Par Xavier Ridel
On ne sait pas grand-chose de la vie de Winnterzuko, en dehors de ce qu’il dévoile dans ses chansons. Une enfance qui semble (littéralement) parsemée de bombes, un exil, une adolescence passée quelque part en France entre un HLM, un écran d’ordi et deux parties de jeux vidéo. Et, surtout, un attrait certain pour – entre autres – le rap et l’eurodance. Deux styles aux fondations apparemment opposées, aussi éloignées que les cercles arctiques.
C’est justement ce qui a poussé Promesses, label électronique parisien co-fondé par Raphaël Hardi et Samuel Blazy (aka Samos et Härdee), à signer le jeune artiste. Raphaël raconte : « À une soirée, Lexmo m’a fait écouter “Off”. Je n’avais jamais entendu un son pareil dans le rap français, je me suis pris une claque. Le lendemain je l’ai envoyé à Sam qui a accroché. Ce qui nous a plu chez Zuko, c’est sa volonté d’aller vers un mélange entre rap français et productions électroniques aux sonorités hyperpop, eurodance voir drum’n’bass : pas simplement pour l’exercice de style mais parce que ça fait partie de ses références »
Entre danse et morosité
« Off », le titre cité ci-dessus, cristallise parfaitement le style revendiqué par Winnterzuko. Débutant sur une prod à la nostalgie entêtante, onirique et dansante, directement inspirée des années 2000, le morceau se voit ensuite éraillé par la voix du rappeur et ses paroles rêvant d’une ascension sociale nimbée de cafards, de crises en tout genre et de références aux animés japonais. Sur le plan du clip et de l’esthétique générale, même chose : les codes du rap voire de la drill – masques, couloirs sombres – se trouvent irradiés de couleurs vives et de flashs numériques. Sorti en décembre 2020, le titre devient le premier succès de Winnterzuko. Le rappeur a trouvé son style, les radars commencent à se tourner dans sa direction.
Quatre mois plus tard, il sort l’EP 2036, poussant son mélange bizarroïde encore plus loin qu’auparavant. Ne donnant toujours pas d’interview, Winnterzuko continue à ne dévoiler que quelques bribes de sa vie, distillées au travers de productions en apparence hyper colorées : « J’étais mineur et j’avais déjà tout vu / Secours Populaire nous envoie en colo’ », « À sept ans grâce à Coluche j’ai plus les crocs » (sur le titre « Rollo »). Et dans le même temps, il élargit sa galaxie.
La mélancolie du futur
D’abord sur le plan de l’entourage. Après avoir introduit Nara un peu plus tôt dans l’année en feat sur « Serpentard », il rappe avec Nyluu sur le seul featuring de son EP (« New Wave »). La bande de potes (bientôt rejointe par les excellents Realo et Beamer) commence à dessiner les contours d’une mélancolie nouvelle, hyper numérique et inspirée de nombreux styles. Réfutant toute forme d’étiquette (notamment celle, un peu facile et fourre-tout, d’hyperpop), ils seront vite repérés et mis en lumière par quelques médias.
Sur le plan de l’univers et du personnage, Winnterzuko continue aussi de filer ses métaphores. Au fil des cinqs chansons qui composent 2036, le rappeur s’inspire du mythe de John Titor, légende du net ayant prétendu revenir dans le présent après un détour par l’année 2036. Année qui est aussi censée être celle de la fin du monde. Le message est clair : le rappeur est en avance, sait combien le futur sera dur. Et son ascension en sera d’autant plus inarrétable.
Rage de vivre
Parce que comme le rappelle le label Promesses : « Il rappe sur des prods qui lui plaisent avant tout et il s’avère qu’en effet ces sonorités sont assez récentes dans le rap français. Mais il se considère d’abord comme un rappeur en France. » Rappeur, donc. Avec tout ce que cela comporte de batailles, internes et/ou externes, de rage vissée aux intestins et de volonté de s’en sortir.
C’est peut-être là un des points (voire des paradoxes) les plus marquants de Winnterzuko, exacerbé dans son morceau « 100 Pompes » en featuring avec Roseboy666 : « Hier soir ça allait pas, donc j’ai fait 100 pompes dans le noir ». Refusant de s’enliser dans ses idées noires ou encore de faire l’apologie de l’argent facile, le rappeur préfère s’en sortir par la voie légale et – surtout – saine. Mais loin de se suffire à lui-même, il entend bien passer ce message à ses auditeurs.
D’où, par exemple, sa propension à offrir des places de concert sur Instagram ou encore à mettre en relation ses fans désargentés avec celles et ceux qui ne peuvent pas venir à ses lives. Préférant le travail à l’argent facile, les faibles aux forts, c’est sans doute en ça que Winnterzuko se décrit comme un « grand frère », dans son morceau « Happy Meal ». Et il paraît sans cesse essayer de tirer une certaine forme d’altruisme de ses turpitudes ; à la fois à travers ses chansons et son personnage.
VON
Aujourd’hui en 2022, la collaboration entre Winnterzuko et Promesses s’est enfin dévoilée au grand nombre. D’abord via un superbe tube, « Heart », paru sur la compile du label, puis sur un EP intitulé VON. Allant encore plus loin dans les mélanges de genres, passant des guitares emo de « Deadstar » aux beats acides et distordus de « IBM 5100 », le disque comporte des collaborations avec des pointures de l’électronique français, comme Brodinski ou Panteros666. Et il se décline en version vinyle avec une pochette risographiée par R · DRYER Studio, designée par Yev., Migi et Adrien Vallecilla. Raphaël et Samuel, de Promesses, expliquent : « On a travaillé à distance mais via une conversation commune pour que chacun puisse suivre et donner son avis. On est justement parti du personnage mystérieux de Winnterzuko et de notre goût à tous pour les animés japonais. Pas mal de nos inspirations y sont comme des hommages. Sur la pochette, on voit Zuko – ou son avatar – qui apparaît dans la sphère virtuelle mais prêt à en sortir, et sur le dos de la pochette, c’est sa vision à la première personne de la pièce, au delà de l’écran. »
Aussi bien sur le plan esthétique (le clip de « IBM 5100 », tout droit sorti d’un jeu vidéo) que des productions, VON semble en tout cas marquer un véritable point-charnière pour Winnterzuko. Et il se pourrait bien que ce dernier et son entourage, à force d’affiner les contours de leurs univers, finissent par connaître des trajectoires comparables à celles de Laylow, voire du 667.