Les projets au propos aussi fourni et radical que celui de Sean Booth et Rob Brown ne sont pas vraiment la norme dans l’univers des musiques électroniques. Quand les têtes de gondoles du genre clament haut et fort ce qui fait sa différence, ses racines expérimentales, sa volonté d’être radicalement tourné vers le futur, il est bon de se prendre un bon crochet du droit, tel qu’un nouvel album d’Autechre par exemple. Ça nous rappelle qu’il ne faut pas crier au génie trop tôt.
Pas besoin d’aller chercher du côté de la psychanalyse pour trouver une explication à ce phénomène : le parti pris et l’honnêteté artistique priment tellement dans l’oeuvre du duo, que leur production fait systématiquement passer le dernier banger techno lo-fi à la mode pour une babiole sortie d’une brocante/marché aux vinyles/salon craft beers de SoPi.
Fin 2015, le grand Powell – qui jouera ce week-end au festival Villette Sonique – sortait sur son tout aussi grand label Diagonal un remix du Heavy Handed Sunset de Russell Haswell par Autechre. Mais personne n’allait imaginer que les sonorités post-humanistes de ce remix étaient l’annonce d’un futur LP.
Dans les cinq volets qui composent Elseq, rien n’est faible. On se fait maltraiter sur des plages oscillant entre 5 et 27 minutes, entre parade de drums dérangées et expérimentations bruitistes, qui feront brûler leurs cartes aux plus aguerris des membres du fan club du groupe. L’ouverture, feed 1 et ses 11:37 de fulminants éclats sonores saturés résume à elle seule l’ensemble d’un projet si monumental qu’on ne vous mâchera pas le travail, et qu’on ne citera même pas un morceau de plus pour justifier nos propos. Faites-nous confiance, ces 247 minutes de musique sont essentielles à votre avenir.
De toutes les œuvres d’Autechre, Elseq est une des plus radicales. Peut-être celle avec laquelle le duo appuie une bonne fois pour toutes sur le détonateur qui réduira en miettes leur héritage – et tout espoir d’un éventuel retour de l’IDM – ainsi que les artistes qui se seront engouffrés dans leur lignée. Eux pourront recommencer, ex nihilo, comme ils l’ont toujours fait.
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
— Charles Baudelaire – Le Voyage