[INTERVIEW] Myako : Le son en fusion

Écrit par Trax Magazine
Le 12.12.2014, à 09h34
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Écrit par Trax Magazine
Femme libre, DJ énergique et productrice attentive, Myako adore distordre les genres pour mieux les repenser et émanciper ses propres caractéristiques. Chaque rencontre donne naissance à un personnage toujours fervent défenseur de l’expérimentation sonore. Pour clôturer cette florissante année 2014 (une collaboration avec Vincent Vidal sur Seconde et la sortie de son EP Bluereed sur Fragil) Myako abandonne son franc-parler à nos oreilles appliquées.

Tu as beaucoup collaboré avec le label Fragil. Tu les as connu à Nantes, ta ville d’origine. Quel a été ton parcours avant de les rencontrer ?

C’était la période où les musiques plus dures se sont retrouvées en club. C’est là que j’ai vraiment pu les découvrir, je m’y suis intéressée autant qu’aux musiques plus minimalistes que j’écoutais chez moi. Après, j’ai rencontré Martial Funk et toute son équipe, composée d’artistes d’art contemporain, de plasticiens… Cette fusion m’intéressait énormément, d’autant que je voulais passer le concours d’entrée aux Beaux-Arts.

Tu sembles très attachée au concept de fusion des genres.

Oui, plusieurs crew m’ont demandé de participer à leur organisation de soirées purement techno mais ça ne m’interpelle pas du tout. Ce qui me parle c’est de laisser place à une expérimentation des sens en général ! Mon objectif serait de pouvoir développer des notations dans la musique électronique, pouvoir interpréter un morceau de techno en ayant une partition. Aujourd’hui, une partition se compose d’algorithmes. C’est ce qui m’a d’ailleurs intéressé avec Supernova Project, le fait de pouvoir développer cette expérimentation électroacoustique. Mon expérience avec Martial Funk était très expérimentale aussi, quand on faisait les Robonom avec un parc modulaire. Il était avant-gardiste pour l’époque, en 2005, il avait même créé un label que de MP3, personne ne le faisait, seul Kompakt s’y est mis un an après. Puis il y a eu Beatport. Il a lâché l’affaire !

Ce qui me parle c’est de laisser place à une expérimentation des sens en général !

Tu évoluais avec le crew de Martial Funk et en même temps tu découvrais le Hardcore. Qu’est-ce que l’expérimentation du dark a apporté à ta production ?

J’aimais bien le dark et en même temps j’écoutais de la musique ultra minimaliste. La musique que je commençais à développer était très mince en terme d’épaisseur sonore. C’est pour cette raison que j’ai voulu utiliser toutes ces notions de fréquences ultra hard qu’il y a dans le hardcore, la noise et le rock expé. Je voulais les fusionner avec cette musique spatiale ultra aérienne.

Cover Blue reed by Plastic bionic-1 Artwork de “Bluereed” EP

Ton dernier EP Bluereed reste encore très minimaliste.

Il y a un morceau où les fréquences sont noise, mais quoiqu’il arrive je ne pourrais jamais faire une musique chargée. Je préfère mettre le son en avant tout en utilisant le squelette d’un autre style musical. Tous les titres viennent de noms de groupes qui m’ont inspiré durant la période ou je fabriquais mes patterns : Can, Fugazi, Felt, … le dernier ‘Picabia’ est une référence importante pour moi.

Il y a une importante notion de recherche aujourd’hui, on ne peut plus se limiter à tester des machines.

Dans quelles conditions as-tu conçu Bluereed ?

Bluereed (qui est aussi son alias, ndlr) est né il y un an et demi. J’étais à Berlin pour trois mois, pour faire de la musique. J’étais dans une sorte de concrétisation du travail effectué ces dix dernières années. Je savais enfin ce que j’avais envie de faire musicalement. J’ai utilisé toutes les banques de sons que j’ai pu développer avec ma machinedrum entre autres. Comme je n’avais pas les moyens d’achetais une machine, je la testais, je la saignais et je la revendais (rires).

Sur le A1, il y a un featuring avec Anna Otto grâce à une banque de sons qu’elles m’avaient filé auparavant pour un remix. Il y avait des karimba (une percussion, ndlr) et une bass line à la monomachine que j’adorais. Les autres morceaux viennent d’enregistrements audio des sons de notre environnement et d’un travail de modulation avec des plug-in. D’ailleurs, je veux développer mon propre parc modulaire. Il y a une importante notion de recherche aujourd’hui, on ne peut plus se limiter à tester des machines.

C’est ce qui va te permettre de te renouveler en 2015 ?

Mon personnage Bluereed participe déjà à ça ! Il représente toute une notion d’expérimentation que j’aime : mélanger du rock avec de la noise. Au début, il n’était pas question que ces morceaux sortent et un jour, Raphaël les a écouté par hasard puis m’a de suite proposé de les sortir sur Fragil. Bluereed sonne comme une synthèse de tout ce que j’ai absorbé par le passé.

Tu gardes le rock dans la peau !

Clairement. Sonic Youth fait partie de mes inspirations fortes de l’expérimentation sonore. Je les avais rencontré au Centre d’Art Contemporain de St-Nazaire. Le DA, Christophe Wavelet — un mec incroyable référencé comme le Robin des Bois de l’art contemporain dans les cours d’Histoire de l’Art — les avait fait venir pour un concert suite à une expo qu’il avait organisé. C’était vraiment géant de les rencontrer !

Que mixais-tu à tes débuts ?

Deux choses en fait. J’ai commencé à mixer avec des tracks du label Profan, mais aussi Dancemania. Toute la ghetto house que j’adore. Avec Martial Funk nous avions fait venir Houz Mon à Nantes car nous étions fan absolu de Dancemania. Il y avait peu de nana qui osait en jouer car c’est ultra sexiste et un peu sale en terme de lyrics mais les rythmes sont tellement fous !

C’est un drôle de mélange !

Ça marche trop bien ! Tu retrouves les même sonorités que j’adore, droites, ultra cristallines, très loopées. Je n’en peux plus des musiques à effets, je préfère une belle loop sans voix. Mon séjour à Berlin a scellé un truc avec toutes ces interrogations sur la musique dark, hardcore que l’on pouvait finalement entendre dans une techno assez droite et spatiale. C’est pour ça qu’il y a 4 ans j’ai beaucoup joué techno, j’étais à fond dedans ! Ca représentait ce que je cherchais depuis un bout de temps mais les gens maintenant m’associent à la techno du coup.

Pourquoi es-tu revenue à Paris ?

Je suis partie à Berlin à 24 ans, pour apprendre. J’y ai rencontré des gens exceptionnels. Je ne faisais pas la teuf, étonnement j’ai été hyper sérieuse, je voulais apprendre à faire de la musique, aller voir des expo, j’allais au Berghain écouter uniquement les artistes que je voulais, à heure précise, et je rentrais. Je me suis recentrée. Mais je n’avais pas envie de vivre en Allemagne ! Je voulais juste voir tout ce que je n’aurais pas pu explorer à Paris. Puis, il y a trop de DJs, j’ai du mal avec l’esprit de compète !

Le fait d’avoir joué pour la scène Queer berlinoise fascinait la scène parisienne, j’ai de suite eu des gigs en arrivant à Paris. J’avais aussi mon réseau nantais très présent sur Paris. Finalement tu te rends compte que le réseau provincial fait vivre le réseau parisien, Phonographe c’est Reims, Input Selector c’est Nantes, l’Iboat à Bordeaux est le miroir du Batofar

BLUEREED

Où as-tu joué ton premier live ?

Dans un club nantais. C’était avec Modish Roboter, nous faisions la première partie de Thomas Brinkmann en live au Raphia. Rippol s’occupait de la programmation.

Jusqu’à présent ton parcours s’est construit grâce à de belles rencontres.

Exactement. Je n’ai jamais vraiment cherché de gig, j’ai toujours rencontré les gens, je suis tombée sur des projets hyper cool, à Nantes avec Martial Funk ou Fragil. On se rejoint tous à un moment donné. Quand Raphael organisait ses soirées électroniques il y a dix ans, j’étais en mode organisatrice pro-underground à gérer des booking d’artistes inconnus. J’ai assisté à la première soirée Fragil et on s’est retrouvé au sein du label des années après.

Je n’en peux plus des musiques à effets, je préfère une belle loop sans voix.

Et ta rencontre avec les femmes du label Comfort Zone. Es-tu attirée par leur engagement féministe ?

À Berlin, j’habitais avec Kritzkom (la moitié du duo Anna Otto) qui collabore avec Female Pressure. Ça m’a permis de rencontrer Anna Otto, très investie dans la scène Queer berlinoise. Cependant, je ne veux pas être affiliée à la scène Queer parisienne, aux féministes, car elles ont un discours ultra radical par rapport à la gent masculine.

La différence avec Christina de Comfort Zone, c’est qu’elle défend le droit des femmes dans la musique électronique car elle a 40 ans, elle s’est battue dans les années 90 pour exister dans la techno. Il n’y avait personne à part Jennifer Cardini, Chloé, Electric Indigo. Christina n’est pas fermée au fait qu’il y ait des garçons, elle a travaillé avec Pan Sonic. Je soutiens ce mélange des genres, on ne doit pas être enfermé dans une identité sexuelle. Ça n’a aucun rapport avec la musique !

KOLINE SOLARUM

Tu formes un duo avec Céline aujourd’hui, Koline. Comment souhaitez-vous faire évoluer ce projet ?

Dès qu’on s’est rencontré avec Céline, ça a matché. C’est ce genre de rencontre un peu rare où tu ne te poses pas de question. On était deux nanas qui faisaient de la musique, complétement complémentaire. Ça soulage d’être à deux ! On a habité ensemble donc, naturellement, on a bossé ensemble. Elle m’a remotivé à jouer avec des vinyles quand mon Traktor a pété, car elle est anti-traktor !

J’ai repris toute ma collection et on a lancé la 0049 au Zero Zero pour que l’on puisse mixer à la cool, c’est ce qui a créé Koline en quelque sorte. Récemment, on a déplacé cette résidence à la Java et il y a eu la soirée Solarium avec Supernova, le projet s’exporte ! On a vraiment envie de le développer, de produire de la musique ensemble, continuer dans cette expérimentation minimale, deep, on s’y sent à l’aise toutes les deux. C’est sûr que l’on ne fera pas de gabber avec Céline (rires) !

Quels sont tes autres projets pour 2015 ?

Aller sur Saturne, écouter si le silence de l’espace est plus ultime que l’ultime silence de l’Islande. Et aussi, m’installer dans mon nouveau studio à Paris, y faire de la musique, de la musique, de la musique. Je vais aussi faire un remix de Walid BL signé chez Beat X Changers.

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