“Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière“. Quelle subtile façon d’exprimer son amour pour l’intelligence émotionnelle. C’est bien à travers elle que chemine l’œuvre plastique et sonore d’Olivier Ratsi, dont la co-directrice artistique de la Gaîté Lyrique Jos Auzende est la commissaire d’exposition. L’objectif est noble : interroger la capacité de métamorphose de notre regard, notre appréhension spatiale et nos perceptions sensorielles de la couleur et de la lumière. Pour ce faire, Olivier Ratsi nous invite à une expérience à la fois personnelle et collective en proposant une autre façon de voir, de comprendre, de penser le monde d’aujourd’hui. La route vers le Spectre dure ainsi cinq chapitres. Pour cheminer, il faut parfois enfourcher une balançoire ou marcher sur un miroir. Et le jeu en vaut la chandelle.
Pour mieux percevoir cette dernière, l’artiste s’est permis de composer la bande son deux pièces : F(lux) et Negative Space. Pour le reste, le salut se tourne vers le producteur et ami Thomas Vaquié.

Quel est le point de départ de cette exposition ?
Olivier Ratsi : C’est avant tout l’invitation de Jos pour investir les lieux. Une partie des œuvres existait déjà, donc le but a été de les inscrire dans une thématique.
Jos Auzende : Je pense que c’est aussi la volonté de mettre des mots dans le langage de couleur. Avec “Faire Corps”, on était sur du noir et du blanc, où nous avons neutraliser la couleur. Donc par effet de contraste, le travail d’Olivier permet vraiment de questionner sa puissance.
Durant le parcours, notre vue et notre ouïe sont mises à rude épreuve. Notre proprioception, aussi. Si bien que parfois, certaines installations donnent l’impression que le sol s’écroule sous nos pieds. On perd presque le contrôle de nos émotions face à vos œuvres.
OR : Je prends ça vraiment comme un compliment. C’est important pour moi que le spectateur vive des expériences liées à sa propre vie. Si tu me dis ressentir ça, c’est que j’ai réussis à te toucher au plus profond de ta personne. Perdre le contrôle et construire l’espace, ça va dans la continuité de l’œuvre. C’est un peu comme une constellation où le visiteur est le dernier maillon d’une chaîne. Depuis la nuit des temps, on a attribué des formes et des représentations au ciel. Mais on sait très bien que selon notre perception, tout change. Le lien qui se crée entre le spectateur et l’œuvre est dû à sa propre histoire. D’autres ne verront pas la même chose. Selon moi, c’est le but de l’art.
J. A : Ces projets avec de grands formats, on les conçoit comme du spectacle vivant, avec toute la dramaturgie qui va avec. L’idée, c’est de faire converger l’univers de l’artiste et les préoccupations de la Gaîté Lyrique, un lieu qui se questionne sur notre rapport avec la technologie. Comment vivre dans un monde qui va à toute allure et dont on peine à faire le récit ? On tente de créer des liens dans une période où on est déstabilisé·e·s, déséquilibré·e·s. Cette époque trouble nos perceptions, donc demande de regarder autrement, de multiplier les interférences. Je pense que le travail d’Olivier porte sur tout cela.
Vous avez évoqué l’importance de la perception. Tout passe par un prisme. Pourquoi est-il si important de changer de paradigme de temps en temps ? Parfois, c’est douloureux, quand ça nous explose en pleine figure. Mais n’est-ce pas un peu libérateur ?
O. R : C’est exactement comme ça que j’envisage mon travail. J’ai toujours cette impression que prendre du recul ou faire un pas de côté est quelque chose de fondamental pour évoluer. Il y a des artistes qui foncent tête baissée, mais ce n’est pas mon cas. j’ai besoin de faire un pas de côté, revenir en arrière, ou recommencer à zéro pour être sûr d’aller dans la bonne direction.
J.A : La démarche d’Heureux soient les fêlés, c’est aussi de considérer la perception comme une intelligence émotionnelle qui nous aide à prendre ce qui arrive avant de le théoriser. On vit la lumière avant de l’expliciter. Donc la volonté ici, c’est d’accorder de la valeur à la sensibilité.
Olivier, vous avez composé deux œuvres sonores pour l’occasion. C’est la première fois que vous mettez un pied dans la musique électronique ?
O. R : Oui. Ma relation avec la musique électronique existe depuis longtemps. C’est elle qui m’a donné envie de mettre à profit mes connaissances dans les arts plastiques. Elle m’a vraiment permis de créer un prolongement dans mes créations. Pour moi, la musique et l’art plastique sont les deux faces d’une même pièce, difficile à façonner. On utilise des socles différents, mais la présence d’ondes et photons font que pour moi, ça reste de la physique.
Mais l’apprentissage a été douloureux. J’ai dû tout apprendre, tout découvrir. Ça en vaut la peine, car j’ai compris que le son amenait une tout autre dimension à une œuvre plastique. Dimension que Thomas Vaquié (compositeur de la plupart des œuvres de l’exposition, ndlr) sait tout à fait saisir. Ça fait longtemps qu’on travaille ensemble. Avant de partir sur un projet, on discute beaucoup, je lui partage mes références cinématographiques et lui crée derrière. Parfois je me demande : « mais comment il a fait pour rendre audible ce que j’ai construit ? ». Je suis en admiration totale.
Un dernier mot pour les synesthètes* qui veulent venir voir l’exposition ?
O. R : Les fêlés perçoivent différemment le monde. L’évolution humaine a été en charge de gommer ces imperfections magnifiques. Pourtant ce sont ces personnes qui permettent de faire entrer la lumière.
J. A : Dans une époque qui veut tout lisser, ceux et celles qui voient le monde autrement sont les bienvenu·e·s ! On ne tourne pas le dos à la pensée. On laisse juste la possibilité à celles et ceux qui en ressentent le besoin de se laisser porter.
*Synesthésie : trouble de la perception des sensations, à travers lequel le sujet associe deux ou plusieurs sens à partir d’un seul stimulus. Par exemple, le chiffre 4 peut être de couleur orange ou sentir la camomille.
L’exposition Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière se visite du 19 mai au 18 juillet 2021. Toutes les informations et la billetterie sont à retrouver sur la page Facebook de l’évènement et sur le site internet de la Gaîté Lyrique.