Une fille aux longs cheveux d’un noir de jais devant la figure s’avance doucement vers un piano en traînant derrière elle une lourde massure. Puis elle s’anime et, inévitablement, détruit le piano dans la plus grande des hystéries. Pour le spectateur de cette scène, sur l’écran installé dans un salon de coiffure reconverti en lieu d’exposition éphémère, la catharsis est totale. Avec l’équipe du festival et quelques festivaliers, nous déambulons joyeusement à travers la ville allant de la performance d’art contemporain en performance. Et ce qui nous reste de celle d’Allison Flora est peut-être l’image qui se rapproche le plus du mot d’ordre de la neuvième édition du Baleapop : le sabotage.
L’idée derrière le sabotage de son propre festival ? Un état d’esprit que l’on veut atteindre. Ça fait du bien quand on s’en fout, quand on se lâche vraiment, quand ça n’a aucune importance, pas vrai ? En général, c’est dans des moments où cette philosophie s’applique que les corps et les esprits se libèrent, s’ancrent dans un univers basé sur le présent où le passé et le futur sont des concepts sans grande importance. C’est le secret des meilleurs événements festifs et l’inéluctable raison qui explique pourquoi le Nouvel An c’est toujours nul.
Derrière cette idée se trouve également des valeurs avec lesquelles on veut renouer : « Nous avons décidé de briser tout ce que nous avions si bien établi pour se retrouver, presque tout nu et voir comment on vivait à l’âge d’avant tout ça », expliquait sur le web de Trax le collectif Moï Moï, parents du festival. Comme se couper volontairement d’un sens mais pour mieux ressentir les autres ; revenir au plus bel endroit du parcours ; être soi-même : « Pourquoi prétendre et vouloir coûte que coûte rentrer dans le moule du festival pluri-disciplinaire, à taille humaine, intergénérationnel, éco-responsable, curieux, avec une programmation défricheuse, aventureuse… et puis quoi encore ? ». S’étendre toujours plus loin, frapper toujours plus fort, ce n’est pas ce que cette bande de vieux copains du Pays Basque ambitionne pour le Baleapop. Quand ils reviennent l’été à Saint-Jean-De-Luz et pensent au festival, c’est sans oublier ce qui fait le charme de cette saison : l’esprit de vacances et tous ses événements connexes rassembleurs, comme les banquets de village, les grillades ou sardinades, les tournois de pétanque, les ballades nocturnes, les bains de minuit, les rues piétonnes bondées, les boutiques Blanc du Nil, les amours éphémères et autres bals sous les kiosques enroulés dans le bougainvillier.
Voilà pour l’esprit. Aux antipodes de celui d’un festival ordinaire avec ses 72 giga scènes, ses 798 artistes programmés qu’on ne voit que dix secondes et à 552 kilomètres de distance, ses milliers de festivaliers en sueur par mètre carré et ses centaines de mètres de fil d’attente devant chacun des 958 stands de bouffe dégueulasse différents – vous sentez le raz-le-bol, là ? Au Baleapop, quand on pénètre dans le joli parc vallonné Ducontenia, au coeur de la petite ville balnéaire de Saint-Jean-De-Luz, on y retrouve les surfeurs de cet après-midi à la plage, on y croise les grands-parents de la jeune bénévole au bar, on se fait alpaguer par la troupe d’artistes de rue un peu plus éméchée que ce midi, on y aperçoit les nerds de musique de toute la région et même d’une partie de l’Espagne et reconnaît des Parisiens trentenaires en vacances avec amis et enfants glissant sur les toboggans du parc, en toute détente et déconnexion.
Au Baleapop, on peut y apprécier toute la programmation – cette année encore principalement live et sans faute – sans rater un artiste, migrant de la première scène à la seconde une fois le concert de l’une terminé. On peut aussi aller faire un tour sur la troisième scène plus intimiste, plus club aussi, équivalent de la contre-soirée dans la cuisine. On peut y déguster des bons plats de la région cuisinés avec amour. On peut se laisser aveuglément guider et surprendre par une programmation qui « pioche partout, tant que ça nous fait kiffer », nous glisse le programmateur.
Ainsi, en deux jours et pour moins de 30 euros, nous aurons voyagé dans le psyché d’Insanlar, Don’t DJ ou Wolf Muller & Niklas Wandt, pogoté devant ce fou d’Ariel Pink ou le chaotique Apollo Noir, et dansé sur l’endiablé Mauskovic Dance Band ou l’excellent animateur de mariage Soichi Terada comme si l’on vivait la meilleure fête de village du monde entier. C’est ça Baleapop, ça l’important, ça que l’on retient et qu’on aime par dessus le reste, cette familière, chaleureuse et éphèmère impression de faire partie d’une communauté qui célèbre ensemble les grands plaisirs de la vie en congés. D’ailleurs, le dernier jour il y a eu la Grande Bouffe, un banquet organisé avec tout le monde à la même table, organisateurs, artistes et festivaliers. Alors, elles sont pas belles les vacances ?
NB : On notera que cet article a été rédigé sans utiliser une seule fois le mot « cool », alors que c’est probablement le plus cool des festivals qu’on ait jamais fait.
Toutes les images ont été prises par Laurence Revol.