Helena Hauff : “Il y a toujours eu des nerds comme nous pour faire de l’électro dans leur chambre”

Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©D.R.
Le 17.01.2018, à 12h24
07 MIN LI-
RE
©D.R.
Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©D.R.
2017 a encore été une belle année pour Helena Hauff. La DJ hambourgeoise, ex-résidente du repaire techno-punk Golden Pudel, truste aujourd’hui le haut de l’affiche des grands festivals électroniques, y décochant au passage un mix d’électro, de synthpop 80’s, de post-punk angoissé et d’EBM lancinant, ponctué d’explosions techno et acid à faire fondre les dancefloors. En marge de sa carrière de DJ, cette inconditionnelle du vinyle lance aussi son label Return to Disorder, qui fête ce 19 janvier ses 3 ans au Trabendo (initialement prévu à la Machine du Moulin Rouge) avec Umwelt et Morah. L’occasion pour Trax de discuter un peu de cette maison confidentielle et pointue, extension passionnée de l’univers musical de Hauff.

La dernière sortie en date sur Return to Disorder s’intitule No Return Vol. 1. C’est un jalon de sortir une compilation ?

Oui, je voulais vraiment sortir cet EP avec plusieurs artistes. Le prochain volume est déjà en préparation, il inclura des titres de Morah, L.F.T., et un de mes propres tracks. J’aimerais en sortir plus à l’avenir. Je suis très fière du volume 1, les morceaux fonctionnent bien ensemble, c’est du bon boulot !

Depuis sa création en 2015, tu es satisfaite de la progression du label ? 

Ça a été, nous avons vendu quelques disques… On pourrait en avoir vendu plus, mais c’est très difficile, d’autant plus pour un label vinyl only. Je suis contente de l’état actuel des choses, on verra bien comment ça continuera. Ça se passe (rire).

C’est ta première expérience à la tête d’un label, tu as rencontré des obstacles ?

Nous avons eu d’énormes délais avec l’usine de pressage en 2017, certains disques ont pris 6 mois à sortir. Je suis en retard sur tout le planning, et j’espère que tout ira plus vite cette année. En 2015, j’avais déjà eu un problème avec le pressage. L’entreprise nous a fourni 100 copies à la mauvaise vitesse, avant de faire faillite et de quitter le pays. Je n’ai jamais récupéré l’argent, c’était un très mauvais départ. Maintenant, c’est Juno qui gère toute cette partie. Je ne pouvais pas me permettre de reprendre ce risque.

Le catalogue de Return to Disorder va du rock psychédélique à l’électro acid ; est-ce que l’on trouve vos disques chez des disquaires de rock, ou juste dans les magasins spécialisés en musiques électroniques ?

Juno s’adresse en priorité aux disquaires électroniques. Les deux sorties moins électroniques du label, Children of Leir et Blood Sport, contenaient quand même des boites à rythmes ou des synthés, dans la lignée de ce qui se faisait dans les années 80. Pour moi, tout cela fait partie du même monde.

Blood Sport – Harsh Realm

Est-ce que tu souhaiterais que le label parvienne à séduire des personnes qui viennent de cette culture rock et post-punk ?

Ce serait super. Je pense que cette musique pourrait plaire à beaucoup de monde, mais en même temps ce sont des scènes très séparées. Les gens qui apprécient vraiment la musique électronique ne sont généralement pas fans de guitares, et vice-versa. Moi j’adore les deux, c’est pour ça qu’on les retrouve sur le label. Mais il reste centré sur les musiques électroniques. Je suis avant tout DJ, je joue dans des clubs techno, et je reçois bien plus de démos électroniques qu’instrumentales.

Ça n’est pas frustrant, parfois ?

Ça me plairait de travailler avec plus de groupes instrumentaux, mais je ne suis pas tellement au courant de ce qu’il se passe sur cette scène. À la fin de la journée, je reste une DJ.

Tu as tout de même collaboré avec Children of Leir, la première sortie du label, en chantant sur certains morceaux.

Oui, mais je ne considère pas vraiment faire partie du groupe.

2017 a été une grosse année pour toi. Entre ton Essential Mix de l’année et ton “sacre” par Resident Advisor comme championne du renouveau électro, j’imagine que tu dois avoir de plus en plus de dates. Tu trouves encore le temps de t’occuper du label ?

Oui, ce n’est pas incompatible ; ce n’est pas moi qui produis les morceaux. Je prépare un track pour la prochaine compilation et un EP entier pour plus tard, et c’est surtout ça qui est impacté : j’ai du mal à trouver du temps pour produire. Le label, je peux m’en occuper en tournée, j’envoie des mails, ça va. Faire de la musique moi-même, c’est plus difficile. C’est un peu un problème : on te booke parce que tu as sorti de bons disques, mais de fait tu n’as plus le temps d’en produire.

Ta sortie à venir sur Return to Disorder sera dans la lignée de ce que tu as pu produire jusqu’à présent ?

Je pense, oui. Je travaille aussi avec Morah, et ça pourrait également sortir sur le label. Mais je n’ai pas encore terminé les morceaux, donc on ne sait jamais. Ça finira peut-être par être un track d’ambient (rire). Non, ce sera probablement assez similaire à ce que j’ai fait avant.

Morah – Take All

Tu mixes exclusivement sur vinyle, et une bonne partie de ta collection date des années 80. J’imagine que tu dois avoir quelques raretés en stock, est-ce que tu as déjà songé à les ressortir sur ton label ?

Non, je ne pense pas que je le ferai. Il y a déjà beaucoup de labels qui s’en chargent, comme Dark Entries ou Minimal Wave. Ils font un travail formidable et depuis longtemps. Ils savent comment entrer en contact avec les artistes, trouver les morceaux, négocier un deal, et c’est un gros travail. Je ne pense pas que je pourrais le faire, je préfère me concentrer sur de nouveaux artistes.

Comment as-tu rencontré les artistes que tu signes sur Return to Disorder, sachant que pour Morah ou Fallbeil, il s’agissait de leur tout premier EP ?

Pour Morah par exemple, il m’a invité à venir jouer à Athènes, c’était il y a quatre ans environ. Nous sommes devenus amis, et lorsqu’il s’est mis à produire de la musique, je lui ai proposé de l’éditer. Certains m’ont contactée par email, d’autres comme Fallbeil viennent de Hambourg, où j’habite. Mais je n’ai jamais pris l’initiative de contacter quelqu’un, ce sont toujours des amis ou des artistes qui m’envoient leur musique.

Est-ce que tu penses parfois à ce que les sorties sur le label pourraient rapporter, financièrement ?

Non. Tu ne peux pas diriger un label comme ça et espérer faire de l’argent. Ça me parait plus ou moins impossible. En vendant 200 à 300 copies pour un disque, on parvient à l’équilibre. On s’en sort avec… Eh bien, zéro (rire), mais nous ne sommes pas dans le négatif. Ça implique cependant de faire des concessions, sur l’artwork par exemple. Je ne suis pas une personne très visuelle, donc ça ne me pose pas de problème. Je ne suis pas une collectionneuse en ce sens ; pour un DJ, un disque c’est un outil. Avec Return to Disorder, nous avons commencé à faire des macarons de couleur, afin que l’on puisse mieux différencier les releases. C’est important d’avoir un repère visuel pour les trouver dans son sac.

Même s’il n’y a pas d’artwork, l’objet reste important pour toi, non ? Sinon, ce ne serait pas un label exclusivement dédié au vinyle.

Oui, le disque physique est très important. C’est mon truc, c’est comme ça que j’ai appris à mixer. J’ai besoin du disque, mais pas de l’artwork. Quand je prépare mes vinyles pour un set, je les sors de leur pochette en carton pour les glisser dans des pochettes en plastique transparent, ça prend moins de place dans le sac. Du coup, j’ai une grosse pile de pochettes vides dans mon studio (rire). Certaines sont très belles, je ne peux pas me résoudre à les jeter. Et en même temps, elles ne me servent à rien.

En marge du vinyle, on a aussi assisté à un retour du format cassette ces dernières années. Tu as toi-même sorti ta A Tape sur Handmade Birds en 2015. C’est quelque chose qui pourrait voir le jour sur Return to Disorder ?

J’aime les cassettes, mais les DJ’s ne les utilisent pas. J’ai grandi avec ça, et même si je pense qu’elles n’ont pas leur place sur le label, c’est un super moyen pour sortir de la musique à moindres frais, très rapidement, et pas seulement en digital.

Est-ce qu’il y a des labels qui t’ont inspirée, lorsque tu as démarré le tien ? Le genre de label dont tu achèterais un disque les yeux fermés, sans l’avoir écouté.

Oui, je pense déjà à Bunker Records (l’EP Return to Disorder est sorti sur Panzerkreuz Records, un sous-label de Bunker, NDLR), ils sont là depuis 25 ans et c’est toujours aussi bon. Il y a aussi Stilleben Records en Suède, le label électro de Luke Eargoggle. Sans oublier le label de Umwelt, New Flesh et sa division Rave or Die.

Umwelt est l’un des poids lourds à avoir signé sur Return to Disorder – tu l’invites également à la soirée du label le 19 janvier au Trabendo. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Je jouais au Terminal Club de Lyon, et je crois qu’il m’a envoyé un mail pour me dire qu’il passerait dire bonjour. Depuis nous sommes restés en contact, on joue parfois en B2B, nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde. C’est un artiste talentueux et surtout une personne adorable. Pour moi c’est très important, lorsque je travaille avec quelqu’un. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je ne contacte pas les artistes, j’aurais trop peur de me retrouver à travailler avec quelqu’un d’idiot ou prétentieux (rire). Enfin, ça m’est arrivé de sortir des démos d’artistes que je n’avais jamais rencontrés, mais j’ai toujours eu de la chance.

Umwelt – Destruction Libératrice

Est-ce que tu parles beaucoup du label autour de toi ? Quels sont les retours ?

Pas vraiment, je ne suis pas trop sur les réseaux sociaux. Je ne vois pas les choses, je ne sais de quoi parlent les gens… Je n’en sais rien. Et je m’en fiche un peu. Ça m’importe, bien sûr, j’ai envie que les gens aiment cette musique parce que je l’aime aussi, mais je me fiche que le label soit à la mode, que l’on en parle.

L’électro et les courants “protoélectroniques”, comme la synthpop et l’EBM, semblent connaitre un retour en grâce. Tu penses que tu aurais pu lancer ce label il y a 10 ans et trouver le même public ?

C’est difficile à dire, d’un côté il y avait moins de compétition, donc cela aurait peut-être été plus facile de devenir une référence pour ce type de son. Des labels comme celui d’Umwelt ou Solar One Music ont démarré dans les années 2005-2010 et se portent bien. Avec Internet aussi, tout est devenu accessible, indépendamment des genres et des époques. C’est quelque chose que l’on entend dans les sets de nombreux DJ’s. Ça crée une nouvelle idée du son, une scène. Il y a assurément une part de hype, mais il y a toujours eu une grosse communauté électro underground, juste moins visible. Il y a toujours eu des nerds comme nous pour faire cette musique dans leur chambre, et acheter des disques.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant