Fans de Twin Peaks ? Découvrez l’univers étrange de Cindy

Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Kai Hugo
Le 22.07.2020, à 16h51
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©Kai Hugo
Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Kai Hugo
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Depuis cinq ans, le producteur néerlandais Palmbomen II met en scène Cindy Salavas, un personnage de fiction autant inspiré par X-Files que par Twin Peaks. Le premier album de cette entité, enregistré dans la ville imaginaire de Carmel Vista, est sorti en juin. Virée aux frontières du réel.  

Des claviers vaporeux couvrent une voix d’adolescente en larmes. Et un visage apparait sur un écran qui semble relié à un magnétoscope. Les yeux humides, la jeune fille s’explique : « Je ne viens pas de cette planète. Mes parents ne sont pas mes parents. Personne ne le sait. » Cindy est inconsolable. Son créateur, le producteur néerlandais Kai Hugo alias Palmbomen II lui a imposé une dépression perpétuelle. « Cindy porte un poids sur ses épaules », explique le musicien blond depuis le gigantesque atelier qu’il occupe dans une usine réhabilitée du centre-ville d’Anvers, en Belgique. « J’ai écrit les paroles prononcées par Cindy très rapidement, raconte-t-il. Elle est triste et émotive, mais la raison précise pour laquelle elle l’est m’est inconnue. »

Cindy


Quand il invente l’adolescente en 2015, Kai Hugo vit à Los Angeles. Ses amis étudient le cinéma quand ils ne travaillent pas déjà à Hollywood. Inspiré, le musicien commence une carrière de réalisateur sur le tas. Il signe un premier clip pour son morceau «  Leo Danzinger  », composé en 2014. Palmbomen y pose les bases d’un monde dans lequel va apparaitre Cindy Salavas et qui fait écho à la musique qu’il compose. Le grain particulier du son de Palmbomen II, une sorte de rencontre entre Angelo Badalamenti, les Cocteau Twins et 808 State, se traduit à l’écran par un goût immodéré pour l’ère pré-digitale. Tout ce que filme le Néerlandais semble provenir d’une cassette vidéo poussiéreuse retrouvée à la faveur d’un vide-grenier. Les personnages du musicien évoluent dans la ville imaginaire de Carmel Vista, un Albuquerque fantasmé, lieu d’intrigues pour soap opera surréaliste. « Les gens pensent souvent que je suis nostalgique des années 1990. Je ne crois pas que ce soit le cas, précise Kai Hugo. Je construis plutôt une sorte de réalité alternative. Même si le grain rappelle la VHS, mes personnages utilisent des iPhones. »


En 2015, Palmbomen II n’imagine pas encore la place que Cindy Salavas va occuper dans sa discographie et dans l’univers fictif qu’il commence à peine à croquer. Mais en cinq ans, l’Anversois a consacré à son personnage adolescent une chanson, puis trois mini LP intitulés Memories of Cindy. Elle n’était pourtant pas censée s’imposer. « Je ne savais pas comment intituler les quelques morceaux que j’avais signés sur le label Beats in Space, alors je leur trouvais des noms de personnages de X-Files, pour les mémoriser », se souvient le musicien. Cindy Salavas côtoie alors Carina Sayles ou Jesse O’Neill. « Il m’est soudainement venu l’idée de réaliser un portrait. Je cherchais une fille qui pourrait incarner le personnage.  » La fille en question est bien réelle. Elle s’appelle Blue Lolan, comédienne, artiste et militante pour la protection des animaux sauvages aux États-Unis. «  Blue peut pleurer sur commande, remarque Kai Hugo. Un jour, pendant que je tournais une fausse vidéo behind the scenes, dans laquelle je jouais mon propre rôle, je lui ai demandé de pleurer. Et Blue l’a fait, instantanément.  » Cindy était née.

Blue Lolan, photo : Kai Hugo

Carmel Vista et les malheurs de Cindy Salavas ont depuis fait couler beaucoup d’encre. À l’université UvA d’Amsterdam, l’historienne de l’art Luciana Russo a même consacré sa thèse à l’univers créé par Kai Hugo. Ce dernier aurait développé une hétérotopie, un concept emprunté au philosophe Michel Foucault qui désigne un lieu réceptacle de l’imagination. Il semble en effet que l’artiste n’ait pas pensé un monde dans sa globalité, mais qu’il s’efforce, à l’aune de chaque vidéo-clip, d’éclairer Carmel Vista d’une nouvelle façon. « J’ai créé de faux spots publicitaires pour les vidéos de Memories of Cindy, note Palmbomen II. Ce sont des exercices de styles qui me permettent de développer un univers. En imaginant un produit fictif à vendre, je dois m’intéresser au contexte qui rend vraisemblable l’existence de ce produit, et donc développer et approfondir un univers ». Crazy Fallafel, un restaurant de Carmel Vista, propose ainsi un sandwich à 4.99  $, mais aussi des pizzas ou de l’eau gazeuse à ses clients, tandis que, sur fond de dream pop, une voix répète langoureusement les mots «  Crazy fallafel  ». Ces spots, qui ressemblent aux parodies de pub tournées aux États-Unis par les humoristes Tim & Eric, ont une fonction dans l’œuvre de Palmbomen II. Ils permettent au Néerlandais de donner une consistance à Carmel Vista, un relief à sa culture. À voir la succession de clips tournés par le producteur, le public a le sentiment d’avoir accès à quelques fenêtres ouvrant sur un monde infiniment complexe et vaste.

Version collector de I’m Cindy, le premier LP de Cindy.

Entre Twin Peaks, X-Files et Donnie Darko

Ce monde existe d’ailleurs au-delà de Palmbomen. Carmel Vista est une fanfiction, la continuation d’une entreprise dont le point de départ serait le premier épisode de Twin Peaks, et qui engloberait X-Files, mais également Donnie Darko et de manière générale, tout l’imaginaire télévisuel fantastique américain des années 1990. Kai Hugo : « Je crois que ces trois œuvres décrivent en réalité un seul univers. Je me souviens avoir regardé Twin Peaks puis d’avoir enchainé avec X-Files. Ces deux mondes se répondent d’une étrange façon. À la fin de la seconde saison de Twin Peaks, l’acteur David Duchovny interprète un agent du FBI avant de devenir Fox Mulder dans X-Files. De nombreux éléments permettent de penser que ces deux séries explorent le même monde. » Vingt acteurs se retrouvent ainsi au casting des deux séries. « Je me suis par ailleurs rendu compte que, sans le savoir, j’avais fait jouer des figurants et des acteurs de Twin Peaks et de X-Files dans mes clips », s’étonne Palmbomen II. L’actrice Connie Woods interprète par exemple une employée du One Eyed Jack dans Twin Peaks. Elle est aussi la mère de Blue Lolan, alias Cindy Salavas.

Blue Lolan et Kai Hugo. Photo : Bianca Lexis

À un certain moment de l’histoire imaginée par Palmbomen, Cindy Salavas meurt. À la manière de Lynch et de sa Laura Palmer, le réalisateur et musicien néerlandais se consacre à explorer le passé mélancolique de l’adolescente. Le 24 juillet prochain, un album signé Cindy sortira sur World of Paint, le label de Palmbomen. « J’ai composé cet album avec Blue Lolan. J’ai imaginé que Cindy avait, à un moment de sa vie, fait partie d’un groupe de pop. J’ai voulu sortir cet album qui est pour moi une sorte de réédition. Cet album avait simplement été oublié. » Plusieurs vidéos doivent venir animer les morceaux de ce projet, dont l’interprète principale est Blue Lolan. Le disque sera livré, dans une édition collector, avec un mouchoir en tissu signé et embrassé par les lèvres rouges de Cindy. Le bruit court que des larmes de l’héroïne auraient coulé sur le précieux cadeau.

I’m Cindy est sorti le 5 juin chez World of Paint.

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