Créée en octobre 2014, la société VoxWave est “le premier studio producteur de concerts en hologramme et de chanteurs virtuels”. Elle est la création d’une équipe de jeunes Français menée par Joffrey Collignon. “Mon parcours est assez particulier, explique-t-il. Je ne viens pas du monde de la musique. J’ai fait mes études en sciences sociales à Normale Sup. Mais j’ai toujours baigné dans la pop-culture japonaise et l’animation. Au fil de mes études, j’ai découvert les chanteurs virtuels japonais et je me suis rendu compte de ce qui était formidable : un nouveau type de spectacle, qui joue sur l’illusion avec un interprète numérique, et qui permet de greffer une dimension participative.”
ALYS – Sous cette pluie (PV) – EN subs
Alys, une chanteuse virtuelle à la française
La chanteuse s’appelle Alys, et elle fonctionne comme un synthétiseur, mis à disposition du public grâce à Alter/Ego, un logiciel de synthèse vocale. Pour Joffrey, ce point était important : “La culture pop japonaise est très forte en France. L’idée était de donner corps à cette communauté et de la rassembler autour de cette chanteuse.” Il considère que les artistes liés à cette esthétique sont souvent sous-estimés, en dépit de leur “culture artistique très développée, qui puise sa source à différents niveaux d’inspiration”. Faut-il blâmer l’ère emo/kawaii post-Jena Lee ? Peut-être…
Au Japon, les chanteurs virtuels sont déjà un phénomène. Certaines, comme Hatsune Miku, réunissent même de larges publics. Alys peut être vue comme leur cousine française, et c’est en ça qu’elle est unique. “En tant que Français, on a voulu en créer une différente, reprend Joffrey. Alys est en recherche de questionnement dans un univers plus construit.” Ses premières chansons étaient déjà sombres, et les thèmes n’étaient pas plus réjouissants lors de l’ouverture au public : “On a reçu beaucoup d’introspection mais on essaie de garder une énergie globale positive. Le but est surtout de mettre en valeur toutes les productions.” Une nécessité lorsqu’on sait que le public que va toucher Alys est majoritairement composé de familles et d’adolescents.
Cet univers, imaginé par VoxWave mais porté par Alys, se déroule déjà dans des clips et des performances live holographiques.
À lire également
L’intelligence artificielle Google Brain crée désormais de la musique comme l’Homme
Une interprète pas comme les autres
Alys n’est pas une intelligence artificielle, même si elle “le deviendra forcément un jour”, si l’on en croit son créateur. Aujourd’hui, elle n’a donc rien d’une vraie artiste mais reste une interprète avec un grand potentiel. Mise à disposition d’une communauté de producteurs, sa voix est un matériel musical que les musiciens peuvent s’approprier entièrement, laissant libre cours à leur imagination.
Pour Joffrey, il y a là un nouveau point intéressant : “La chanteuse virtuelle permet également d’interpréter des émotions qui peuvent être difficiles à atteindre dans des paramètres humains. Elle est une marionnette qui peut avoir une plus grande amplitude sur les thématiques”. Ainsi, Alys a déjà interprété des chansons traitant de suicide et de harcèlement scolaire – des thèmes qui, s’ils en repousseront certains, correspondent à son image et à la communauté à laquelle elle s’adresse.
Trailer #2 Rêve de Machine : Répétitions au Centre des Arts !
Elle prend vie sur scène, au travers de technologies holographiques dernier cri. Joffrey Collignon affirme qu’elle “réagit aux applaudissements, ainsi qu’aux sollicitations du public, et qu’elle s’exprime au cours d’interludes”. Intitulé Rêves de Machine, le dernier spectacle qui l’inclut franchit les barrières de l’art et interroge directement la place qu’occupe la technologie dans celui-ci. Il se produira au Trianon le 17 décembre prochain, et les curieux peuvent obtenir leurs tickets ici.
Ce projet pose la question de la survie des interprètes humains dans les prochaines années. Si, aujourd’hui, l’univers d’Alys peut ne pas plaire à tous, ou si sa voix peut encore manquer de réalisme pour certains, qu’en sera-t-il dans quelques années si les technologies se perfectionnent et que les voix se diversifient ? Pour Joffrey Collignon, Alys “est toute une ambiguïté” – et il a bien raison.
ALYS – MMD [Le Paradoxe de ma vie] ~Lyra
Notre candidate française pour l’Eurovision 2017 ?
Si l’on peut douter de l’existence réelle d’Alys, elle est pourtant candidate pour représenter la France lors de l’Eurovision 2017. L’idée est née avec le projet, mais il fallait attendre qu’Alys soit fin prête et d’avoir le bon morceau. “Oxygène” est un titre qui parle justement des sensations que peut ressentir un être virtuel.
Joffrey Collignon perçoit l’Eurovision comme un “concours européen avec de véritables enjeux culturels”. C’est pour cela qu’il considère qu’Alys est la candidate idéale. “Elle est en phase avec l’image que la France veut diffuser à travers le choix du numérique, affirme-t-il en faisant référence à des projets comme celui de la Halle Freyssinet. Ensuite, elle attire un public plutôt jeune qui boude l’Eurovision. Enfin, son aspect participatif fait qu’elle incarne des valeurs importantes de tolérance, d’écoute et de partage qui ont à voir avec les valeurs françaises”. Son identification à la culture manga, crée un clivage et pourrait néanmoins rester un point faible pour le jury.
Ici, en tant que férus de machines et de technologies en lien avec la musique, on est aussi interloqués que fascinés. Reste à voir le résultat en live, mais une chose est sûre : Alys ne nous fera pas regretter nos précédents candidats.