Glazart, comment cette ex-gare routière est restée l’un des clubs les plus alternatifs de Paris

Écrit par Manon Beurlion
Photo de couverture : ©Dure Vie - Julien Thiverny
Le 09.08.2018, à 15h52
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©Dure Vie - Julien Thiverny
Écrit par Manon Beurlion
Photo de couverture : ©Dure Vie - Julien Thiverny
Coincé entre les clubs de la capitale et les friches du périph’, le Glazart s’est imposé comme un véritable carrefour des genres. Le club, pionnier aux côtés du Rex et du Batofar, fête aujourd’hui les vingt ans de sa programmation techno. Trax s’est entretenu avec son fondateur, Stéphane Vatinel et son actuel directeur, Arnaud Perrine, également présent depuis deux décennies.


Ancienne gare routière, le club a su garder un aspect brut, de sa direction artistique à sa fresque de street art longeant la file d’attente chaque week-end. Son âme industrielle, au coeur d’un quartier défavorisé devenu peu à peu branché, a su attirer autant d’artistes confirmés que de talents émergents. Dans un univers décalé et alternatif, l’espace est un lieu aux multiples facettes : salle de concert et lieu d’exposition le jour, il se transforme en club la nuit. Il constitue d’ailleurs depuis huit ans, un oasis urbain aux portes de la Villette l’été, appelé “LaPlage”. Fort de son histoire, le Glazart reste l’un des bastions de la scène underground parisienne.

Quelle était votre ambition en créant le lieu ?

Stéphane : En 1992, on crée Glazart au 93 rue de Meaux parce qu’à l’époque, il n’y avait quasiment aucun lieu pluridisciplinaire à Paris. Tous mes potes étaient musiciens, plasticiens ou comédiens… Ils voulaient pouvoir passer à Paris mais aucun endroit ne pouvait les accueillir. Ce n’était pas normal qu’ils ne puissent pas se produire dans la capitale, on a donc trouvé un endroit dans le 19e. On a tous lâché nos appartements pour pouvoir louer ce lieu, on l’a rénové avec une bande de copains et on a ouvert cet endroit qu’on voulait pluridisciplinaire. Nous nous considérions incompétents dans le milieu. On a donc mis à l’entrée de Glazart quatre gros bouquins : un pour l’art plastique, un pour le théâtre, un pour la musique et un pour la danse. Au fur et à mesure, les gens s’inscrivaient et ils étaient programmés à l’intérieur de Glazart.

En 1994 on a dû rendre les clés parce qu’on avait un bail précaire de deux ans. Le maire nous a proposé l’ancienne gare Eurolines, qu’ils n’utilisaient plus, aux portes de la Villette. On a donc fait des ateliers avec des grapheurs qui marchaient très fort à l’époque, et à côté de ça on a continué notre activité de concerts, danse, expositions et théâtre. L’ouverture officielle a eu lieu en 1996. 

Aujourd’hui, tout le monde fait du pluridisciplinaire et trouve ça tout à fait logique, mais il y a 25 ans ça n’existait pas beaucoup. En 1998, on a été déclaré SMAC (scène de musique actuelle de la ville de Paris). 

Quand Glazart a ouvert, le quartier avait assez mauvaise réputation. Quel impact ça a pu avoir ? Est-ce que cela se ressent encore aujourd’hui ? Comment est-ce que vous avez vu le quartier évoluer, à quoi ressemble-t-il maintenant ?

S : Ça a été un vrai pied de s’implanter là-bas. À l’époque, il y avait 20 arrondissements à Paris mais beaucoup de choses se passaient uniquement dans le centre. On avait comme ambition de créer un lieu qui éviterait aux gens du 19e l’obligation de se déplacer dans le 11e pour aller voir un concert ou autre. Quand on a ouvert, les choses sont allées très vite. Les habitants de proche banlieue venaient à Glazart parce que c’était accessible. De plus, on avait une programmation hyper éclectique : énormément de groupes, de compagnies de théâtres, de danse, ou de plasticiens qui n’avaient jamais été exposés à Paris pouvaient l’être à Glazart. 

Arnaud : En 1998, il avait effectivement une mauvaise réputation car c’est un des quartiers les plus défavorisés de Paris. Avec le temps, les populations ont évolué sans pour autant que la physionomie du quartier change vraiment. Il faut aussi garder en tête que La Villette a toujours été un quartier populaire et vivant mais n’a jamais été un coupe-gorge.

Vous avez eu un gros soutien des services publics ? 

S : Oui, le maire d’arrondissement nous a donc proposé ce lieu, on le louait à la ville de Paris, et au bout d’un moment la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) a décidé de nous soutenir. On avait lancé à l’époque toute la période du dub. C’était vraiment une salle de découverte. 

Comment a évolué le public et la réputation du club ? Les personnes qui venaient il y a 20 ans viennent-elles encore aujourd’hui ?

S : Cela n’a pas été difficile d’attirer le public. Beaucoup de gens n’attendaient que ça. Contrairement aux idées reçues, il y a toujours des foyers de gens qui n’ont pas envie d’aller en plein centre de Paris. Il y a eu la période du 6B, maintenant il y a les Gares des Mines (Station) qui font un carton. À l’époque, il y avait le Plan Ris Orangis qui cartonnait aussi. Il y avait aussi beaucoup moins de lieux de concerts qu’aujourd’hui donc ceux qui voulaient venir voir des groupes en découverte devaient venir à Glazart.

A : Les personnes qui venaient en 98 avaient entre 20 et 30 ans à l’époque. Avec le temps, ils ont arrêté de sortir, et je les comprends très bien puisqu’ils ont à peu près mon âge. Les seuls de l’époque qui reviennent sont ceux qui sont devenus artistes ou organisateurs. Les publics changent forcément en 20 ans d’existence, c’est normal que ça se renouvelle, et j’ai même envie de dire que c’est une bonne chose, ça nous permet d’avoir un public qui reste jeune.

Votre programmation est très éclectique, qu’est-ce qui fait l’identité/cohérence de Glazart ? Et quelle est la recette pour que le public se mélange ?

A : Personnellement j’ai développé ma passion pour la musique au contact des rave party. Or la Rave regroupe énormément de genres de musiques électroniques : trance, drum’n’bass, techno, hardtekno, hardcore, etc. Naturellement, lorsque j’ai repris la direction de Glazart en 2008, il me paraissait important que notre club soit ouvert à toutes ces cultures et à cette diversité. On vient des teufs, on aime les teufs, c’est normal que nous les fassions rentrer dans les clubs, c’est presque une action militante pour nous.

Quant à la question de la recette, c’est très simple : nous savons rester à notre place sans surfer sur les modes. Quand le public vient chez nous, il vient pour une programmation car ils font confiance aux organisateurs et les organisateurs nous font confiance parce qu’ils savent d’où nous venons et respectent notre intégrité. 

Il y a des genres peu représentés à Paris, comme la trance, le dub ou la drum’n’bass, qui ont toujours eu droit de cité chez vous. Quelles en sont les raisons ?

A : Même réponse (rires) Encore une fois, la culture rave englobe un grand nombre de musiques électroniques et nous voulons les laisser s’exprimer. Même si ces musiques ne plaisent pas à tout le monde, que ce soit au niveau du public voire même au sein de notre propre équipe, il me paraît important que des clubs comme le nôtre permettent à ces esthétiques de bénéficier d’un espace d’expression et de fête à Paris.

Le Glazart a un peu une image d’outsider sur la scène club. C’est quelque chose que vous revendiquez ?

A : En fait, lorsque j’ai organisé la première soirée techno à Glazart en août 98, il n’y avait que le Rex Club qui était déjà présent. Le Batofar venait lui aussi d’être lancé. Il n’y avait donc que ces 3 clubs qui jouaient de la techno à proprement parler à Paris. Du coup, outsider je ne pense pas que ce soit vraiment le bon terme. Pionnier ? Nous sommes d’ailleurs contents qu’il y ait aujourd’hui autant de clubs à Paris qui permettent de diversifier encore davantage l’offre pour le public. Au milieu de tout ce fourmillement nous gardons le cap depuis 20 ans.

Comment vous est venue l’idée de créer une station balnéaire en périphérie de Paris ? Qu’est-ce que LaPlage est venue apporter de neuf à l’expérience Glazart ? Est-ce que cette bande de sable a pu changer d’une manière ou d’une autre l’image du Glazart selon toi ?

A : Le 10 août 98, lorsque j’ai fait ma première soirée à Glazart, je me suis tout de suite demandé ce que nous pourrions faire de ces espaces extérieurs.

En 2006, l’ancienne équipe avait commencé à initier le projet avec l’organisation d’une joyeuse kermesse les pieds dans le sable et en plein air intitulée « Glaz’ au Pays des Merveilles » puis « Villette sur Mer ». 

En 2008, à mon arrivée à la direction de Glazart, nous avons décidé d’arrêter la kermesse que le public appelait déjà « la plage de Glazart » et de créer une vraie salle de concerts en 2010 que nous avons donc naturellement baptisée LaPlage.

L’évolution majeure a eu lieu en 2015 avec LaPlage 2.0 le premier et seul club open air dans Paris pouvant accueillir 1 500 personnes chaque nuit tous les weekends.

Ces évolutions consécutives depuis 9 ans nous ont permis d’être plus présents dans l’esprit du public grâce à une programmation beaucoup plus éclectique.

Bien évidemment nous n’avons pas tourné le dos à notre ADN underground puisque nous avons aussi des événements trance, bass music, hardtechno ou stoner rock sur LaPlage, mais notre programmation sur LaPlage fait la part belle aux musiques du monde, à la house ou encore au disco. C’est d’ailleurs cette ouverture qui nous a permis de faire un festival éclectique touchant vraiment le grand public, avec notamment des artistes tels que Georges Clinton, Dominique A, Pigeon John, Femi Kuti, Terrence Parker, Isolée, Pachanga Boys ou encore La Yegros tout récemment.

Quel est le plus gros risque que vous ayez pris au niveau de la programmation ?

A : Deux soirées m’ont marqué.

La première : Torture Garden, une grosse soirée SM londonienne. Nous n’étions pas forcément super rassurés puisque cela ne correspondait pas forcément à notre public habituel. Niveau communication, nous avons essayé de prendre quelques pincettes afin de ne pas non plus effrayer notre clientèle d’habitués et inquiéter les autorités qui se rendaient compte qu’il ne s’agissait pas des publics que nous avions l’habitude d’accueillir, mais tout s’est très bien passé.

La deuxième, c’est quand nous avons accueilli ce groupe de Noise Industriel dont le nom m’échappe, Alien Vampires, je crois. Techniquement et en termes de sécurité, c’était franchement galère parce pendant que l’un d’eux jouait de la meuleuse sur scène en découpant des bidons, l’autre samplait les sons et les remixait instantanément. Mais maintenant que j’y repense j’en garde un très bon souvenir, notamment parce que ça a prouvé que nous étions complètement capables de recevoir ce type de show chez nous.

Ton meilleur souvenir sur place…

S : Des souvenirs, j’en ai mille dans cet endroit. À l’époque, on avait eu Téléphone au Glazart. On était comme des fous parce que c’était des groupes complètement surdimensionnés par rapport à la taille du lieu. Je me souviens de ce groupe d’Anglais qui faisait du rock très brut et qui était arrivé avec des poules sur scènes. À la fin du concert, les mecs sont venus nous voir parce qu’ils voulaient les zigouiller sur scène. Ils nous avaient répondu : « Qu’est ce que vous voulez qu’on foute de ces poules, on va pas les ramener avec nous ? ». Ces poules sont devenues les mascottes de Glazart. 

A : Forcément, le premier souvenir que j’ai c’est la soirée QG du 10 août 1998. Ma première soirée à Glazart, je l’avais organisée avec Christian Boitel, nous avions invité Roch Dadier, DJ Kaine de radio FG et… moi-même sous le nom T.No. Un souvenir impérissable ! Mais il y a une autre soirée qui m’a vraiment marquée : une des soirées Meet dont Miss Ficel était la résidente, ça devait être en 2003 ou 2004. Ce sont ces soirées qui ont réellement lancé la drum’n bass à Glazart. Habituellement nous avions un grand nom en peak time et Miss Ficel s’occupait du closing de la soirée, mais ce soir-là elle avait fait un all night long, exercice de style toujours très compliqué, et elle l’avait réussi avec brio en retournant littéralement le public !

S’il y avait une chose à changer là-bas…

A : Le parking, derrière la salle…. ceux qui connaissent bien Glazart comprendront !

Il a parfois été question de déménager Glazart… Qu’en est-il aujourd’hui ?

A : L’idée suit son cours, on est d’ailleurs plus proche de la fin que du début. Ça va se faire dans les 2 à 4 ans, nous sommes sur plusieurs pistes, dont une assez proche de Glazart, mais c’est tout ce que je peux en dire à l’heure actuelle, affaire à suivre.

Quand as-tu quitté le Glazart, Stéphane ?

S : J’ai quitté Glazart en 2008 et je suis très content de ce qu’ils ont fait depuis. On avait lancé LaPlage parce qu’on avait repris un peu l’idée de Delanoe. On avait décoré toute cette terrasse avec du sable comme si c’était Alice au pays des merveilles. Et quand ils ont repris la plage pour programmer les concerts d’été, ils ont fait un super truc. Je n’aurais jamais osé mettre des gros groupes comme ceux qu’ils ont pu mettre ces dernières années, et ils ont eu raison parce que ça marche fort !

Y a-t-il des artistes qui sont blacklistés ? Des artistes abonnés ? Celui qui vous a amené le plus de monde ? Le moins de monde, mais sans regret ?

A : Non, nous n’avons pas vraiment d’artistes blacklistés, on a simplement appris à gérer les choses bien en amont.

En artistes récurrents à Glazart, on a eu Manu Le Malin, je pense que c’est l’un des artistes qui est venu le plus grand nombre de fois jouer ici. Sinon on peut aussi citer Hemka, ou encore les résidents des crews comme Container ou Secret Vibes.

Ils ont été nombreux à blinder Glazart ou LaPlage de Glazart : Bjarki, David Rodigan, Hilight Tribe, George Clinton, Chico Trujillo, Mad Professor, The Melvins. C’est même marrant quand on y repense parce que ce sont des artistes qui ne sont pas originaires des mêmes horizons musicaux.

Celui qui nous a ramené le moins de monde ? Pas sûr que ce soit celui qui ait ramené le moins mais oui, on s’était bien planté le soir-là avec The Hacker en 2011. Il venait jouer avec KCPK et Tarlouf pour la soirée Musique Mécanique. On a difficilement dépassé les 100 personnes…. C’était assez moche et très sincèrement, aujourd’hui encore, je ne comprends pas comment on a pu se planter autant avec une tête d’affiche comme lui.

 

Vous avez le même âge que la première étoile du maillot des bleus. Ça fait quoi de gagner la seconde ? Si vous deviez résumer ces vingt ans d’histoire en trois-quatre mots, quels seraient-ils ?

A : Résumer 20 ans d’histoire en quelques mots ?

1998 : ma première teuf techno organisée à Glazart avec Christian Boitel

2008 : je deviens directeur de Glazart avec l’envie d’en faire un vrai club, Glazart attirait à mon arrivée seulement 30 000 spectateurs par an

2018 : nous faisons désormais 130 000 personnes par an et j’ai le droit à ma première interview dans Trax ! Pari tenu !

 

Au fait, ça veut dire quoi « Glazart » ?

A : Si ce que l’on m’a dit est vrai ça signifierait « Regarder l’art » et serait inspiré du film Orange Mécanique.

Plus d’informations sur l’événement de la page Facebook.

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