J’ai cru comprendre que tu avais commencé la musique parce que ton oncle, producteur, t’avait donné quelques machines…
Oui, il m’a donné un ordinateur Atari et un sampler Akai. Mon oncle faisait de la dance music, dans la pure tradition 90’s. J’étais très jeune, il m’a dit : “Sers-t’en pour le fun. Ne deviens jamais musicien, n’y pense même pas.”
Tu as grandi en Angleterre au début des années 90. Tu es tombé dans la vague acid, les raves, le Second Summer of love. ?
J’étais un peu trop jeune, mais les amis de mon père étaient en plein dedans. Ils ramenaient des CD et des cassettes pirates de rave music à la maison. C’est ainsi que j’ai commencé à produire : en copiant ces enregistrements. Prendre un break de James Brown, le pitcher… Ça a été, inconsciemment, mon introduction à la musique électronique. Je n’ai pas reçu de formation “acoustique” et j’ai toujours connu les ordinateurs. Je dois être une des premières générations à avoir commencé la musique avec des machines. La musique “électronique” a toujours été présente dans ce que j’écoutais, et je ne m’en rendais pas compte. Avec un pote, on passait notre temps à disséquer les musiques de jeux vidéo, mais on ne se disait pas : “Waw, c’est de la musique faite avec des machines.” C’était normal, ça faisait partie de notre environnement.
Tu n’utilises que des machines pour composer ?
Principalement une MPC 2000, depuis le début. J’achète beaucoup de machines pour mes live, et finalement, je ne m’en sers pas parce que je me rends compte que je n’aime pas les utiliser… Alors je les revends, pour en acheter d’autres (rire). J’essaie de changer ma façon de composer. Tu serais surpris si tu entendais certains de mes morceaux.
Lesquels ?
Oh, des trucs que je ne sortirai jamais. Je compose énormément de musique, mais seule une infime partie sort sur mes albums : un morceau sur trente, je dirais.
Où vis-tu maintenant ? Tu bouges énormément…
Depuis deux ans, je vis en Angleterre : retour à la maison. Mais c’est vrai que je déménage assez souvent… J’aime “expérimenter” les endroits où je vis. J’étais à Berlin avant, mais je ne sortais pas vraiment là-bas. Ce que j’aime, c’est rester chez moi et faire de la musique. J’étais parti en me disant que j’allais faire le meilleur disque de ma carrière là-bas, un disque techno. Bien sûr, j’avais en tête Bowie avec sa trilogie berlinoise… Mais ça n’a pas vraiment été le cas. Et il faut admettre qu’il fait bon vivre à Berlin.
Après ça, tu es retourné vivre en Angleterre ?
Oui, chez ma grand-mère, dans l’Essex, faute de logement. Mais c’est quelque chose d’assez normal de vivre avec toute sa famille : elle est Indienne. J’ai une relation très spéciale avec elle. C’est fou à quel point elle est capable de s’émerveiller et de profiter de la vie, encore à son âge. Elle me dit souvent de faire ce que je veux, et c’est tout. Je pense qu’elle a eu une certaine influence sur ce dernier album, en me répétant qu’il fallait que je prenne mon temps : je n’étais pas pressé de faire quelque chose qui allait marcher commercialement. Paradoxalement, j’ai rarement fait quelque chose d’aussi pop sur le dernier album.
Tu enregistrais dans la maison de ta grand-mère ?
Oui, je m’étais arrangé un petit studio dans une des chambres. J’ai vécu de façon très sage, presque monacale, mais je voyais des gens quand même. Pendant l’enregistrement de l’album, je me levais, j’allais marcher une ou deux heures, je m’enfermais dans mon petit studio, passais un peu de temps avec ma grand-mère, et j’allais me coucher. Ça m’a permis de profiter de ma famille et de faire d’une pierre deux coups. Maintenant, je vis à Londres.
À la base, ce disque était un tout autre projet, non ?
Oui. J’étais parti pour faire un livre de photos sur le Japon avec une photographe, Laura Lewis. J’étais chargé de l’ambiance sonore, j’étais censé faire du field recording… Mais ça s’est transformé en album. Le livre sortira quand même et il s’appellera comme l’album.
D’où vient le nom de ton nouvel album, Good Luck and Do Your Best ?
Je sortais d’un taxi au Japon et le chauffeur m’a dit ça en sortant. Je crois que c’est une expression assez courante là-bas, mais un anglophone ne dirait jamais ça ! En japonais, ça se dit ganbatte kudasai. C’est bizarre, je n’allais même pas jouer un concert, on allait voir le dôme de Genbaku, qui est apparu après la bombe atomique à Hiroshima. Ça m’a marqué, je ne sais pas trop pourquoi.
En parlant de catastrophe, tu étais au Japon pendant le tsunami ?
Non, je ne vivais plus au Japon à l’époque, j’étais dans mon lit à Hambourg. D’ailleurs, il s’est passé un truc assez bizarre : cette nuit-là, j’ai rêvé d’un tremblement de terre sous l’eau. Je me réveille et j’apprends ce qu’il s’est passé au Japon…
C’est fou !
D’ailleurs, il vient d’y avoir un tremblement de terre, il y a dix minutes. Mais ça a l’air d’aller, c’est arrivé sous la terre et pas sous l’eau.
Tu es passionné par le Japon depuis longtemps. Comment as-tu commencé à t’intéresser à cette culture ?
Avec les mangas et les animés et je pense que je ne suis pas le seul. La culture japonaise est tellement particulière, si différente de celle qu’on connaît. Elle est aussi très variée en fonction des villes. Tokyo est une ville tellement inspirante, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’y ai vécu pendant quelque temps. Je fantasmais depuis longtemps sur cette ville, j’ai donc décidé de déménager à Londres afin d’apprendre le japonais, mais je n’avais pas de sous. J’ai donc revendu tous mes CD de rap pour aller à la fac… Et c’était vraiment l’une des meilleures décisions de ma vie. D’ailleurs, ne le dis pas à mon manager, mais j’aimerais vraiment reprendre les études pour apprendre le chinois et aller sur place par la suite. Enfin, d’abord, c’est la tournée, ça va me prendre toute mon énergie…
Justement, comment tu appréhendes le live, les tournées ?
Après mon premier album, je suis parti en tournée pendant trois ans. C’était beaucoup trop. À la fin, j’étais vidé. Là, on sort le nouvel album, je pars en tournée jusqu’à la fin de l’année et j’aimerais directement embrayer sur le disque d’après. Bien que je travaille avec des machines qui peuvent être transportées, je n’ai pas du tout l’habitude de composer sur la route. Il me faut un cadre plus calme et serein, comme chez moi.
Certains artistes occidentaux sont très populaires au Japon, davantage que chez eux. Alphaville en a même fait une chanson. Toi aussi, tu es “big in Japan” ?
Non (rire). J’ai dû vendre 500 albums au Japon dans toute ma carrière ! Mais, en effet, quand j’y vivais, je voyais des groupes anglais à la TV qui cartonnaient là-bas, mais dont personne n’a jamais entendu parler en Grande-Bretagne. C’est bizarre quand même : à mon avis, ce sont des boys bands fabriqués de A à Z par les maisons de disques, qui jouent sur le côté occidental.
Tu vis maintenant à Londres. On entend dire que la nuit se meurt là-bas, surtout après la fermeture du Dance Tunnel…
Oui, la vie nocturne est en train de disparaître et on n’arrête pas de nous dire qu’il y a trop de monde à Londres, qu’il n’y a plus vraiment de place… Mais c’est des conneries ! On ne voit que des immeubles privés, tous plus luxueux les uns que les autres et complètement vides ! Il n’y a qu’à se promener dans l’Ouest pour s’en rendre compte. Les avantages fiscaux sont importants pour les propriétaires immobiliers, la spéculation bat son plein et la vie quotidienne devient hors de prix. Donc tous les bâtiments sont “occupés”, on ne peut pas y ouvrir de clubs, et s’il y en a un, il ferme à cause des plaintes des voisins. À qui l’on donne raison systématiquement, soit dit en passant.
Tu t’apprêtes à sortir un morceau sur Pampa Records, le label de DJ Koze, où tu sembles dévoiler une facette plus house et dansante que d’habitude…
Oui, ça m’arrive ! J’ai envoyé le morceau à DJ Koze il y a quelque temps, tu l’as déjà rencontré ?
Non, pourquoi ?
Tu verras (rire). Un mec adorable, mais complètement taré. Enfin, je crois qu’il a apprécié ce morceau et qu’il voulait le sortir. Il m’a même dit qu’il le jouait dans ses sets !
Il t’arrive de mixer ?
Non. J’aimerais bien, mais je crois qu’il faut de vraies capacités avant de pouvoir prétendre être DJ et être payé pour ça. On me l’a déjà proposé, mais je ne me sentais pas vraiment prêt et je ne voulais pas utiliser le nom Gold Panda juste pour être booké. Remarque, ce serait une excuse de plus pour acheter des disques…
C’est quoi ton dernier achat ?
Infant Eyes de Doug Carn. C’est sorti sur un label qui s’appelle Black Jazz. Je l’ai acheté bien trop cher d’ailleurs, mais bon, quand on est passionné…