Un nouveau Sziget
Avec 560.000 visiteurs, la 26ème édition du Sziget Festival était encore celle de tous les records. Mais non content de grandir chaque année, l’événement nommé maintes fois “meilleur festival d’Europe” continue d’apprendre de ses erreurs. Il revenait cette année dans une formule réinventée et mieux réfléchie.
Des changements promis en 2017 par l’équipe du festival qui annonçait la cession de l’événement au fond d’investissement Providence Equity – dirigé, entre autres grands messieurs, par l’ex-patron des musiques électroniques chez Live Nation. Résultats : trois millions d’euros supplémentaires pour le budget musique. Un bonus incroyable, et sagement consacré à la construction d’une programmation plus riche qui apportait l’authenticité qui manquait au festival ces dernières années.
La scène principale, dont le line-up avait déçu du monde en 2017, comptait une pléthore de têtes d’affiches attendues et issues de tous genres musicaux. On se souvient surtout du show de Gorillaz. Damon Albarn, l’éternel… Le rock, le hip-hop, l’électro métissés et la grâce des choeurs. Sans doute le concert le plus marquant de cette programmation. Entre autres coups de coeur sur cette même scène, Bonobo et son groupe auront brillé par leur capacité à transporter une foule dissipée sur les chemins de leur univers délicat.
Le rap anglophone était représenté par une session grime, servie sous 35°C par Stormzy, puis par un show retardé, raccourci et presque décevant de Kendrick Lamar. Chez les femmes, la grande scène recevait aussi Lana Del Rey, MO et la toute jeune starlette, Dua Lipa. Clôturée depuis plusieurs années par un DJ set EDM, elle revenait à ses premiers amours, le rock, avec un closing sensuel par Arctic Monkeys. L’une des meilleures idées de ce nouveau Sziget.
La techno au programme, pour de vrai
Et sinon, qu’en était-il de la scène techno ? Si le festival compte depuis longtemps une scène dédiée au dancefloor, le Colosseum décevait par son système son faible et sa programmation peu réjouissante. Trax est heureux d’annoncer que c’est du passé. Sponsorisé pour la première fois cette année, le Colosseum voyait quatre de ses colonnes affublées de line-arrays pour une qualité sonore enfin à la hauteur.
Gros changements sur la programmation également qui ne se contente plus d’un headliner quotidien. Dès 22 heures, le programme y était chargé et balayait plusieurs sous-genres house et techno. De Popof à Dave Clarke, on trouvait également la micro-house de Raresh et un b2b dément de Rebekah et Paula Temple. Puis, parmi toutes ces têtes, une surprise de taille : la DJ palestinienne SAMA’ – qui nous avait offert une interview dense et riche avant de s’installer en Europe. Elle clôturait la quatrième nuit, et aura captivé le dancefloor jusqu’aux dernières notes d’un set très violent.
Jamais le Sziget n’avait accordé tant d’importance à son public techno. Plus que d’améliorer son Colosseum, le festival dédiait une surface triplée à sa plage – seule scène encore en marche passé 6 heures. Mais le plus beau cadeau, c’était le closing hallucinant assuré par Elrow.
Troquant sa fermeture à la sauce EDM pour un concert de rock, le Sziget donnait carte blanche à l’agence espagnole pour faire oublier l’absence de feu d’artifices. Equipés d’une tonne de décorations, accompagnés de danseurs, d’échassiers et autres performers, Elrow aura transformé un simple chapiteau en jungle psychédélique massive. De La Swing, Jamie Jones, Art Department et Tini Gessler se succèderont aux platines lors de cette dernière nuit rythmée par une house survitaminée. Le public, composé d’adeptes et d’amateurs, voyagera sur les six continents jusqu’à l’extase, avant la nostalgie de l’heure du départ.
Une édition placée sous le sigle de la Love Revolution
Dernière nouveauté du Sziget 2018, son thème : la Love Revolution, divisée en quatre grandes thématiques : “Green Planet”, “Against Racism”, “Human Rights”, et “Peace”. Créé en 1991 par une bande d’étudiants gauchos, le Sziget a toujours contenu dans son ADN des valeurs humanistes et progressistes. Rappelons d’ailleurs que le festival vise, depuis sa création, l’inclusion de tous en son sein. Il est d’ailleurs l’un des festival les plus accessibles aux personnes en situation de handicap avec un camping dédié et de nombreux sanitaires praticables. On se souvient encore émus d’une jeune fille en fauteuil roulant, en plein délire aux abords de la scène techno, autour de 6 heures du matin : “Sziget, c’est la folie. Le meilleur endroit pour être handicapé, je suis une vraie star ici !” Et ça, vous ne l’entendrez peut-être qu’au Sziget.
Pourtant, le thème n’a pas été porté aussi bien qu’il aurait pu l’être ; et après une semaine de festival, il semblait presque n’exister que pour la bonne image qu’il diffuse. Interrogée sur la portée politique de son travail, l’équipe du festival répond : “Nous ne faisons pas de politique à Sziget, il est avant tout question de musique et de fête.” De l’amour oui, mais pas de vraie révolution finalement.
Sur l’écologie d’abord, le festival inaugurait cette année – et pour la première fois de son histoire – un système d’éco-cups. On se souvient encore, l’année dernière, des bancs de gobelets par milliers, abandonnés au triste sort d’un recyclage impossible. Un changement qui fait plaisir, mais qui arrive tard et reste incomparable aux initiatives menées par le DGTL ou d’autres. Au sujet de la discrimination, si la conférence de presse tenue par un panel de femmes était une bonne idée, les faire parler de leur rôle de mères n’était pas l’option optimale. Combattre la discrimination, n’est-ce pas d’abord combattre les stéréotypes ? Dans le même esprit le Magic Mirror, scène dédiée à la culture gay, n’évite pas le piège des clichés avec une playlist pop/90’s tout au long de la semaine. Idem pour la “World Music Stage” et la “Caravan Tent” – dédiées aux musiques du monde – qui se limiteront aux musiques les plus traditionnelles.
Ces paradoxes, mis bout à bout, laissent le goût amer d’une opération marketing guindée, d’une d’attestation de moralité qui n’arrive pas au bon moment. Quand on regarde autour, des centaines de festivals s’engagent avec plus de force sans faire de leurs valeurs un slogan accessoire ou de jolies inscriptions sur des gobelets recyclables. On pense au Burning Man, au Boom, et à beaucoup d’autres dont le militantisme ne se limite pas à des mots. On aurait voulu plus de conférences sur ces grandes thématiques, plus d’artistes issus de la diversité, bref, plus de parti pris à l’occasion de cette “Love Revolution”.
Mais un verre à moitié vide reste toujours à moitié plein, et avouons que le Sziget aura – malgré tout – porté ces valeurs fondamentales aux yeux de 560.000 visiteurs. Peut-être pas de la meilleure manière, certes, mais il faut croire à la floraison des graines que sèment les événements fesitfs dans l’esprit des jeunes. Alors puisqu’il faut conclure, ce sera sur une bonne note car le “plus grand festival d’Europe” ne nous aura jamais autant captivé. Une diversité musicale plus exigeante, une technique améliorée sur les scène secondaires, des concerts inoubliables et une ambiance plus conviviale que jamais : c’est ce qu’on retient de cette éditon 2018.