Toutes les femmes qui ont l’habitude de sortir dans des clubs, des warehouses, des festivals techno en France connaissent le problème par cœur. Les fêtards un peu trop insistants qui confondent drague et harcèlement sont légion. Après plusieurs témoignages de victimes d’attouchements sur de célèbres groupes Facebook ces dernières semaines, c’est l’ensemble de la communauté techno qui est brutalement mise face à ses responsabilités. Leurs prises de parole, courageuses, ont (re)lancé le débat. Et convaincu deux étudiants bordelais, Jérôme et Hippolyte, de créer un groupe Facebook sur le sujet.
Le premier décembre dernier, “BienVeillance” était né. Un espace de parole libre et horizontal, censé aider à trouver des solutions communes face aux agressions sexuelles sur le dancelfoor. « Cela faisait des mois qu’on y pensait, on s’est enfin lancé », explique Jérôme. « Avec ce groupe, on veut réfléchir et agir ensemble, notamment sur le rôle des hommes dans ce combat. On part du principe que l’écrasante majorité du public des soirées techno condamne ce type de comportements ». Et il devient urgent d’agir : selon une étude menée par l’association Consentis sur 1030 individus en France en 2018, 60 % des femmes auraient déjà subi des agressions sexuelles en milieu festif.
Plus de 3000 “BienVeillant·e·s”
Le succès du groupe Facebook créé à Bordeaux est immédiat. En trois jours, il compte 1 000 membres. Deux semaines après, ils sont aujourd’hui plus de 3 000 “BienVeillant·e·s”. Certains proposent des modes d’action face aux “frotteurs”, d’autres postent des selfies pour signaler leur présence à une soirée et inviter à se rencontrer, des victimes d’agression profitent de la plateforme pour rendre public leurs témoignages. Après quelques jours de débats par commentaires interposés, une solution émerge : les membres du groupe s’engagent à porter un tissu blanc épinglé sur leurs vêtements dès qu’ils vont danser, et se rendent disponibles pour aider toute victime d’agression ou de harcèlement. Tout le monde peut participer au mouvement, tout le monde peut s’auto proclamer “BienVeillant·e”. En se basant sur les témoignages de plusieurs victimes, Hippolyte et Jérôme ont écrit des conseils pour agir face à un comportement suspect : demander à la victime comment elle se sent, lui proposer de faire un tour dans un lieu plus sûr, prévenir le staff de l’événement. Surtout, ne pas se montrer violent : cela pourrait mettre en danger la victime. Toutes ces solutions sont plutôt en accord avec les solutions proposées par les associations féministes spécialisées.
Une charte à ajouter aux événements
Le groupe s’adresse aussi aux organisateur·ice·s de soirée : les administrateurs ont rédigé une charte à ajouter aux descriptifs des événements qui adhèrent à leurs valeurs. Ce court texte explique l’initiative des Bienveillant·e·s et invite à se reporter à eux en cas de problème. Emmanuelle Griffon, 29 ans, organisatrice des soirées techno CARE/MESS, prévoit d’adopter cette charte. Car en tant que clubbeuse de longue date, la Parisienne a fait face à de nombreuses situations de harcèlement. « C’est tellement courant d’avoir un mec qui te suit ou que tu ailles, s’approche, se frotte à toi… J’ai même arrêté de boire de l’alcool quand je ne connais pas tout le monde à une soirée. En tant qu’organisatrice, j’ai fait du bien-être des fêtards mon cheval de bataille. Mais au sein du collectif CARE/MESS, nous sommes trop peu nombreux pour pouvoir vraiment tout surveiller. » Alors selon Emmanuelle, les brassards blancs peuvent être une solution. « C’est vrai que quand on se sent menacé, on ne sait pas forcément à qui s’adresser, parce qu’on ne sait pas si les gens autour de nous sont des amis de l’agresseur. C’est plutôt rassurant de pouvoir identifier les personnes bienveillantes », reconnaît-elle.
Dans les faits, l’initiative des BienVeillant·e·s sera-t-elle vraiment utile ? Quelles sont les chances pour qu’un·e fêtard·e en danger repère justement un brassard blanc autour de lui au moment où c’est nécessaire ? Ces bons samaritains pourraient-ils s’avérer dangereux, violents, pas assez à l’écoute ? Il est encore trop tôt pour le dire. Une chose est sûre : dans le milieu techno, on prend peu à peu conscience du travail à accomplir pour que chacun se sente en sécurité sur le dancefloor. Chez les militant·e·s queer, la question est depuis plusieurs années omniprésente au travers du concept de « safe space ». Il est temps que tous·te·s les clubbeur·se·s se sentent concerné·e·s.