ma maman qui finissait par croire que je la ghostais, je bosse sur un projet de fanzine avec mon amie OKO DJ et j’ai prévu d’enfin planter des graines dans les deux grosses jardinières qui dorment sur ma terrasse depuis presque deux ans… Je pense aussi rejoindre un groupe de solidarité et d’entraide pour aller distribuer des repas aux personnes qui vivent dans la rue. À Paris, je sais qu’il y’a les Brigades de Solidarité Populaire, à Marseille le groupe Maraude Belsunce, l’association Al manba et le groupe de supporter Marseille Trop Puissant, entre autres.

Qu’est-ce qui vous manque le plus ?

Bizarrement, en ces temps où la distance sociale est de mise, j’ai la sensation de me sentir plus proche que jamais de mes amis. Je pense qu’on a tous envie de mettre de coté les petits tracas du quotidien pour revenir à des choses essentielles : on aborde de grands sujets au téléphone, on tâche de se montrer que dans cette période des plus incertaines on ne se laissera pas tomber. La fête et la vie sociale ne manque pas particulièrement. Je pense que rien n’arrive sans raison : on avait tous besoin d’une pause. Je n’étais déjà pas très adepte des sorties en semaine, je suis partisane du repli sur soi et casanière de manière générale. Cette situation, aussi inquiétante et désolante soit-elle, convient parfaitement à mon quotidien. Il m’est arrivé ces dernières années de me sentir submergée, comme prise en étau entre une routine parfois trop intense et mes besoins personnels. Pour une fois, c’est OK de prendre le temps et ça me va très bien.

Quel est votre meilleur ami pendant cette période ?

Je retrouve un rapport différent à mon corps, un rapport que j’avais beaucoup exploré quand je faisais des études de théâtre mais que j’avais vite relayé au dernier plan en m’efforçant de poursuivre un rythme effréné dans le milieu de la nuit. Du coup, mon meilleur ami c’est mon Swiss ball : je passe des heures dessus à m’étirer ou faire des exercices d’équilibre. Vous devriez essayer, ça détend de ouf !

Vazy Julie et un Swiss Ball, Marseille, avril 2020.

Qu’espérez-vous voir changer dans la société à l’issue de cette pandémie ?

D’abord, j’espère que la scène électronique, qui souffre beaucoup de cette période, tirera leçon de ses erreurs passées et que les organisateurs privilégieront les artistes en développement et les nationaux. Commencer à limiter au maximum les transports en avion sera un beau geste éco-responsable pour commencer… J’entend beaucoup de monde dire que les choses seront différentes, que les gens vont se réveiller un beau matin avec une conscience écologique et une âme d’anti-capitaliste. Évidemment ce serait très beau, mais je trouve ça un peu naïf. Les inégalités n’ont jamais été aussi dangereuses qu’aujourd’hui, la peur de l’autre et le racisme grandissent de jour en jour, les services publics sont mal en point, les violences policières sont à leur apogée, la grande distribution et le e-commerce battent leur plein. Pendant ce temps, les gensles plus fragilisés vivent dans la rue, les hôpitaux publics manquent de place et de moyens, et on sait que les plus petits commerces de proximité, producteurs locaux et acteurs culturels pourront difficilement se relever d’une telle crise. Pourtant, le gouvernement ne se gène pas pour malmener des acquis sociaux de bases tels que les 35h et les congés payés. Si à l’issue de tout ça on devient écolos, anti-capitalistes et plus humains, c’est chouette, mais je crois qu’il faut aussi garder en tête qu’on ne nous laissera pas si facilement œuvrer pour l’effondrement d’un système qui ne convient qu’aux puissants. Ce que j’espère par dessus tout à l’issue de cette pandémie ? La révolution, bien-sûr.

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