Où êtes-vous confiné ?
MCDE : Je suis de retour dans la banlieue de Stuttgart où j’ai grandi et je profite de ces moments de solitude pour faire des balades dans la nature. Nous avons de très belles forêts dans la région et heureusement, il est toujours possible de s’y rendre seul. J’ai conservé un petit studio ici, ce qui me permet aussi de venir en aide à mes parents. Ils sont septuagénaires et sont donc particulièrement vulnérables face à l’épidémie. Je vais faire les courses pour eux, ce genre de choses.
À quoi avez-vous pensé quand vous-avez réalisé que la situation devenait sérieuse ?
Je me promenais au soleil sur l’Île de la Cité, à Paris, avec un très bon ami à moi. C’est à cet instant que les autorités allemandes ont annoncé qu’elles fermaient les frontières. Pour moi, la situation était claire : il fallait que je rentre auprès des miens de toute urgence.
Quels disques vous paraissent essentiels en ce moment ?
Quand les temps sont durs, j’ai l’habitude d’écouter l’album éponyme de Pharoah Sanders. Je pense particulièrement au morceau “Harvest Time”, ces jours-ci. Je vous ai aussi sélectionné quelques uns de mes morceaux de jazz préférés, à écouter chez soi.
Quelle est la dernière vidéo que vous avez regardée ?
Ce concert immanquable de Miles Davis, tenu à Vienne en 1973. Il est disponible sur YouTube.
Y-a-t-il un livre que vous pouvez nous conseiller ?
Je lis vraiment beaucoup, tout le temps. Mes amis se moquent de moi d’ailleurs, ils disent que je lis sur mon tapis de gym. En janvier, j’ai lu le magnifique roman L’infinie Comédie, de David Foster Wallaces, que je vous conseille vivement même si c’est assez difficile à lire. Je vous conseille aussi La Tache, de Philip Roth. J’aime la facilité avec laquelle Roth arrive à exprimer très simplement des choses très difficile à concevoir. Il me semble que La Peste d’Albert Camus est une lecture adaptée à la situation.
Qu’est-ce qui vous aide particulièrement à traverser cette période ?
En tant que DJ qui joue partout dans le monde, je dois dire que je suis relativement habitué à supporter la solitude et l’indépendance. Ce mode de vie a généré beaucoup de stress chez moi et j’ai appris à gérer ces situation par l’intermédiaire du sport et de la routine. Tous les jours, je fais 45 minutes de cardio et de pompes. Ce sont des exercices qui m’apaisent et que tout le monde peut faire chez soi. Je commence à faire un peu de méditation aussi, ce qui pourrait s’avérer utile par les temps qui courent.
Que comptez-vous faire au cours de ces jours d’isolement et qui étaient impossible à faire dans le monde normal ?
Je vais en profiter pour composer en studio, ce qui m’est très difficile en temps normal. À part ça, et c’est l’ironie du sort, je profite des deux premiers mois de l’année pour faire une pause, me retrouver un peu et en profiter pour justement faire toutes ces choses impossibles à faire en temps normal. En janvier, j’ai pu faire toutes mes démarches administratives en attente et en mars je me remettais à peine à sortir d’hibernation… qui va finalement devoir durer un peu plus longtemps que prévu.
Qu’est qui vous manque le plus en ce moment ?
Sans hésitation : sortir avec mes amis, avec une bonne bouteille de vin et profiter de l’instant.
Quels films comptez-vous revoir ?
Je regarde tous les films de Krzysztof Kieślowski ces temps-ci. J’ai vu ses Trois couleurs et Brève histoire d’amour à nouveau.
Est-ce que cette période de confinement change votre relation à la musique ?
Le stress lié à mes tournées a totalement disparu et je crois que ça me permet de m’ouvrir à d’autres choses. Je voudrais pouvoir m’intéresser au fonctionnement d’instruments que je ne maitrise pas et qui m’apparaissent compliqués. La musique m’aide à mieux vivre la solitude. La composition procure une sensation très puissante et excitante, j’ai beaucoup de chance de pouvoir profiter de ce moment pour travailler sur ma musique.
Comment espérez-vous que la société évolue à l’issue de cette période de pandémie ?
J’espère sincèrement que l’on sortira de cette situation avec un sentiment de fraternité puissant : nous sommes un peuple quelle que soit notre nationalité, nous formons une seule espèce quelle que soit notre couleur de peau dans ce monde fini inscrit dans un univers infini. J’aimerais que l’on puisse tous construire un monde ensemble dans lequel nous ne nous laisserions pas diviser par nos prétendues différences. Cette époque ne nous laisse pas le choix : nous devons tous nous entraider et travailler ensemble.