Raves, post-punk, activisme, clashs esthétiques, artistes, labels, festivals… La deuxième région économique et culturelle française a aussi une longue histoire de musiques électroniques et de fêtes. Des artistes décomplexés, des grandes villes, un climat clément, une situation géographique idéale à l’échelle européenne, et le dynamisme d’acteurs ayant su faire comprendre leur démarche aux pouvoirs publics : la région Rhône-Alpes a prouvé qu’elle est un terreau idéal pour la fête électronique. Ca n’a pourtant pas toujours été facile et la région a occupé le premier rang de la répression anti-techno au milieu des années 90, avant de connaître un second souffle libérateur dans les années 2000. Sa capitale, Lyon, n’a rien à envier à la plupart des grandes villes européennes avec un festival majeur, des labels ambitieux et des artistes qui s’exportent dans le monde entier.
Comprendre comment cette région a su importer puis s’approprier une telle culture alternative de la fête tient à un certain nombre de facteurs caractéristiques. Insurrection, résistance et engagement sont dans l’ADN rhônalpin. Des révoltes de la faim du XVIe siècle à la première émeute contre les violences policières du quartier populaire des Minguettes en 1981, en passant par la fameuse révolte des Canuts et les maquis savoyards de la Seconde Guerre mondiale, la domination d’une certaine bourgeoisie conservatrice s’est toujours vue opposer une culture de combats pour la liberté.
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Première région sinistrée
En intégrant les autres disciplines artistiques tout en déconstruisant les hiérarchies, la scène électronique impose le danseur comme seul centre de la fête, et aucun dogme pour le contraindre. Ce n’est donc pas par hasard si le mouvement de célébration des musiques électroniques a reçu un tel accueil dans la région. Des radios locales, comme Maxximum, commencent dès le début des années 90 à diffuser les balbutiements de la dance music. 1992 voit l’arrivée des premières rave partys dans la région. Elles sont organisées par Chuck et Loïc Tregger et immédiatement adoptées par un grand nombre de jeunes qui dansent pour dire leur colère et provoquer le pouvoir. Comme à Pommiers, où 1 200 personnes se retrouvent dans un domaine pour faire la fête. L’année suivante, le Marathon Rave, avec Carl Cox aux platines, rassemble 3 000 personnes dans un hangar à Meyzieu avec notamment Derrick May. La première grande rave intra-muros de Lyon, Cosmic Energy, autorisée par le maire Michel Noir, a lieu le 12 février 1994 dans les anciens abattoirs de la Halle Tony Garnier et réunit près de 9 000 personnes !
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Une boutique de disques fédère le microcosme de ce nouveau genre : Independance records. C’est cette même année que le premier club du genre ouvre à Lyon : l’Hypnotik. Le lieu est un symbole de la « fête techno » et regroupe plus d’un millier de personnes tous les samedis soir. Mais l’établissement ferme ses portes au bout de quelques mois et les raves se multiplient alors sur l’ensemble de la région : Valence et déjà Annecy et Grenoble. De son côté, la ville de Lyon est surtout connue dans le monde des musiques électroniques comme la capitale de la répression : le magazine Coda titrait dans son premier hors-série : « Rhône-Alpes, première région sinistrée ». Cette réputation se confirmera avec le fiasco de la soirée Polaris : le 24 février 1996, à la Halle Tony Garnier, l’association responsable du festival Boréalis de Montpellier organise une soirée qui devait regrouper la crème des musiciens électroniques de l’époque : Carl Cox, Prodigy, Sven Vath… L’investissement financier est considérable (environ un million de francs). Plus de 10 000 personnes sont attendues et beaucoup sont déjà en ville ce samedi après-midi quand, sous la pression de l’Association des discothèques de Lyon et sa région (ADLR), inquiètes de voir leur clientèle déserter leurs établissements au profit des raves, la mairie de Raymond Barre revient sur son autorisation pour la nuit et ne l’accorde que jusqu’à 00.30… L’événement est annulé, créant une frustration sans précédent sur l’ensemble de la scène nationale. Les acteurs de la scène électronique française se mobilisent et se retrouvent en urgence à Lyon. Ensemble, ils créent l’association Technopol, toujours organisatrice de la Techno Parade et de la Paris Electronic Week, pour favoriser la reconnaissance de cette musique par les pouvoirs publics et pour la promouvoir auprès du grand public.
Renaissance
La répression a eu pour effet de casser le mouvement en deux : d’un côté, ceux qui souhaitent intégrer la rave au reste de la vie nocturne, de l’autre, ceux qui contestent à l’autorité politique le droit de réglementer leurs fêtes et se radicalisent, rejoignant alors d’autres mouvements contestataires et fortement politisés. C’est une période de descente aux enfers pour la scène techno lyonnaise.
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Mais la techno n’est pas le seul genre électronique représenté à Lyon. D’autres artistes et collectifs défendent une culture alternative underground. Nombreux sont les Lyonnais qui rendent encore aujourd’hui un hommage sans retenue au Pez Ner : « C’était l’époque où tous ceux qui avaient passé leur adolescence à faire la gueule sur le côté de la piste de danse et quelques années à conchier la pauvreté musicale de la techno se sont soudain retrouvés. »
Si Lyon est le bastion de la répression, il est aussi un bastion de la techno underground. Les soirées continuent dans un cadre plus privé, les artistes se fédèrent et les acteurs créent des labels. Cela donne lieu à un bouillonnement créatif qui dépasse largement les frontières de la région. C’est aussi le début de l’aventure Independance Records qui a fermé depuis. Et puis il y a la scène noise locale, avec des lieux comme Grrrnd Zero et le Sonic, qui ont donné à la ville une place dans le monde des musiques alternatives les plus exigeantes.
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Autre grande ville de la région, Grenoble est considérée comme l’une des trois technopoles françaises avec Rennes et Montpellier. Ces villes où les industries technologiques sont le moteur de l’activité économique se sont retrouvées comme fers de lance de la musique techno (lire à ce propos l’excellent livre du collectif grenoblois Pièces et main-d’œuvre : Techno, le son de la technopole).
Et il y a la Suisse voisine et ses plaisirs souvent bien cachés ! Si Genève et Lausanne ont une histoire assumée de clubbing, dans sa définition la plus commerciale, des parenthèses enchantées comme l’Artamis y ont bien eu lieu. Cet espace de liberté total, autogéré, en plein centre de la ville de Genève, fut pendant longtemps une référence du genre, à l’instar de Christiania de Copenhague. L’Artamis est malheureusement passé sous les bulldozers il y a quelques années déjà. Les autres squats sont tombés dans la foulée sous la pression des pouvoirs publics.
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Vers le premier âge d’or ?
De nombreux festivals, de belles salles, des artistes et des labels dans tous les sens, la région semble vivre une époque sereine pour la première fois de son histoire. On ne le sait que trop bien : l’utilisation d’Internet a permis de désenclaver les initiatives créatives où qu’elles se trouvent. La zone Centre-Est n’y a pas échappé et on voit poindre de toutes parts de nouvelles initiatives pertinentes au niveau international.
Le dialogue avec les pouvoirs publics, mené notamment par Vincent Carry des Nuits sonores, a repris. Les décideurs ont mieux compris l’importance culturelle de la fête dans leurs villes. Ils ont pu être témoins de la portée que pouvait avoir une fête, un club, un festival et comment l’image positive de ces manifestations pouvait déteindre sur une ville tout entière. Les fêtards ne sont plus considérés comme une nuisance mais de plus en plus comme un atout vivant, générant de l’activité et du tourisme. L’annulation du festival trance Hadra cette année, suite à la décision du maire de Lans-en-Vercors, prouve toutefois que rien n’est acquis dans la région et que le manque de volonté et de courage politique de certains responsables continuera certainement longtemps d’être un frein à la fête. Le combat continue !
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