Active sur la scène depuis près de vingt ans, la productrice lyonnaise Flore est devenue une référence de la bass music made in France. La sortie de son prochain album Rituals est perturbée par les mesures de confinements visant à ralentir l’épidémie de coronavirus.
Où êtes-vous confinée ?
Flore : Je suis dans mon petit home studio, installé dans mon appartement de la Croix-Rousse, à Lyon. C’est la pièce où je vais passer beaucoup de temps au cours des prochaines semaines. Elle fait une quinzaine de mètres carrés et elle est déjà en bazar, il y a des disques qui trainent partout. J’ai un coin pour mixer et un autre pour composer. J’ai beaucoup de chance parce que j’ai un balcon avec quelques plantes qui donne sur de la verdure.
Quelle a été la première chose à laquelle vous avez pensé / que vous avez faite en apprenant que vous alliez être confinée ?
J’ai d’abord pensé à ma famille et à mes proches, au fait qu’on ne se reverrait pas tout de suite. Et puis, j’ai pensé à ma voisine du dessous. Elle a un certain âge et doit subir deux dialyses hebdomadaires. Je m’inquiète un peu, alors j’ai proposé de l’aider. Je ne vais pas aller boire le thé chez elle, il faut faire attention, mais si je peux lui faire des courses, je le ferai. Je trouve que, cette histoire permet de relativiser beaucoup de choses. Je me dis que de pauvres gens n’ont pas les moyens de faire leurs courses et que d’autres se ruent dans les super marchés.
Que comptez-vous faire pendant cette période d’isolement que vous ne pouviez pas faire habituellement ?
Ca fait des mois que j’ai envie de me mettre aux synthétiseurs modulaires. Je crois que c’est l’occasion ! Je considère que c’est une autre façon de penser son rapport au son. Sur un VST, le chemin du signal est pensé par les développeurs de l’instrument. Là, avec le modulaire, c’est au musicien de créer ce chemin et ça ouvre forcément d’autres perspectives.
Qu’est-ce qui va vous manquer le plus pendant cette période de confinement ?
Je crois que ce sont les balades en extérieur. J’adore me balader dans Lyon, partir de Croix-Rousse, descendre les Pentes et marcher le long des berges de la Saône ou du Rhône. J’aime aussi passer des après-midi au Parc de la tête d’Or. J’aimerais pouvoir voir les bourgeons fleurir.
Quels sont les films et séries que vous comptez voir ou revoir ?
J’ai envie de revoir la série The Wire. Quelle série intelligente qui prend son temps long pour installer tous ses personnages ! Les sujets abordés sont creusés au maximum pour permettre au public de réfléchir aux sujets de société que sont l’éducation, la sécurité, la drogue et les politiques. C’est vertigineux et passionnant !
Quels livres avez-vous prévu de lire ?
Je traverse une période où j’ai envie de bandes-dessinées. Je ne suis pas une grande fan de manga ni de comics, mais j’ai récemment lu des Hellboy, la saga de Mike Mignola. Hellboy est une créature qui vient de l’apocalypse mais qui a été élevée par un homme qui essaie de le détourner de son destin destructeur. C’est très drôle parce que Hellboy a des talents étranges : il peut par exemple parler avec les morts. Il fait peur aux gens qu’il croise alors qu’il n’est pas si méchant. En fait, Hellboy n’est pas un super héros : il fait un peu comme il peut avec ce qu’il a et, en plus, il a mauvais caractère, il se plaint tout le temps. On rit à gorge déployée.
Il y a aussi une série de manga vraiment top qui est un adaptation de l’œuvre de Lovecraft Les montagnes hallucinées, par Tanabe Gou. Ça parle de la fin d’une civilisation et c’est un peu anxiogène, alors on attendra peut-être d’être sortis de confinement pour le lire !
Oh, et il y a enfin ce roman de Naomie Alderman intitulé Le Pouvoir. Comme son nom l’indique, c’est une réflexion sur le pouvoir. Un jour, les femmes réalisent qu’elles peuvent projeter des arcs électriques avec leurs mains et cela provoque tout un tas de bouleversement sociétaux : elles n’ont plus peur des hommes, elles ne se laissent plus faire. C’est une réflexion globale qui pose finalement cette question : que faire du pouvoir quand on l’obtient ?
Quel rôle la musique va-t-elle jouer dans votre vie et dans celle des gens confinés au cours des prochaines semaines ?
Cette pandémie nous impose de prendre du temps pour faire des choses qu’on n’a pas le temps de faire habituellement. C’est assez surréaliste, quand on y pense. D’ordinaire, je joue assez peu dans les festivals d’été, donc je profite normalement de cette période de l’année pour me former, apprendre de nouvelles choses et composer. Là, j’avance un peu mon timing.
C’est donc l’été dernier que j’ai composé mon prochain album Rituals. Avec cette histoire de virus, je me suis demandé si je devais décaler la sortie, puisque je suis incapable de faire de la promo désormais. Mais j’ai tenu à publier ma musique. Je me suis dit que les gens avaient particulièrement besoin de musique pour traverser cette période. C’est important de sortir de la musique. Je suis assez sensible à toutes ces initiatives de streaming improvisé chez les DJs. Le streaming existait déjà avant mais disons que, maintenant, ça a un peu plus de sens. L’idée c’est finalement de rester en relation les uns avec les autres. Si c’est spontané, je trouve ça touchant. Quand un artiste fait un show et décide de le diffuser en streaming, c’est sa façon de dire « on reste en contact » – c’est aussi une façon de supprimer le facteur argent de la relation.
Quel disque faut-il écouter durant cette période de quarantaine ?
Un album que j’ai écouté hier et qui tourne en boucle chez moi : le dernier Azu Tiwaline, Drown me a silence. C’est un disque très élégant de dub techno avec des influences orientales et transe.
Quel va être votre meilleur ami pendant cette période ?
Il va m’être indispensable de faire des blagues avec mon chéri, mes copains et ma famille par tous les moyens de communication possibles. Il va aussi falloir que j’achète de quoi prendre l’apéro, en petit comité évidemment. Et faire de la musique pour m’extraire un peu de l’atmosphère pesant du moment.