Le graffiti est-il devenu plus proche de la culture rave que du hip hop ?

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Zone
Le 03.03.2020, à 12h05
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Du 23 au 26 avril prochain, le Carreau du Temple à Paris accueillera une nouvelle édition de l’Urban Art Fair, foire d’art urbain célébrant le street-art et la culture du graff, intimement liée à l’univers de la nuit et donc de l’électronique. Rencontre avec trois artistes qui mêlent bombes de peinture et musique électronique.

Par Brice Miclet

Si le street-art et le graff sont régulièrement enfermés dans une imagerie liée au hip-hop, leurs liens avec les musiques électroniques sont historiquement très forts. Les pochettes de Keith Haring pour Peech Boys, Members of the House ou Crystal Waters, le logo graffé du label new-yorkais Strictly Rhythm, ou encore la proximité supposée entre Massive Attack et Banksy… Ca n’est pas pour rien que de nombreux musiciens électroniques ont démarré leur carrière en taguant les murs de leurs villes : l’éclectique Adam X, le boss de la drum’n’bass Goldie, celui de la deep house Fred P… À l’occasion de la cinquième édition parisienne de l’Urban Art Fair, qui se déroulera du 23 au 26 avril prochains au Carreau du Temple, nous avons questionné trois musiciens sur leur rapport aux arts de rue qu’ils pratiquent, ou ont pratiqués. Ils représentent trois générations, trois univers distincts fait de house, de hip-hop, d’électronique expérimentale, et de bombes de peinture. Shazz pour la place qu’il a donné au street-art sur ses pochettes, Grems pour son travail de graphiste émérite, et S8jfou pour son passé de graffeur vandale.

À quel point votre pratique du street-art ou du graff a pu influencer votre musique ?

Grems : Mon cas est un peu particulier : j’ai fait la paix entre ces deux mondes depuis deux ans seulement, avec mon dernier album. Avant, je me mettais toujours au service de l’un ou l’autre. Ma démarche, depuis peu de temps, a été de tout effacer dans ma tête, d’arrêter d’être dans la démarche uniquement musicale, ou uniquement graphique. J’ai accepté que ce que je faisais en musique était similaire à ce que je pouvais peindre. Je peins des mots, je fais de l’assemblage musical.

S8jfou : J’ai commencé le graff en 2006, très très jeune, et ça a été l’unique but de ma vie pendant plus de 10 ans. Plus tard, la découverte de la musique et d’autre formes d’art m’ont fait quitter progressivement cet univers. Mais c’est indéniable qu’il a et aura toujours une place extrêmement importante dans mes choix artistiques et dans ma façon d’aborder la vie. Par exemple ça a été une chose tout à fait naturelle d’imprimer des milliers de stickers avec mon nom d’artiste et de les coller partout pour mon auto-promotion. Le graffiti c’est la débrouille, l’autonomie. C’est comme ça que j’ai abordé la musique aussi, j’ai toujours tout fait tout seul. Je n’ai jamais besoin de personne pour me fabriquer une identité visuelle, l’école du graffiti t’apprend à profiter du système. J’ai gravé mes premiers CD avec des boîtes volées, j’avais sorti aussi de la Fnac une imprimante photo pour avoir du vrai papier plastifié sur la jaquette, j’ai toujours volé les plus belles enveloppes dans lesquelles j’envoie mes albums par la Poste à ceux qui les commandent, j’ai volé des instruments de musique en magasin etc… Le graffiti t’apprend que si tu sais être furtif, rien n’est inaccessible. Et ce principe se reporte à ma façon d’aborder la musique. Je me débrouille par moi même pour arriver là ou je veux aller, en passant par les portes de sorties, par les interstices.

Shazz : Le street-art n’a jamais vraiment influencé ma musique mais plutôt certains de mes visuels. Que ce soit mes premières pochettes de CD créées par Geneviève Gauckler pour F.Com, ou PiF pour mon premier album en 1998, ou encore les vidéos d’Aurora Boréalis ou de Mirage… J’ai toujours apprécié les visuels modernes assez proches du pop-art. 

Le hip-hop et le graff sont extrêmement liés historiquement, et dans l’imagerie populaire, mais qu’en est-il des liens entre graff et musiques électroniques ?

Shazz : Il est clair que le dessin de rue a une histoire assez parallèle à la musique électronique, car comme elle, tout a démarré dans l’anonymat, l’underground et avec des moyens très limités, un peu comme pour les raves et la techno. Aujourd’hui, les graffs sont exposés dans les plus grands musées d’art moderne et se vendent à prix d’or, tout comme les DJs trustent les charts et rassemblent des foules gigantesques. Les artistes du street-art qui ont commencé par dessiner sur les murs des villes se sont ensuite retrouvés dans des galeries encensés par la crème de l’art. Pour moi une histoire très similaire à celle l’électronique.

S8jfou : Malheureusement l’idée du graff lié exclusivement au hip-hop demeure très forte pour ceux qui ne font pas parti du milieu. C’est un stigmate du cinéma, des vieux clips de rap. Mais pour nous, cette image est morte depuis longtemps. Si tu traînes sur les terrains, là ou c’est légal, tu verras une tripoté de types bloqués dans un espace-temps étrange, reproduisant les même graffitis qu’il y a vingt ans, portant les mêmes vêtements, écoutant la même musique. Mais le graffiti n’a évidemment rien à voir avec ce genre de fresques « tuning ». Il se passe dans la rue, sur les toits, sur les trains, sous le béton. Et je dirai qu’il est majoritairement devenu rave, ce graffiti. Techno, il monte ses vidéos de train sur des classique de house, il déambule sur du gabber au levé du jour, il se drogue et voyage, car ne l’oublions pas, le graffiti est majoritairement un truc de jeune, et les jeunes vivent avec leur époque. Le graffiti est une marge hors des lois, et si on regarde ce qui correspond aux marges hors des lois dans la musique actuelle, on s’aperçoit que le graffiti colle en effet avec ce que je viens de décrire. Je crois aussi que le hip-hop s’est embourgeoisé dans ses codes et qu’une esthétique « quartier » ou « précaire » n’est plus du tout actuelle, c’est même tout l’inverse aujourd’hui. Ce qui n’est pas le cas du graffiti, donc les deux se sont éloignés.

Parvenir à lier ses deux univers, c’est un gage de liberté ?

S8jfou : Aujourd’hui, la musique électronique est le courant musical le plus vaste et le plus « explorable » du paysage musical. Il est né presque en même temps que le graffiti. Mais surtout, l’époque fait qu’il ne cesse de devenir plus vaste encore, plus libre, plus possible, car des outils naissent chaque jour, de nouveaux instruments, de nouvelles possibilités sonore, et c’est une exploration sans limite, qui ne respecte aucune règle. Combien de style musicaux les instruments électroniques ont fait naître ? Ça doit être à peine chiffrable. Rien ne cloisonne ces sonorités accessibles à n’importe quelle personne curieuse n’ayant aucune compétence avec un instrument quelconque. Le graffiti est exactement pareil. Les outils sont vastes et on en voit encore de nouveaux naître, de nouvelles façon de les utiliser aussi. Un Saeio sorti de la campagne française peu changer le graffiti comme un Aphex Twin a pu bouleverser la musique en sortant lui aussi de nulle part. Ce sont deux choses qu’on peut vraiment facilement comparer. La musique électronique à aussi pendant longtemps grandi dans des friches, sous des ponts, on en connaît l’histoire…

Grems : Tout s’allie. La liberté de travail est totale. Puisque je ne monte plus sur scène, que je n’en ai ni l’envie ni le besoin, j’en suis arrivé à me dire que c’était bizarre d’avoir autant de succès sur mon dernier album à mon âge. Du coup, avec mes enfants ça n’allait pas, en terme d’image ça n’allait pas, et je me suis aperçu que faire les deux de chaque côté, ça n’était plus possible, plus pertinent. Désormais, le rap est comme un graff, c’est assumé. Aujourd’hui, je suis artiste, et je ne garde que ce que j’aime du rap. Faire des morceaux, l’entraînement, le petit clip, et salut. Pas d’interview, pas de promo, pas de blabla, pas de Closer… Du coup, je respire vraiment, je vois un morceau comme une œuvre d’art. C’est l’aboutissement de la paix entre les deux disciplines.

L’Urban Art Fair se tiendra au Carreau du Temple, à Paris, du 23 au 26 avril prochain. Toutes les informations sont à retrouver sur la page Facebook de l’événement. La billetterie est ouverte ici.

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