« On branche la sonorisation, et le cauchemar commence pour les riverains. » Voilà comment France 3 Normandie décrit la rave qui s’est tenue dans une usine désaffectée ce week-end, où près d’un millier de personnes se sont rendues. Dans son reportage, la chaîne, qui a pourtant laissé la parole à quelques participants, fait la part belle aux clichés : riverains désespérés, forces de l’ordre impuissantes et consommation de drogue à outrance. Le ton n’est pas sans rappeler le traitement médiatique des raves dans les années 1990, qui, en donnant sans cesse une vision dépréciative des fêtes, avait donné raison à la violente politique de répression des free-parties.
Cerise sur le gâteau, l’époque avait également vu passer le tristement célèbre amendement Mariani, nommé « Soirées rave, des soirées à hauts risques », obligeant les organisateurs à déclarer leurs soirées au préfet, à qui le droit de validation revient encore aujourd’hui. Un régime de déclaration, souvent qualifié de régime d’autorisation (la différence est majeure aux yeux de la loi), sur lequel le chercheur et sociologue Lionel Pourtau fait la lumière dans un article publié en 2005 dans Déviance et Société : « dans la pratique, les free-parties sont tellement impopulaires que, dès qu’il y a déclaration, il y a interdiction. Les préfets peuvent toujours trouver un motif d’interdiction… »
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Dans l’article qui accompagne le reportage, une riveraine explique que le son l’a empêché de dormir tout le week-end. Une réalité à laquelle une teufeuse répond : « c’est sûr que ça peut embêter les gens, mais bon, c’est qu’un week-end. Il faut se dire que ça ne dure que 48h, et que la prochaine fois il n’y aura pas de bruit. »
Le dernier mot est laissé à une travailleuse sociale, qui craint, quant à elle, le manque de sécurité au sein de l’évènement : « il n’y avait pas de pompiers, pas de SAMU, pas de croix rouge, alors que les jeunes sont laissés à la merci des produits qui circulent. » Difficile de dire si le message s’adresse aux organisateurs ou aux institutions évoquées. Dans le doute, il est toujours bon de rappeler que même si la consommation de drogue est populaire dans ce milieu, elle n’est pas inhérente aux raves, comme l’explique bien le chercheur Anthony Pouilly en ouverture de l’ouvrage spécialisé La fête techno. Également, de nombreuses associations comme Techno+ sensibilisent au sujet de la prise de drogue dans les raves depuis 1995, et il est peu probable que les ravers n’aient jamais croisé les bénévoles.
S’il est consternant de voir que le traitement médiatique de la rave fait encore appel à des idées reçues désuètes, ce reportage est aussi la preuve que la situation juridique des free-parties est toujours problématique, et que malgré les tentatives de certains collectifs pour apaiser les tensions, la lutte entre les soundsystems et l’Etat ne semble pas prête de prendre fin.