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(Trax vous offre des places pour l’avant-première, voir la fin de l’article)
En Russie, l’année historique de la rave est 1991. À deux semaines d’intervalle, l’URSS s’effondre et la première rave party russe, la Gagarin Party, est organisée (le 14 décembre, six jours après la signature du traité de Minsk, qui entérine la dissolution de l’URSS). Son statut légendaire, cette fête la doit aussi au lieu où elle s’est tenue : le pavillon du cosmos de l’exposition des réalisations de l’économie nationale de l’URSS. Un pavillon d’un énorme complexe d’exposition à la gloire des accomplissements économiques, scientifiques et technologiques du pays qui, comme son nom l’indique, était dédié à la conquête spatiale. Un peu comme si les Heretiks avaient posé leurs valises sous la nef du Grand Palais, d’authentiques fusées et satellites en guise de décoration. Dantesque.
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La réalisatrice russe Olga Darfy était présente à la première Gagarin Party. Elle prépare depuis trois ans le documentaire Moi, Gagarine sur cette période dorée de la rave et sur l’évolution de la Russie depuis. Le film, actuellement en recherche de financements pour sa postproduction (vous pouvez participer à la campagne de crowdfunding ici), fait intervenir différents acteurs des Gagarin Parties : organisateurs, DJ’s, artistes, devenus aujourd’hui dentistes, propriétaires de restaurant, chauffeurs de taxi. A travers leurs témoignages doublés de photographies personnelles, de flyers, d’affiches et d’archives vidéo, Olga Darfy tente de raconter cette période mémorable, et de tirer les leçons de ces fêtes fulgurantes et utopiques : et si c’était à refaire ?
“Réunir tous ces gens pour danser au son de la techno dans ce lieu rempli de fusées et d’objets cosmiques, c’était une petite révolution“
Dans quel état se trouve la Russie en 1991 lorsqu’elle donne naissance à la première Gagarin Party ?
C’était une situation très chaotique, où l’on ne savait pas trop ce qui allait se passer : il y avait d’un côté un pays qui disparaissait, et de l’autre, un pays qui n’était pas encore né. L’Union soviétique était très fermée, et sa chute a ouvert l’accès à plein de nouvelles choses en termes d’art et de musique. Les artistes de l’époque ont pu voyager dans les autres capitales européennes et ils y ont vu des rave parties. Chez les jeunes en particulier, cette situation engendrait beaucoup d’espoir et d’attentes, une euphorie et des aspirations presque révolutionnaires.
Il y avait un projet politique derrière ces premières fêtes ?
Plutôt un projet d’action artistique. Le choix du nom Gagarin, par exemple, a été choisi pour désacraliser les symboles de l’Union soviétique, se les réapproprier. Idem pour le pavillon Kosmos : réunir tous ces gens pour danser au son de la techno dans ce lieu rempli de fusées et d’objets cosmiques, c’était une petite révolution.
Ce pavillon était laissé à l’abandon ?
Il était encore en activité, mais comme il était financé par l’État, il n’y a plus eu d’argent lorsque ce dernier a disparu. Les directeurs des pavillons se débrouillaient comme ils pouvaient en louant les espaces. Aujourd’hui, ce pavillon a été rénové, donc ce serait impossible de faire une rave là-bas, mais à l’époque, il n’y avait même plus assez d’argent pour faire le ménage.
Est-ce qu’il s’agissait d’un mouvement similaire à ce qui se passait dans le reste de l’Europe à cette période, notamment à Londres ou à Berlin ?
Il y avait bien sûr beaucoup de choses communes, mais la particularité était qu’en Russie, les gens avaient grandi dans un pays complètement fermé. Les jeunes ne s’imaginaient pas du tout ce qu’ils allaient vivre, cette liberté, cette folie, danser, la drogue : c’était totalement inconnu.
On voit dans ton documentaire que le mouvement des rave parties en Russie a disparu à la fin des années 90. Pourquoi ?
Le mouvement dont on parle était à la base symbolique et artistique, mais avec le temps, il est devenu plus commercial, les soirées sont devenues un business. Au milieu des années 90 l’État s’est stabilisé et l’espace de liberté de cette période de transition a disparu pour laisser place à quelque chose de plus officiel.
Tu interviewes plusieurs personnes ayant participé à l’organisation des Gagarin Parties. Que sont-elles devenues aujourd’hui ?
Je ne peux pas trop en dire sans spoiler le film, mais si j’ai choisi ces personnages, c’est parce que leurs destins reflètent des choses qui sont arrivées à la Russie depuis les années 90. En regardant ces personnages aujourd’hui, chacun peut se faire une idée d’où en est le pays. C’est leur regard qui m’intéressent, ce qu’ils révèlent du temps qui passe : certains me disent “je me rends compte aujourd’hui qu’il aurait fallu faire les choses différemment”, d’autres “j’aurais refait exactement la même chose “.
“À l’époque des Gagarin Parties, les artistes engagés dans le mouvement pouvaient vraiment causer du tort au système, mais ce n’est plus le cas“
À quoi ressemblaient les autres personnes que l’on pouvait croiser dans ces fêtes ?
C’étaient plutôt des jeunes, d’un côté beaucoup d’artistes, des intellectuels un peu bohèmes, et de l’autre des bandits. Il y avait une criminalité assez forte et ces personnes venaient armées, il pouvait se passer n’importe quoi, une fusillade pouvait éclater sous tes yeux. C’était très sauvage.
Que penses-tu du revival actuel de la rave en Russie, notamment sous l’impulsion du collectif Skotoboinya, qui organise des soirées dans des usines, des abattoirs ?
Le thème des années 90 est devenu très à la mode, je m’en suis rendu compte en tournant ce film. Il y aurait même des discussions engagées pour refaire une Gagarin Party, 25 ans après. Je pense que cela relève du romantisme d’une énergie qui fait défaut dans la Russie d’aujourd’hui ; pour moi, c’est un peu pareil que la nostalgie de Woodstock. À l’époque des Gagarin Parties, les artistes engagés dans le mouvement pouvaient vraiment causer du tort au système, mais ce n’est plus le cas. On a beau organiser des soirées un peu sauvages, cela n’a plus la même portée. La véritable action antisystème, il faut plutôt aller la chercher du côté des hackers.
La musique électronique ne peut plus être politique ?
Non, je pense qu’elle a perdu ce sens-là.
Quelles sont les leçons à tirer de cette époque ?
Que ce n’est pas l’État qui doit contrôler les gens, mais nous qui devons contrôler l’État. Même si le contexte a changé, il ne faut pas perdre espoir et résister, quels que soient les moyens. Dans le documentaire, j’ai voulu montrer qu’il était possible de faire des choses librement, et j’espère que cela en inspirera certains à réfléchir à ce qu’il est encore possible de faire aujourd’hui.
Trax offre 2 places pour la soirée d’avant-première (projection + after party) aux 10 premières personnes effectuant une contribution de 20€ (ou plus) au crowdfunding, en précisant “Trax” dans votre pseudonyme. Sous réserve de financement du film, l’after party se tiendra à l’Âge d’Or (Paris 13e) au printemps 2017 – le lieu de la projection n’a pas encore été dévoilé.
Bonus : un aperçu du son de l’époque avec le mix de Joachim Garraud lors de cette première Gagarin Party
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