En Algérie, l’underground techno est prêt à décoller

Écrit par Thémis Belkhadra
Le 28.10.2016, à 16h27
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Écrit par Thémis Belkhadra
Dire que le monde arabe abrite un underground de plus en plus fort n’est plus un scoop. Le Maroc, la Tunisie mais aussi la Palestine, le Liban ou l’Iran voient leurs communautés club/rave se développer à grande vitesse, au nez et à la barbe, parfois, des législations ou codes moraux. L’Algérie, toujours très discrète, semblait avoir échappé à la règle. Mais ça arrive, avec l’émergence du groupe Algerian Techno Movement et les Between Us. Voilà un an que cette communauté se démène pour bâtir une vie nocturne de qualité aux alentours d’Alger, et nous avons rencontré ses fondateurs.

Il y a plus d’un an, Trax avait flairé que quelque chose se tramait dans le vaste monde arabe. Avec l’émergence et la confirmation d’artistes comme Fatima Al Qadiri, ou de collectifs comme Diaspora 216, on découvrait une autre face des pays arabes : leurs cultures alternatives. Aujourd’hui, ces niches qui fleurissent depuis plus de vingt ans prennent de plus en plus d’importance, de nouveaux collectifs voient le jour, et le Maghreb reste la zone la plus avancée dans ce domaine. 

Maroc, Tunisie… mais Algérie aussi !

Avec des événements comme le MOGA Festival ou le Djerbafest, il n’y a plus aucun doute quant à l’avenir du marché des musiques électroniques au Maghreb. Les révolutions et les multiples changements de ces dernières années ont joué un rôle important dans ce développement. Mais alors que le Maroc et la Tunisie sont devenus des destinations prisées des clubbeurs, on parle toujours peu de l’Algérie, un pays qui fait beaucoup moins de com que ses voisins. Pourtant, le pays abrite des fans de musique électronique, comme le collectif Algerian Techno Movement.


Le logo d’Algerian Techno Movement

« Pour nous, la différence avec le Maroc et la Tunisie, c’est que l’Algérie n’est pas un pays touristique, expliquent les fondateurs, Hichem et Kader (David Anderson et A.K.M). Chez eux, l’Etat soutient les initiatives parce qu’il sait qu’elles alimentent le tourisme. Il y a un manque de politique culturelle sérieuse ici. » Pas question pour autant de grogner autour de la hype qui accompagne les événements des voisins. Au contraire, les gars d’ATM y voient une « source d’inspiration et de motivation ». Depuis plus d’un an, leur groupe a vocation à promouvoir les musiques électroniques en Algérie avec un objectif : organiser et rendre accessible la vie nocturne algérienne.

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Ils rejettent toutefois le terme de pionniers : « Il y a eu des grands noms dans la nuit algérienne, comme DJ Moh Techno. Les Algériens aiment faire la fête ! Et il y a toujours eu une scène ici, c’est juste qu’elle n’était pas organisée. »

ATM et le potentiel algérien

Si l’Algérie n’est pas un pays touristique, elle a pourtant tout de la destination idéale. On parle ici de 2,4 millions de kilomètres de paysages incroyables entre le Sahara, les falaises kabyles ou encore les protubérances rocheuses du Tassili n’Ajjer… « On a énormément de potentiel, aussi bien pour les décors naturels qu’industriels, à Alger, avec des warehouses à la berlinoise, reprend Kader. Il y a vraiment tout ce qu’il faut pour imaginer des événements dans des styles différents. »


Le Tassili n’Ajjer, un bon spot pour une rave

Le véritable problème, selon les deux amis, concerne « l’organisation et la promotion de la culture » : « Ce n’est pas un truc volontaire, les problèmes se sont créés avec le temps : monopole des lieux, lourdes démarches administratives, absence de politique culturelle et touristique… La plupart des clubs dépendent d’hôtels hors de prix en lien avec l’Etat et ce manque de concurrence ralentit les choses ici. »

À les écouter, on comprend que la situation actuelle résulte d’une accumulation. Les restes d’un passé mouvementé et les effets d’une politique culturelle limitée qui rend difficile les initiatives comme la leur. C’est peut-être ce qui a motivé le duo et les nombreux artistes gravitant autour d’eux à réinjecter un peu de sérieux et de folie dans les nuits algériennes. Leur aventure commence en 2015, avec la création d’un groupe Facebook.

« On a créé le groupe pour rassembler les amateurs de musiques électroniques, qu’ils soient Algériens, Nord-Africains ou Européens, poursuivent-ils. C’est une histoire d’échange musical avant tout, et on a d’ailleurs découvert beaucoup de monde grâce à cela  : des DJ’s, des producteurs, des raveurs… La communauté existe, elle est présente mais elle manquait de représentants pour se regrouper. » Internet aura donc joué un rôle non négligeable en facilitant les échanges entre les différents publics nord-africains ou étrangers.

Forts du succès de ce groupe, les deux amis organisent vite leur première soirée, Between Us. Ils posent immédiatement les fondations d’un clubbing tendance rave old school, centré sur la musique et le partage avant tout. 

« On a essayé de faire quelque chose d’original, différent de ce qu’il se passe en Algérie. Beaucoup de noctambules se plaignaient des fêtes ici, qui ont toujours lieu dans des hôtels blindés de fric avec une ambiance trop carrée. Nos événements sont beaucoup plus décontractés, on cherche à relier les gens. La musique est au centre de notre démarche, mais il s’agit aussi de rassembler les gens pour faire la fête dans un lieu ouvert et accessible à tous. On pratique donc des tarifs très bas : généralement, l’accès est libre. »

Cette dernière particularité est d’autant plus surprenante lorsqu’on prend en compte la concurrence quasi inexistante à laquelle le duo fait face en Algérie. Les soirées Between Us réunissent tous les ingrédients d’une bonne rave techno : du son de qualité, un public passionné, un travail d’équipe et des tarifs abordables. Autour d’eux gravitent des boîtes comme SE Design ou Deja Vu Productions.

Aujourd’hui, Algerian Techno Movement réunit une communauté de 470 membres actifs qui échangent autour des artistes et des différents courants de la musique électronique. Le groupe permet ainsi l’éducation du public algérien à la diversité des musiques électroniques. Il facilite aussi l’organisation des soirées Between Us puisqu’il en est le moyen de promotion principal. Enfin, de nombreux membres de la communauté prennent part aux événements en tant que DJ’s, VJ’s, décorateurs, ou en louant leur propriété par exemple, ce qui garantit l’indépendance du collectif.

Leur dernière soirée prenait d’ailleurs place dans une villa d’Alger, mise à disposition par un des membres de la communauté : « On voulait faire un truc en journée, original, en mode garden-party dans la villa d’un pote. Il y avait de l’herbe, une piscine… Les gens qui voulaient se baigner étaient à l’aise et ceux qui voulaient danser avec beaucoup d’espace. Il n’y avait pas le côté pool party péteux, l’ambiance était très décontractée. Des gens étaient venus pour discuter, d’autre pour se baigner ou faire la fête. On a commencé à 14 heures jusqu’à 1 heure du matin et c’était marrant parce qu’on a croisé beaucoup de gens différents. Entre l’après-midi et la nuit, les profils n’étaient pas les mêmes. »

David Anderson et A.K.M  : le duo aux mille casquettes

Lorsque les deux amis ne portent pas la casquette d’organisateurs et animateurs de communauté, ils sont artistes et résidents de leurs propres événements. Sous le nom d’A.K.M, Kader produit une techno « dure et très industrielle ». De son côté Hichem – alias David Anderson – est « plus minimaliste » bien qu’il touche à plusieurs styles dérivés de la house. « On se complète, affirme Kader. Quand tu viens à nos soirées, tu sais que t’auras un peu de micro, de la deep, de la techno… Un peu comme aux débuts de la rave. On parlait de techno mais ça ne se limitait pas à un seul style. Et d’ailleurs, le public apprécie la diversité et cette progression au fil de la nuit. » Quelques artistes du collectif : 

En Algérie, la nuit est donc résolument underground, teintée de culture rave et rythmée par les différents styles de musique électroniques défendus par ATM. Le problème de ce genre d’événements – surtout dans un pays qui ne les défend pas –, c’est le manque de moyens. Pour réunir les fonds nécessaires à l’organisation de leurs projets, les mecs ont aussi ce qu’ils appellent des « jobs alimentaires ».

Pour Hichem, ce sera DJ : « J’ai mon côté artiste DJ, mais c’est aussi mon boulot. On me demande de venir et on me dit : tu joues ça, ça et ça. Je le fais parce qu’à ce moment-là, je ne suis qu’exécuteur, c’est juste pour bouffer. On fait du corporate aussi parfois avec des prestations sons et lumières. Tout ce qu’on a appris de notre passion, on en a fait notre métier. » Kader, de son côté, s’est orienté vers l’ingénierie sonore  : « J’ai appris ça au travers de la musique mais j’ai exploité le côté technique pour en faire mon travail. T’es un peu obligé de le faire ici. Au moins, on reste dans le même domaine. »

Lorsqu’ils regardent vers l’avenir, les gars d’ATM espèrent pouvoir développer des projets de fusion entre les musiques électroniques et folkloriques nord-africaines  : « La culture nord-africaine est très importante dans notre travail et nos visions artistiques. Quand tu regardes Detroit, les pionniers de la techno étaient des Afro-Américains inspirés par leurs musiques folkloriques. Ici, c’est un peu pareil, on a une musique très rythmée et répétitive qui colle naturellement à la techno. On nourrit quelques projets autour de ça dont on espère vous parler dans peu de temps. » 

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