On connaissait les Anglais de 33:33 pour leurs St. John Sessions, une série d’événements se déroulant aux quatre coins du globe pour mettre en valeur le travail de musiciens expérimentaux. Quant au collectif égyptien VENT, on l’avait découvert par l’intermédiaire de Bosaina, lauréate de la Red Bull Music Academy qu’on rencontrait dans notre numéro spécial monde arabe l’an dernier.
Avec l’aide de l’Institute of Contemporary Art britannique, les deux crews ont mis sur pied le festival Masāfāt. Séquencé en deux temps, entre Londres (du 1er au 4 septembre) et Le Caire (du 20 au 24), l’événement vise à promouvoir les musiques électroniques avant-gardistes et les échanges collaboratifs entre la Grande-Bretagne et le Moyen-Orient. Du très beau monde et des talents émergents des deux continents y sont mis à l’honneur ; des live audiovisuels avec Foldings (aka Lee Gamble et Dave Gaskarth) ou le duo égyptien C31S39 (qui manipule des images selon des ondes cérébrales captées en direct), des dissections savantes avec le sorcier de Sheffield Mark Fell, des hybridations club/musiques ethniques avec Deena Abdelwahed, des expérimentations entre grime et noise avec les deux enfants terribles de la UK bass, Mumdance, Logos et l’artiste italien Shapednoise, de l’ambient aux accents orientaux avec Oren Ambarchi, du rap palestinien avec Dakn…
Fait malheureusement assez rare pour être souligné, la partie cairote de Masāfāt est financièrement accessible pour la population locale (entrée gratuite sur demande d’invitation), alors que les festivals de musiques électroniques implantés sur la rive sud de la méditerranée s’alignent généralement sur les tarifs occidentaux. Aussi, on trouvait important de souligner un tel événement dans un pays où la culture de la musique électronique est en pleine construction et où le gouvernement mène une politique de répression, en fermant des espaces d’expressions artistiques notamment.
A quelques jours de l’ouverture du festivals, on posé quelques questions à Bosaina, Asem (aka $$$TAG$$$) et Zuli ; le trio égyptien derrière VENT.
$$$TAG$$$ – A Violent Exchange On Truth Serum
Est-ce que vous pouvez d’abord nous expliquer ce qu’est VENT ?
Asem : VENT a commencé en 2013 lorsqu’on a ouvert un lieu d’expression musical et artistique dans le centre-ville du Caire. Notre objectif principal était de fournir une plateforme pour les artistes locaux émergents ; d’offrir notre espace et nos compétences pour échanger de manière créative et aider ces artistes à se développer. Le lieu a fermé fin 2015. Depuis, on continue notre travail à travers des séries d’événements, toujours avec les mêmes objectifs.
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Comment est-ce que vous avez rencontré l’équipe de 33:33 et qu’est-ce qui a motivé cette collaboration ?
Bosaina : J’ai rencontré Morell de 33:33 lorsqu’il est venu en Égypte avec Bradley Zero pendant la résidence de Rhythm Section à VENT. On avait discuté du potentiel de faire une St. John’s Session x VENT, mais on a dû fermer quelque mois après. On a donc mis le projet en pause. Lorsqu’on s’est remis à faire des événements, on a collaboré avec 33:33 et Nawa Recordings pour le projet Labyrinths, qui a eu lieu au Caire l’an dernier. C’est à partir de là que la discussion entre les deux équipes au sujet d’un plus gros festival a commencé.
Zuli – Ahmed
Quel genre de difficultés avez-vous rencontré pendant les préparatifs ? Est-ce que c’était facile d’obtenir des visas et de trouver des lieux pour accueillir le festival au Caire ?
Bosaina : C’était assez tendu avant que je reçoive mon visa britannique comme j’avais déjà eu des complications avec le précédent.
Zuli : En tant qu’artistes du Moyen-Orient, on doit toujours passer du temps et dépenser des fortunes sur les visas… On fini par les avoir si on a la patience et l’énergie d’aller jusqu’au bout.
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Asem: On doit vraiment manœuvrer entre des obstacles financiers et logistiques. C’était assez fastidieux de trouver des endroits qui rentraient dans nos critères. La plupart des lieux qui ont une licence pour vendre de l’alcool avaient déjà leur programme établi, mais on a trouvé des passionnés qui nous ont demandé des sommes ridiculement petites pour la location. En général, c’est difficile d’organiser des événements qui sortent du domaine conventionnel, mais il y a eu un changement au niveau des tendances et des goûts du public égyptien ces dernières années. On espère pouvoir faire avancer les choses encore plus loin avec Masāfāt.
Je suis particulièrement curieux de voir comment le public cairote va réagir à Gaika. La rébellion consciente et esthétiquement visible de son show contre l’hypermasculinité me paraît très adaptée aux problèmes liés au sexisme et au patriarcat qui sont enracinés dans notre région.
Gaika – Blasphemer
Comment avez-vous construit le line-up? Est-ce que VENT s’est occupé de la partie qui se déroule au Caire et 33:33 de la programmation de Londres ?
Zuli :C’était un point de départ, mais comme les choses se sont vraiment développées de manière synchronisée des deux côtés, on peut dire qu’on a fait toute la programmation ensemble.
Qu’est-ce que vous avez voulu mettre en valeur ? La dance music n’est pas au premier plan, on dirait.
Zuli : La dance music est un thème qui est présent dans tout ce que fait VENT, et j’ai le sentiment qu’elle est bien présente dans le line-up… On a juste privilégié les performances live aux DJ sets. C’est quelque chose qu’on a fait plus ou moins inconsciemment de notre côté, jusqu’à ce que Morell de 33:33 nous le fasse remarquer, et on l’a laissé comme ça.
Asem: C’est rare de voir des bons live de dance music dans le coin. Je suis vraiment impatient d’assister au show de Rezzet et j’espère voir les gens danser comme des maniaques.
Rezzet – Fire Bomb
Zuli : J’ai hâte que les artistes locaux puissent assister à un vrai show audiovisuel intégré comme Foldings, j’espère que ça inspirera plus de collaborations interdisciplinaires.
Il y a des artistes du Caire que vous êtes pressés de voir jouer ?
Je suis heureux qu’Ismael puisse exposer son travail sur une plateforme internationale comme il le mérite, et je suis curieux de voir les réactions. Bien qu’il fasse partie des meilleurs, Ismael est l’un des artistes locaux les plus négligés par les bookers du coin.
Plus d’infos sur Masāfāt sur le site du festival.