À écouter : le phénomène australien HAAi livre 1h de mix techno et breakbeat survolté

Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Alec Donnell Luna
Le 27.02.2020, à 18h23
05 MIN LI-
RE
©Alec Donnell Luna
Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Alec Donnell Luna
0 Partages
Installée à Londres, la productrice australienne HAAi mène la vie dont elle rêvait adolescente. Un parcours de vie d’un bout à l’autre du Common Wealth entre muscle cars, rock psychédélique et révélation mystique au Berghain. Le mix exclusif qu’elle livre aujourd’hui à Trax est l’occasion toute trouver de se pencher sur son parcours.

Teneil Throssell saisit le téléphone que lui tend son agent Scott. Installée au calme dans les bureaux londoniens du manager, l’Australienne connue sous l’alias HAAi répond aux interviews avant une réunion promo. Son dernier EP Systems Up, Windows Down paru sur le label Mute, en licence chez [PIAS], est en train de se répandre à travers le monde. « J’ai vraiment l’impression d’avoir de la chance, de vivre un rêve », répond-elle quand on lui demande à quoi ressemble sa vie de DJ professionnelle. « Je ne ressens pas du tout la solitude que beaucoup de DJ décrivent en tournée », poursuit-elle. « La plupart de mes amis sont également sur la route et prennent des nouvelles constamment, si bien que je ne me sens jamais vraiment seule. »

La vie que HAAi mène en 2020 est exactement celle dont elle rêvait en quittant l’Australie au début des années 2010. Teneil Throssell a grandi à 22 heures de route au Nord de Pirth, dans une ville de 16 000 habitants appelée Karratha. « C’est une terre quasi désertique, faite de poussière rouge », décrit-elle. Les récents incendies qui se sont propagés sur la plus grande île du monde n’ont pas atteint ce coin reculé, la faute au climat, et à la végétation qui y est extrêmement rare. Retourner à Karratha, HAAi n’y pense pas. Elle dit : « Me rajouter des heures de vol en plus de celles que j’effectue déjà pour mon travail me fatigue beaucoup. Même si je joue à Sydney, je ne fais pas de détour par Karratha ». Entre les lignes, il faut comprendre que le coin paumé dans lequel la DJ a grandi ne lui manque pas. L’ennuie poussera aussi l’Australienne à prendre des cours de guitare et à rêver d’ailleurs depuis sa planche de surf.

Or et poussière

Le premier contact entre la dance music et Teneil Throwsell a lieu en 1999, alors qu’elle est encore enfant. Le morceau de breakbeat est d’Azzido Da Bass et s’appelle “Dooms Night (Timo Mass Remix)”. Il était présent sur une des compilations que ses parents passaient en voiture. « J’écoutais ce titre en cachette parce que mes parents trouvaient que ce n’était pas de la musique », remet-elle. Le beau-père de Teneil possède alors un garage automobile dans lequel il restaure des muscle cars. Teneil se souvient particulièrement d’une Ford Falcon couleur or qui filait à travers les nuées de poussière rouge. « Le week-end, prendre la route était une activité en soi. On roulait dans les grands espaces en écoutant les compilations de mes parents. »

Ce n’est pas la musique électronique qui pousse l’Australienne à gagner l’Europe mais le rock psyché. Après le lycée, la guitariste gagne Sydney. Elle évolue alors dans un milieu influencé par Velvet Underground et tout ce qui ressemble de près ou de loin à du shoegaze. Après plusieurs essais dans des groupes, elle forme Dark Bells avec Ash Moss et Geno Carrapetta. Le groupe va connaitre un succès certain, provoquant son déménagement de Sydney vers Londres, dans l’idée de se professionnaliser.

« Vivre de la musique est ce à quoi j’ai toujours aspiré », reprend HAAi, dans le silence du bureau de son manager. La musicienne ne semble pas regretter l’époque où elle aurait pu devenir une rockstar. « Une fois arrivée à Londres, les relations au sein du groupe devinrent compliquées, voire ingérables », confie-t-elle. Le groupe se sépare après deux EP à la faveur d’un concert au festival de Glastonbury en 2014. « Ce qui était censé être un grand événement s’est révélé être une catastrophe », commente l’ex-guitariste. Fin du chapitre rock pour Teneil Throwsell.

Surprise Berlinoise

Berlin, 2014. La musicienne passe un séjour dans la capitale allemande avec une amie. Au moment où elle choisit sa destination, Teneil Throwsell se désintéresse du rock psyché. Son intérêt pour le krautrock l’a menée à la musique électronique. Elle passe occasionnellement des edits de disco et de répertoire boogie turc dans un bar de Dalston. À Berlin, les deux Australiennes font la queue pour entrer au Berghain. Ben Klock mixe et Teneil a une révélation. « Jusqu’à cet instant, je voyais la musique électronique de la même manière que mes parents. Arrivée face à Ben Klock, j’ai compris l’intensité, l’engagement du public et la dimension psyché de la musique ce soir-là ».

Fraichement initiée à la musique électronique, Teneil Throwsell s’engage dans le mouvement à Londres. Elle lance les soirées Coconut Beat qui grossissent, la mène jusqu’à un statut de résidence dans le célèbre club Phonox, à Brixton. Elle ouvre pour le musicien Jacques Greane, qui se lie d’amitié avec elle. À la radio, HAAi anime des créneaux sur Rinse puis sur Worldwide FM. Le 29 septembre 2018, elle est contactée par Pete Tong, pour un essential mix sur BBC radio 1. Élu plus tard meilleur mix de l’année par la BBC, il propulse la carrière de la musicienne. Lors d’une Boiler Room à Belfast en juin 2019, HAAi joue le morceau d’Azzido Da Bass qu’elle avait l’habitude d’écouter seule dans les boomers de la Ford familiale. Dans son dos, une spectatrice chute en tentant d’enjamber une barrière. La foule est hystérique. La musique que produit Teneil démontre son pouvoir sur une jeune génération d’amateurs de breakbeat de proto rave anglais.

Le rapport qu’entretient aujourd’hui Teneil avec la musique est très professionnel. Elle anime quotidiennement une communauté de 40 000 followers sur Instagram. Le week-end, la DJ enchaîne les dates et les checks-in à l’aéroport. La semaine, il y a les réunions au bureau. Teneil Throwsell compose dans les interstices de son agenda. « J’écris mes morceaux dans les aéroports ou à bord des avions. Je produis tout sur ordinateur », explique-t-elle. Sa musique est essentiellement composée de samples empruntés à des cultures étrangères et d’échantillons sonores enregistrés autour d’elle : le claquement d’une porte, le bruit d’un métro, un discours en arabe trouvé à Marrakech posé sur une mélodie trance. Teneil Throwsell retravaille ensuite ces sons, les déforme et en tire une techno très club et breakbeat. Une musique très radicale, que la productrice peine parfois à décrire quand se pose la question de ses choix esthétiques, ou de son recours au sample.

Dans une chronique, Resident Advisor accuse d’ailleurs la productrice de « trivialiser les samples » qu’elle exploite dans son dernier EP : « [La productrice emprunte] sans aucun crédit ni contexte, et son choix s’explique difficilement », écrit Andrew Rice pour RA. « Le fait que le morceau porte le nom d’un mème banalise encore l’échantillon […] Il est difficile de dire si HAAi met la voix en valeur ou si elle choisit de s’en moquer ». Le rapport de la productrice à sa musique et aux ponts culturels qu’elle dessine semble parfois incernable, même pour elle. La profondeur palpable de ses productions, leur complexité, HAAi ne sait pas toujours en rendre compte. « À vrai dire, je ne me pose pas réellement la question. J’ai recours à des techniques de field recording parce que c’est comme cela que j’ai appris à composer. » En faut-il vraiment plus pour faire sauter les kids de Belfast ?

HAAi sera présente au festival DGTL d’Amsterdam le 11 avril prochain.

Tracklist

  • ELKA – LVURSELD interlude
  • Kamus – Unreleased
  • Kamus and Pinball Spider – Unreleased
  • Kiig – Unreleased
  • Luar Domatrix – Lance
  • OZZY – Unreleased
  • Shokh – Unreleased
  • Steevio – Syzygy
  • Hodge – Unreleased
  • Nathan Fake – Unreleased
  • Roza Terenzi – Unreleased
  • Kiig – Unreleased
  • Pev & Asusu – Surge (MMM remix)
  • LOCKED CLUB – Doschitai
  • Prospa – Unreleased
  • Delay Grounds – Unreleased
  • OZZY – Unreleased
0 Partages

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant