Par Brice Miclet
En écoutant la musique de Bon Entendeur et en suivant leur carrière, il est possible d’être rapidement envahi de questions. Qu’est-ce qui pousse les foules à aller remplir un Zénith pour acclamer trois types qui mettent en avant la chanson française, et capables de tendre le micro à des personnalités comme Patrick Poivre d’Arvor et Frédéric Beigbeder ? En fait, derrière le carton de ce compte SoundCloud se trouve un projet humble, pensé, et terriblement efficace. Car s’il arrive que Bon Entendeur subisse l’ire des amateurs de musiques électroniques, c’est pourtant à l’huile de coude et au kif que le succès s’est forgé.
Les premiers poils
Tout a démarré en 2011, lorsqu’Arnaud Bonet et Pierre Della Monica unissent leurs quelques forces après que leurs chaînes YouTube respectives se soient faites suspendre pour avoir diffusé certaines musiques sans autorisation. Ils montent un site que personne ne pourra fermer, sur lequel il n’y a que des playlists : « Sans rédaction d’article, juste de la découverte de musique et l’idée de les diffuser », se rappelle Arnaud. « Après le cercle de personnes qui nous suivaient s’est agrandis. » Et pas qu’un peu.
Rapidement, les playlists se transforment en mixtapes sur leur compte SoundCloud, mettant chacune une célébrité à l’honneur. Basées sur des samples de voix, elles mettent à l’honneur toute sorte de profils, comme Dominique Strauss-Kahn. Cet exemple, ça n’est pas leur plus beau fait d’arme : « Celle-ci, on ne l’assume pas tellement, elle embellit un peu le personnage et ne reflète pas toute la suite du projet », avoue Pierre. « On se cherchait un peu… Il nous a fallu quelques mixtapes pour trouver la bonne direction. Ce qu’on aime dire, c’est qu’on est particulièrement réceptifs à la qualité de certains discours qui sont mis en valeur grâce à la musique, ça leur donne de la force. Quelques mots, une phrase qui peut passer inaperçue habituellement, prend ainsi une autre dimension. »
Bref, Bon Entendeur, grâce à ce concept et épaulé par quelques remixes de trésors de la chanson française, commence tout doucement à montrer les crocs et à avoir des poils qui poussent partout. La communauté augmente à toute vitesse, à tel point qu’il n’y a pas un moment qui face réellement office de tournant. Pas même leur carton de 2016, “Le Temps Est Bon”, un remix de la chanson de la chanteuse québécoise Isabelle Pierre sortie en 1971. Certes, il leur ouvre des portes, mais elles étaient déjà entre-ouvertes.
Des charbonneurs, des vrais
Alors, c’est quoi Bon Entendeur ? Des créateurs de mixtapes ? Des producteurs ? Des curateurs ? Des DJs ? Arnaud a la réponse : « Si on devait se donner une étiquette, ce serait celle d’un collectif. Entre les mixtapes, les remixes, les productions originales, les DJ sets ou l’album, on brasse très large. » Pierre ajoute : « On n’est pas des compositeurs, ça n’est pas notre “cœur de métier”. Après, on s’y intéresse bien évidemment, mais au fur et à mesure des cinquante mixtapes qu’on a sorties, on s’est aperçus que les remixes étaient de plus en plus prononcés, de plus en plus travaillés. On s’est formés comme ça à la composition. » Ce qu’il y a de frappant avec eux, c’est que contrairement à beaucoup d’artistes qui montent fort, ils ne se prennent pas pour ce qu’ils ne sont pas. Et ça se ressent dans leur musique.
Oui, certains titres paraissent trop faciles aux oreilles de certains. Oui, le look “école de commerce” peut surprendre. « Franchement, on s’en fout », assène Arnaud. « Plaire à des gens qui ont besoin que ce soit très technique, non merci. » Ca a le mérite d’être limpide. D’autant qu’on a ici affaire à des charbonneurs, et surtout des mecs malins. Un concept peut être décliné en plusieurs formules, ils le savent, et ne s’en privent pas. D’ailleurs, force est de constater que leur atout principal est de parvenir à refuser les étiquettes sans que cela ne passe pour un discours typique d’artiste, et surtout de réussir à ne pas s’égarer.
Tirer les vers du nez
L’autre atout, ce sont clairement les interviews. Si les premières mixtapes qui sortaient tous les mois étaient pour une grande partie basées sur des samples, ils veillent désormais à interviewer les personnes mises en avant. « On les emmène en studio avec nous, mais ça n’est pas notre métier », explique Arnaud. « On est plutôt dans le cadre d’une discussion. On ne leur coupe jamais la parole, ce qui provoque beaucoup de silences. Finalement, la conversation est plus posée, et plus propice au fait de se livrer sur des sujets ou des réflexions profondes, et jamais dans la promo. On s’en fout du nouveau film ou du dernier livre, on veut cerner ses expériences de vie par des questions très ouvertes. C’est à eux de décider de la direction de l’entretien. »
Pierre continue : « On se renseigne beaucoup sur eux, on essaie d’identifier les moments forts de leur vie. Par exemple, Gérard Darmon a réalisé pleins de films, mais a aussi sorti trois albums, ce qu’on ne savait pas. Et il nous a expliqué que c’est ce qu’il avait préféré dans sa carrière. Il y a toujours des choses à apprendre. On leur parle de leur rapport à la musique, à l’âge… On leur demande ce qu’ils pourraient dire à leur moi de dix ans. Il y a mille façons de répondre à cette question, c’est justement ce qu’on cherche. Une de nos meilleures surprises, c’est la rencontre avec Gérard Bohringer. Au lieu de durer une heure, l’interview a pris deux heures et demies. Il nous a parlé comme à ses petits-fils, à nous raconter des anecdotes de sa vie en Afrique. »
Leur premier album, Aller-retour, est sorti en décembre 2019. Il leur a permis de synthétiser toutes leurs facettes, peut-être d’identifier définitivement ce que le projet Bon Entendeur devait être. Même si la direction était claire depuis le début. Après avoir joué sur les scènes des plus grands festivals (leur musique s’y prête grandement), ils seront d’ailleurs programmés aux Nuits de la Filature le 20 mars prochain, six jours seulement avant leur premier Zénith de Paris, qui devrait afficher complet, et qui sera leur plus grande salle en tant que tête d’affiche. On l’a compris, Bon Entendeur n’est pas qu’une start-up musicale, loin de là.
Plus d’informations sur le festival des Nuits de la Filature 2020 sur la page Facebook de l’événement.