“Harlem sur Seine” : Quand les jazzmen afro-américains ambiançaient les clubs de Paris

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 01.07.2022, à 10h10
03 MIN LI-
RE
©DR
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
En partenariat
avec
Logo Logo_Officiel
Via sa plateforme TV5MONDEplus, la chaîne propose une sélection de films, séries, documentaires ou programmes jeunesse à consulter en ligne gratuitement. Parmi eux, une archive de la RTS nous plonge dans les clubs de jazz parisiens du début des années 60, où une joyeuse bande de musiciens afro-américains en exil tente de faire revivre un petit bout de Harlem.

Par Lucas Aubry

Octobre 1955, le be-bop chahuté de Sidney Bechet monte dans les travées de l’Olympia, où le saxophoniste fête son million d’albums vendus en donnant un concert gratuit. Un geste aussi génial qu’irresponsable au vu de sa notoriété. Si 2000 chanceux ont pu pénétrer dans l’hémicycle plein à craquer, ils sont au moins autant à ronger leur frein devant le 28 boulevard des Capucines. Lorsque les premières notes de “Les Oignons” – sommet du répertoire de Bechet – ​​retentissent en apothéose à l’intérieur, c’en est trop pour le public éconduit, qui force les barrages et se déverse dans la salle mythique. Complètement débordé, le service d’ordre ne peut retenir la foule d’arracher les posters d’Edith Piaf, d’Annie Cordy ou de Gilbert Bécaud placardés sur les murs et de mettre la salle sans dessus dessous. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur en personne déplore « 2 millions de francs et 32 centimes de dégâts et plus de sept blessés ». Bechet, qui n’a jamais cessé de jouer malgré les événements, sent bien que cette soirée fera sa légende. Facétieux, il publiera même un album live en souvenir du Soir où l’on cassa l’Olympia

Il suffit de réécouter cet enregistrement pour s’en assurer : débarqué avec les GI américains à la Libération, couvé dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, le jazz a fini par rendre fou les Parisiens, qui ont fait de la capitale une terre d’accueil pour cette musique enracinée mais universelle. En reportage pour le compte de l’émission culte Continent sans visa (équivalent suisse des toutes aussi réputées Cinq colonnes à la une, premier magazine d’actualité diffusé à la télévision française) au début des années 60, le journaliste de la RTS Georges Hardy part à la rencontre de ces musiciens afro-américains qui, comme Sidney Bechet, ont posé leurs valises en France pour échapper à leur condition de citoyens de seconde classe de l’autre côté de l’Atlantique. Dans la ville-lumière, les pianistes Art Simmons et Joe Turner, les trompettistes Bill Coleman et Idrees Sulieman ou encore le batteur de légende Kenny Clarke recréent des petits bouts de Harlem, de Chicago et de la Nouvelle Orléans. « On ne quitte jamais son pays, on l’emporte avec soi », écrivait le romancier James Baldwin, lui-même expatrié à Belleville. Lorsque le pays lui manque, la big band part s’empiffrer de travers de porc, fried chicken au miel et autres mexican chili chez Haynes, un jeune vétéran de l’armée américaine qui a lâché ses études de sociologie à la Sorbonne pour ouvrir un restaurant de soul food.

Georges Hardy s’enfonce dans la nuit, direction le Blue Note à deux pas des Champs-Élysées, où Lou Bennett s’est installé à l’orgue. Si l’atmosphère est assurément plus feutrée qu’à l’Olympia, la musique y est tout aussi brûlante. Un public d’étudiants, de réservistes de l’armée américaine, d’employés d’ambassade et d’artistes polyglottes applaudit la performance dans la pénombre, un joint à la main. « Le jazz c’est une manière très simple de dire avec sa peau, avec ses doigts, comment on sent la vie, le poids des choses, car il ne faut pas se tromper, les musiciens disent des choses, il faut les sentir », glisse le journaliste de la RTS, de sa voix mélodieuse. Si les cuivres et les pianos parlent, que racontent ces musiciens afro-américains en exil ? Que cette musique joue pour tout le monde, qu’on ne peut réduire tout un peuple au silence, que le jazz est avant tout une musique de libération et de révolte. Et si le mythe de « l’âge d’or du jazz parisien » est aujourd’hui nuancé par certains historiens – rares sont les musiciens à avoir réellement réussi dans la capitale, Paris était loin d’être la seule place du jazz en Europe, la période troublée de la guerre d’Algérie a montré que la France n’était peut-être pas le paradis anti-raciste prétendu – les jazzmen d’Harlem-sur-seine ont bel et bien fait souffler un vent de liberté sur la jeunesse française. À l’aube de mai 68, le free-jazz contre la musique de papa. En tendant bien l’oreille, on ne peut s’empêcher de penser que ce sont leurs histoires qui se racontent encore dans les clubs de jazz de la capitale.

Beaucoup d’autres films, documentaires et séries gratuits sont à retrouver sur la plateforme TV5MONDEplus.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant