En Corse, les soirées électroniques sont-elle (enfin) en train de devenir intéressantes ?

Écrit par Antoine Calvino
Le 13.06.2018, à 11h02
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Écrit par Antoine Calvino
Il fallait bien quinze jours d’investigation pour faire le point sur la scène techno de l’Île de beauté. Procès-verbal de l’instruction, entre festivals balnéaires, carrés vip, disco solaire et cochons sauvages.

Au printemps dernier, je reçois un appel de Jean-Do Bernacchi, un DJ bastiais croisé il y a deux ans en Corse à l’occasion du festival The Bay. Jean-Do, bientôt quarante ans, c’est un peu le parrain de la scène locale, il organise des soirées et mixe un peu partout sur l’île avec son collectif Play it. D’après lui, « il se passe plein de trucs ici en ce moment dont personne ne parle, c’est dommage. Je te trouve deux billets d’avion au mois d’août pour ta copine et toi, je vous file ma voiture, vous faîtes la tournée des festivals et des meilleurs spots, et tu nous fais un papier. » En plus, comme c’est un Corse cool, il n’ajoute pas « et j’espère que ce sera un bon article, je connais ton adresse et j’ai de la famille à Paris ». En fait, il n’ajoute rien du tout, apparemment il me fait confiance. Au-delà de la perspective d’un séjour au soleil, la techno corse est un sujet intriguant. On n’en parle toujours que par le prisme de Calvi on the rocks, le festival avec les Parisiennes en bikini et couronnes de fleurs sur la plage dont on retrouve les photos dans Grazia. Forcément, il doit y avoir autre chose, aucune raison que la Corse soit passée à côté de la vague techno qui soulève la France depuis le début des années 2010. Et « l’Île de beauté » doit compter un paquet de plages et de coins planqués dans le maquis pour accueillir des fêtes d’anthologie… Nous bloquons deux semaines pour nos vacances. Enfin, pour mon reportage.

Arrivée à Bastia

Sur le tarmac d’un aéroport de Bastia inondé par le soleil, Jean-Do accueille le couple de continentaux tout sourire, avec son bel accent chantant qui escamote les voyelles à la fin des mots, rendant parfois compliquée la compréhension. Ici on ne dit pas Porto-Vecchio, mais « Portovec » en faisant glisser le « io » dans une sorte de soupir… Première destination, le festival Cargèse Sound System, au centre de la côte Ouest, qui démarre sa septième édition. Après vingt minutes de route, la voiture serpente déjà au milieu d’un sublime paysage de montagne. Entre les ravins, le maquis, les histoires de vendetta de Jean-Do, les panneaux de signalisation criblés de balles et les graffitis en corse qui proposent gaillardement aux colons de leur garnir le postérieur, le dépaysement est réussi. Jean-Do se gare juste derrière un pont dans la région du Niolu. Après un sentier qui glisse dans la rocaille le long d’une rivière, quelques bassins creusés dans la pierre par l’érosion s’ouvrent aux visiteurs : le bonheur. Mais pas question de s’attarder, Cargèse attend.

Une scène qui a du mal à décoller

En reprenant le volant, Jean-Do raconte les débuts de la scène techno de l’île… « Dans les années 90 il n’y avait rien d’underground, que des clubs commerciaux. On a bien eu quelques petites free au Cap Corse entre 1995 et 2000, mais ça ne plaisait pas aux bergers nationalistes d’avoir quelques dizaines de mecs qui se défonçaient dans le maquis, ils avaient peur que le boum boum réveille leurs chèvres. En revanche, aucun souci avec la police. Contrairement au continent, la scène ne s’est pas construite en opposition avec les autorités. » En cherchant un peu, il se souvient quand même de quelques fêtes mémorables… « Il y a eu de belles années entre 1994 et 2000 à L’Amnesia, une boîte entre Porto Vecchio et Bonifaccio, avec Laurent Garnier à la direction artistique qui faisait venir Carl Cox… La boîte distribuait des flyers, elle affrétait un avion avec une banderole qui volait au dessus de la plage, c’était révolutionnaire… Malheureusement, elle a sauté en 2000. » Attentat ? Prime à l’assurance ? Jean-Do esquive et enchaîne sur Calvi on the rocks. « Même si c’est un festival très parisien, il a quand même bien démocratisé le truc depuis le début des années 2000. Les passages de Carl Craig et Para One, par exemple, ont beaucoup marqué. » Plus tard, une clubbeuse locale nommée Julia sera elle plus saignante : « on s’est bien gavé à Calvi et ça a donné envie à plein de jeunes d’ici de faire de la techno, mais il y a trop de Parisiens qui viennent pour se montrer, les prix ont explosé et la programmation tourne en boucle autour de la bande d’Ed Banger. »

amour toujours corse

L’autre grande date de la techno corse, on y était, c’était le festival The Bay en 2015. Un line-up jamais vu sur l’île : Carl Craig, Ben Ufo, Nina Kraviz, Tale Of Us… Et une annulation la veille de l’ouverture, qui avait laissé 6000 teufeurs sur le carreau. Tant que le jugement de l’affaire ne sera pas rendu, difficile de dire si ce sont les organisateurs qui n’avaient pas blindé les autorisations ou si, comme le dit la rumeur, cette pantalonnade est due à l’origine niçoise de ces derniers, parce que les mairies concernées ne voulaient pas d’une « rave party » sur leur territoire, ou si ce n’était pas à cause des vigiles qui avaient été malencontreusement engagés sur le continent… « Le souci, reprend Jean-Do d’une voix désabusée, c’est que les Corses ne comprennent pas comment fonctionne la techno. Pour eux, elle est juste synonyme de drogue. La fête ici, ça consiste à commander des bouteilles dans un carré vip. On est sur une île, coupés du continent, les gens sont moins ouverts. » Plus tard, on nous soufflera que lorsqu’un organisateur marche bien, la mafia locale vient demander sa part. Soit il paye, soit il arrête. La scène a du mal à décoller, mais on nous assure que les choses bougent.

Le festival de Cargèse

Le Cargèse Sound System est organisé par un enfant du pays, Théo Frimigacci, aidé de la Parisienne Molly à la programmation. Cet après-midi, la fête a lieu sur une plage autour d’une paillote : sur le sable brûlant, on danse en maillot de bain avec son mojito, tandis qu’un photographe local fait poser en mode mariage les groupes de copains devant la cabine du DJ avant de leur vendre les clichés imprimés sur place. Les platines sont pour l’heure confiées à des artistes locaux qui se débrouillent pas mal du tout. Il y a le collectif Ritmic d’Ajaccio, représenté par le duo Solär SoundSystem et sa tech house mélodique, ainsi que par Funkastle qui joue micro-house. Ils sont accompagnés de leurs confrères de Play it, à l’exemple de Jean-Do qui mixe une house sombre et mentale, de Fÿm et Mujiya avec leur disco solaire, de Fabio et sa house soulfull, et de Fürse qui a cosigné avec Reig quelques maxis techno sur Traum Schallplatten. Assise devant une Pietra, la fameuse bière corse à la chataîgne, la bande dresse un rapide tableau de la scène de l’île. Elle cite Odz, un sound system de free party d’Ajaccio, et les compositeurs exilés sur le continent : Workerz et sa house élégante, Steve Marie, plus percussif, qui joue à Paris pour Newtrack et Concrete, Antigone dont la techno célèbre à l’international ne résonne que depuis peu sur l’île, et, dans un genre plus populaire, Neus, qui envoie de la turbine avec la bande d’Ed Banger et a remixé Skrillex et Pharell Williams. Après l’inévitable apéro au camping, la version nocturne du festival commence. Cette année, celle-ci ne se tient plus dans les arènes du village en raison des plaintes du voisinage, mais sur un terrain à proximité de la plage où, trois soirs d’affilée, un peu plus d’un millier de personnes sont venus écouter Âme, Jennifer Cardini, Raresh ou Sonja Moonear. Du solide. Malheureusement, si la simplicité des après-midis à la plage fonctionne bien, les grandes manoeuvres de la nuit peinent à convaincre. L’unique élément de scénographie est un énorme écran de leds encadré de poutrelles métalliques qui ne cesse d’égrener les noms des DJs en fond de scène. À la droite du dancefloor, quelques heureux élus se font mousser dans un carré VIP, et, au bar, on sert aux amateurs de bière des Corona à six euros, tandis que l’absence d’eau courante permet d’écouler des bouteilles d’eau à cinq euros. Mais on est presque gêné de souligner ces points noirs, tant les locaux se disent heureux et fiers de compter ce festival sur leur île. Entre deux verres, le collectif Play it se raconte.

Fÿm à Cargèse

Au départ de l’aventure, en 2005, il y a Jean-Do et son ami Seb F Mantis qui tentent de s’imposer dans les discothèques de l’île. Devant le manque d’intérêt de la clientèle traditionnelle, les deux hommes investissent finalement des bâtiments désaffectés, des sous-sols de villas et des appartements décorés. Et, petit à petit, le public suit. « Nos plus jolies fêtes, ce furent les Full Moon entre 2010 et 2013 au Rocher à Saint-Ambroggio près de Calvi, un club éphémère en plein maquis avec des artistes locaux, se souvient Jean-Do. Il y avait 1200 personnes, des cracheurs de feu, des projections sur les rochers… Aujourd’hui, on mixe un peu partout l’été sur l’île et, l’hiver, on a des résidences au Petrabugno Bar sur les hauteurs de Bastia et à la Montagne à Ajaccio. En juin 2016, on a aussi monté le Wident Festival sur une plage bastiaise, mais on a eu du vent le premier jour et de la pluie le deuxième. On a perdu pas mal d’argent, on ne sait pas si on va pouvoir le refaire. » Seb F Mantis, le compagnon du début, n’est plus là pour voir ça : il a lâché l’affaire pour devenir résident à la Via Notte, la plus grande discothèque à ciel ouvert d’Europe. « C’est une boîte à bouteilles, très chère, on y chante les mêmes chansons depuis trente ans, s’agace Fürse, le jeune DJ du collectif. Seb nous enterre tous aux platines, mais là-bas il doit jouer du Claude François. Leur plus gros succès, c’est la soirée années 80 du mardi, où ils accueillent 6000 personnes. Ils ont tenté des jeudis électro avec Richie Hawtin, Luciano, Sven Väth et Nina Kravitz, ça a été un flop total. Ça marche mieux avec Steve Aoki ou David Guetta, à 60 euros l’entrée. »

Le paradis de Girolata

girolata

Alors que le festival se termine, l’enquête, elle, se poursuit en direction de Girolata, plus au nord, où la première édition d’un petit festival dont on nous compte monts et merveilles a eu lieu quinze jours plus tôt. Après une route spectaculaire surplombant les calanques de Piana, il faut tourner à gauche, sur une presqu’île broussailleuse qui abrite un parking en pleine nature. Je profite de l’occasion pour tagger au doigt sur les pare-brises poussiéreux des voitures locales quelques « Ici c’est Paris » bien sentis, avant de descendre sur le ponton prendre la navette pour Girolata, située de l’autre côté du golfe, au cœur de la réserve protégée de Scandola. Le débarquement se fait sur une plage bordée de bars et de restaurants, flanquée sur sa gauche d’un rocher surplombé par un fortin et une tour génoise. Derrière les maisons, quelques ânes broutent dans un joli jardin. Un peu plus loin commence la forêt, dans laquelle une grande tente nous servira d’hébergement en compagnie des saisonniers. Ce village isolé est un vrai petit coin de paradis. Des centaines de touristes y débarquent tous les jours pour se restaurer et passer la journée, mais ils rembarquent le soir, l’ambiance est donc très chaleureuse dans les bars à la sortie du travail. Le festival, nommé GiroLita en référence à l’association locale Lita qui l’organise, était en réalité un événement privé pour deux cents personnes, avec des artistes rock et électro, des peintres et des vidéastes. En attendant la prochaine édition, peut-être en 2019, il en reste un film visible sur sa page Facebook. « Nous l’avons tourné au lever du soleil, avec le fortin et le golfe en toile de fond, le paysage était sublime, explique Fürse, le jeune DJ de Play it, qui a fait la vidéo avec son association La Clarté. L’idée est de promouvoir la scène électronique locale et la Corse elle-même. Avec La Clarté, on espère enchaîner et filmer de petites fêtes dans d’autres spots, des sites protégés, toujours en petit comité. Peut-être avec le concours de l’office du tourisme de l’île, on verra bien. »

Veillée sauvage dans le maquis

Il nous faut malheureusement bientôt quitter Girolata pour participer dans la soirée aux Veillées sauvages, une fête qui a lieu tous les mercredis d’été dans le maquis, non loin de Cargèse. L’arrivée se fait de nuit dans une ancienne bergerie isolée, transformée en restaurant avec une terrasse à plusieurs étages où l’on danse sous un grand chêne. L’obscurité est impénétrable, mais tout le monde assure qu’en début de soirée la vue sur le maquis était magnifique. L’ambiance s’avère bon enfant, quoiqu’un peu jeune et proprette. La house de Charlotte, du label parisien RA+RE, passe bien. « On veut proposer de la musique électronique ailleurs que dans les clubs, explique Charlie Frau, l’organisatrice. Le gars de Motor City Drum Ensemble, qui sort avec ma meilleure amie, a joué plusieurs fois chez nous, en plus des artistes locaux. Et l’année dernière, on a fait l’after de Cargèse avec Varoslav. » Elle ajoute qu’il ne faut pas oublier de citer dans l’article le Ballà Boum, « un festival house, disco et pop organisé à Patrimonio par des amis. Cette année, il y avait Flavien Berger et L’Impératrice ». Dont acte. Dans un coin du dancefloor, Pascal Ordioni, tout juste vingt-deux ans, sirote une bière avec ses amis. Il fait partie du duo Solär SoundSystem, entendu en mix au Cargèse Sound System, et connu pour proposer le premier véritable live corse. « Je joue ici la semaine prochaine avec mon partenaire Jean-Marie Battesti, annonce-t-il. On passe l’été à faire le tour des spots de l’île. Pour moi, le plus incroyable c’est Coti-Chiavari, un ancien pénitencier en face d’Ajaccio avec une vue de fou sur le golfe. Mais c’est chaud, il faut monter le matériel sur le dos… Et Capo di Feno, une plage qui est un des plus beaux endroits du monde. En fait, il y a pas mal d’endroits reculés où personne ne nous entend. On y organise des fêtes gratuites, sans événement Facebook pour ne pas se faire griller. Ça se fait à l’arrache, à la stracciu. » Lui aussi a l’impression que la scène corse commence à se développer. « J’ai mis du temps à trouver des gens dans mon délire, mais entre les lieux qui ouvrent et les artistes qui se multiplient, ça ne demande qu’à exploser. J’aimerais qu’on garde l’intimité de nos soirées. Aujourd’hui les gens se tiennent bien, les lieux restent propres, on s’entraide. J’espère que ça va rester comme ça. »

Sölar Soundsystem à Cargèse

Ajaccio, rouspétages et free parties

Notre Corsica Tour reprend le lendemain vers le sud. Cette fois, direction Ajaccio afin de rencontrer Flo Secondi du soundsystem free party Odz, et Bryan Giovannangeli qui organise des soirées au club La Montagne. Flo est le premier à se pointer à l’apéro, et lui aussi se plaint de l’état d’esprit de l’île. « Le problème, c’est qu’il n’y a aucune culture de la fête en Corse. Ici on sort pour montrer qu’on est beau et claquer un max de fric. Et puis les gens ont du mal à faire trente kilomètres pour chercher une teuf. » Décidément ça tourne au running gag ces Corses qui rouspètent sur leur scène nocturne. Alors, elles se passent où ces free ? « Il y a bien sûr le pénitencier d’Ajaccio dont te parlait le gars de Solär SoundSystem, mais aussi la côte vers Saint-Antoine à côté de Bonifacio avec la vue sur la mer, ou encore le désert des Agriates en Balagne près de Calvi, où on a parfois fait l’after du festival. On y a même vu débarquer des filles en robe de soirée ! » Lorsqu’on lui demande s’il lui arrive de poser du son le long des rivières, qui sont si belles dans les montagnes, il est presque surpris. « Jamais, ce serait dangereux on pourrait glisser. » Et concernant les rapports avec la police, il va dans le même sens que Jean-Do. « Ils ne nous ont jamais interrompus, au pire on a dû baisser le son. Le Corse est chez lui, ici c’est une zone de non droit et c’est quelque chose qu’on cultive. La seule fois où l’on s’est fait arrêter, c’était par un groupe de chasseurs. » Pourtant, la free a déjà quelques années derrière elle. « Le premier à avoir posé du son, c’était Henri avec son camion jaune, il y a une vingtaine d’années. Ensuite, il y a eu le collectif Affak, qui faisait du hardcore, Alrt dans un style plus tribe et hardtek, puis Fabien, en mode hardtek, qui posait tout seul sous le nom de South X. Aujourd’hui il reste nous, donc Odz, et un autre collectif, mais je ne veux pas les citer, c’est des mange-merdes ! » On aura beau insister, impossible d’en savoir plus.

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Les soirées de La Montagne

Les fêtards d’Ajaccio peuvent également compter sur La Montagne, la relève officieuse de la discothèque La Cinquième Avenue qui passait un peu de house avant d’exploser, elle aussi, en 2004. Ces derniers mois, on y a vu passer Bambounou, Djebali, Shlømo ou Yakine. Son boss, Bryan Giovannangeli, finalement occupé à gérer la sonorisation d’un festival ailleurs sur l’île, nous racontera plus tard par téléphone : « La Montagne, c’est une salle de spectacle dans laquelle mon association monte des événements une fois par mois, le plus souvent en hiver. En plus de notre résident, Lukas Jenkins, on accueille souvent les DJs de Ritmic, le collectif local, mais aussi de Play it, qui a quelques représentants ici. D’ailleurs, le week-end dernier les deux teams jouaient ensemble. Généralement on programme de la house, mais aussi de la techno et parfois de la hardtek ou de la drum’n bass, mais c’est plus rare. » D’après la rumeur, il aurait aussi accueilli une soirée LGBT appelée « Affaire de famille », la première du genre en Corse, montée à la suite de l’agression d’un couple de lesbiennes… « En fait la soirée était déjà prévue. On a fait venir Chloé, ça a très bien marché on a eu deux cents personnes. Ici la communauté gay ne se montre pas comme ça, c’était l’occasion. »

Sur les routes de Corse

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L’enquête touche à sa fin. Reste à remonter l’île par Corte, au centre, pour arriver au Machja Festival, au nord, un peu avant Calvi. Sur la route à nouveau, la beauté des paysages est saisissante. Montagnes préservées, petits villages de pierres, rivières, lacs et cascades, cochons et chèvres en liberté sur la route… Au fond, la Corse de l’intérieur est peut-être plus belle encore que celle des plages. Coincé entre l’église du village d’Olmi-Capella et le Monte Padro, le festival se tient sur le champ du grand-père de l’organisateur. C’est justement le patriarche qui nous héberge, dans une impressionnante bâtisse traditionnelle dont la décoration, rideaux de velours et tapisserie compris, n’a pas l’air d’avoir bougé depuis le Second Empire. Accrochée sur le mur en haut de l’escalier, la toge de magistrat d’un aïeul achève de poser l’ambiance. La maison compte deux cachettes pour les bandits d’honneur – les maris ayant assassiné l’amant de leur femme, par exemple – elles-mêmes raccordées à des tunnels débouchant dans la montagne, à quelques centaines de mètres de là. Le petit-fils, Romain Casa, dirige une boîte d’événementiel à Paris et la paillote U Sbirru Beach, à côté de L’Ile-Rousse où il organise des soirées électro les samedis d’été.

Machja Festival

Au Machja, Romain s’attache à combiner programmation pointue et promotion du terroir. La journée, c’est pétanque, exposition de peintures, polyphonies corses et vente de saucisson et d’huile d’olives du coin. La balade à dos d’ânes prévue sera elle remise à plus tard, le guide ne s’étant jamais montré, tant pis pour la vadrouille à califourchon dans le maquis. À la nuit tombée, veau à la broche, et quelque 700 personnes venues pour l’excellent rock psychédélique des Casablanca Drivers, la techno progressive supersonique de Modgeist et la house et la techno classieuses de Simian Mobile Disco et Antigone, sans oublier quelques bons DJs du cru. « Je suis très heureux de monter cet événement dans le village de mon enfance, explique Romain Casa. J’avais envie de montrer qu’en Corse, contrairement à notre image un peu dure, on est ouverts, accueillants. » Et qu’en pense le maire, Frédéric Mariani ? « Toutes les générations sont venues, au moins pour le tournoi de boules. Il y a eu quelques appels aux gendarmes hier soir, mais dans l’ensemble le festival est bien perçu. La techno a la réputation d’attirer des gens dépravés, mais je n’ai rien vu de tout ça. Il faut que notre village vive, ce n’est pas un sanctuaire. S’il n’y a pas d’opposition, je remettrai volontiers ça l’an prochain, mais peut-être en orientant la sono vers la montagne plutôt que vers le village… » Le lendemain, après un petit tour par Calvi, son impressionnante citadelle, sa vieille ville folklorique et son immense baie – joli cadre en effet pour son célèbre festival – nous rejoignons Bastia rendre sa voiture à Jean-Do, tout bronzés après ces quinze jours d’enquête acharnée. La scène corse est certes encore modeste mais, après quelques faux départs et zigzags entre mauvaise réputation, malfrats et carrés vip, une nouvelle génération se prépare à éclore, et elle ne demande qu’à sortir l’île de sa torpeur.

Machja Festival

Modgeist

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