Quand le gamin Dusty Kid a débarqué dans notre sphère, c’est dans un tourbillon de talent qu’il nous a emporté. Car en plus d’être doté de l’oreille absolue, l’artiste italien a rapidement été reconnu pour la précocité de ses aptitudes, lui-même ayant assimilé à l’âge de 10 ans, le contenu d’un apprentissage de six années de piano et de violon, cela en une seule année.
Beethoven des temps électroniques, virtuose des synthés analogiques et visionnaire de paysages oniriques, Dusty Kid nous plonge aujourd’hui au cœur de son nouveau disque Not So Green Fields, qu’il nous conte au travers d’un entretien d’une intégrité et d’une candeur assez remarquables.
EXCLU : “We Are The Troglodytes”, en écoute exclusive, précède la sortie de ce quatrième album, Not So Green Fields, à paraître le 4 septembre via Isolate.
INTERVIEW DE DUSTY KID
Heureux de te revoir à l’occasion de ce nouvel album. À quel moment as-tu commencé à travailler dessus ? Tu as beaucoup tourné ces derniers temps… D’où t’est venue l’idée de produire un nouvel essai ?
En fait, l’été dernier a été le meilleur de ces dix dernières années. Je n’ai pas beaucoup tourné, donc j’ai vraiment apprécié le fait de pouvoir passer tout ce temps ici, en Sardaigne, avec ma famille et mes amis, à découvrir de nouveaux endroits fabuleux dont j’ignorais l’existence, à boire des litres de vermentino et me prélasser pendant des heures, tous les jours, sur de magnifiques plages.
J’ai commencé à travailler sur l’album l’été dernier, le 5 juillet plus précisément. J’ai eu l’idée de faire cet album-concept pendant la soirée de mariage de deux bons amis. J’ai mis beaucoup de temps à me décider quant à la direction à prendre. J’ai produit la majeure partie des tracks en février-mars dernier, pendant que j’enchaînais les allers-retours entre le studio et l’hôpital.
Mes albums contiennent de nombreux éléments ethniques, et je pense que le dernier en est le plus significatif
Un de mes amis est tombé gravement malade et a succombé deux mois plus tard. Je ne sais pas pourquoi, mais, le jour où sa maladie fut découverte, chaque heure passée en studio pendant cette période douloureuse m’a permis de rattraper tout mon retard sur l’avancée du projet. J’ai beaucoup appris au travers de cette expérience, et ma musique reflète tout ça. Le titre “Durke” a été produit en son honneur, mais il n’en est pas déprimant pour autant. Je dirais plutôt qu’il est délicat et plein d’espoir.
Pourquoi as-tu choisi ce titre en question, Not So Green Fields ? De la même manière que le précédent album, III, tu sembles fortement attaché à la notion de paysage. Je me souviens de la note qui accompagnait cet essai, elle le comparait à un voyage à travers les montagnes et de grandes étendues…
Artwork de “Not So Green Fields”[/caption] Not So Green Fields reflète les principales couleurs des paysages de Sardaigne aux yeux d’un touriste, surtout s’il est originaire du nord de l’Europe ou d’un autre pays froid. Des couleurs dont il se souviendrait après avoir vu mon île.
C’est une bonne manière de décrire ce qui l’affecte, les incendies, qui donnent l’impression, chaque été, que tout y est sec et brûlé. Ceci dit, en définitive, j’exprime ma vision des choses, le regard que je porte sur ces champs qui ne sont pas si verts, un regard plein de naïveté et de romantisme, et qui n’est pas du tout lié à tous ces incendies 🙂
Il y a de meilleurs artistes qui peuvent faire une meilleure techno que je pourrais la faire moi-même aujourd’hui. Donc je préfère m’en éloigner un peu…
Suivant l’exemple de Floating Points et du Maroc, d’Omar Souleyman et de la Syrie, de M.I.A. et du Sri Lanka, de nombreux artistes semblent s’être intéressés à la musique traditionnelle de certains pays, comme si la musique électronique était en quête de renouveau, à la recherche de nouvelles influences, primitives notamment. Était-ce ton cas sur ce nouvel album ?
Excepté III, mes albums contiennent de nombreux éléments ethniques, et je pense que le dernier en est le plus significatif. Il y a des phases un peu tribales, des instruments et des mélodies typiques des pays méditerranéens, et je trouve qu’ils correspondent assez aux sons que pourrait émettre l’île, selon ma propre vision. Je pense qu’ils les transcrivent de manière à correspondre à la dance music actuelle. Mais la musique tribale, par exemple, a toujours été associé à la danse, depuis le néolithique !
J’écoute principalement de la pop, mais le fait de concevoir un album purement pop m’ennuierait beaucoup.
Peut-on affirmer que cet album sonne plus pop que les précédents ? Qu’est-il arrivé à la techno ?
La techno pour moi est morte. Je ne dis pas que le genre a disparu, la techno n’a jamais été aussi vivante que ces derniers temps. Je veux dire par là que la techno ne m’intéresse plus pour le moment. Il y a beaucoup de tracks techno remarquables aujourd’hui, mais ils sont simplement trop nombreux !
Il y a de meilleurs artistes qui peuvent faire une meilleure techno que je pourrais la faire moi-même aujourd’hui. Donc je préfère m’en éloigner un peu, continuer à faire quelque chose de dansant, lié d’une certaine façon à l’esprit rave, mais pas techno. C’est ce que je ressens pour cet album.
Je trouve la trance bien plus intéressante ces temps-ci, plus onirique, plus exaltante, ça me ressemble plus. Bien entendu, je ne parle pas de la psytrance ou de cette musique que vous pouvez entendre dans de gros festivals, je ne peux pas supporter ça ! Mais les années 90 ont produit d’excellents tracks de trance.
J’admets que certains peuvent sonner un peu ringards ou démodés aujourd’hui, mais je ne sais pas, quand je les joue, il y a quelque chose de magique, quelque chose que la techno ne me donne plus en ce moment. Tu dis que l’album est plus pop, je suis d’accord.
Il y a beaucoup de titres pop dedans. C’est toujours ce que j’écoute le plus, avec le rock et la folk, et tu peux le percevoir à travers ma musique. Mais je préfère considérer cet album comme le mélange de différents styles, pas seulement pop, mais le croisement du pop/rock et de la dance music.
Après avoir passé un moment aussi charmant, l’été dernier, je ne pouvais pas faire un disque de techno industrielle, sombre et mélancolique.
Paul Kalkbrenner nous confiait récemment que son dernier album (également plus pop que d’ordinaire) était un moyen de diffuser sa musique à travers le monde. Est-ce là ce que tu espères, secrètement ?
Je ne dirais pas que je fais de la musique seulement pour moi et que je me fous que les gens l’aime ou non, ce serait un mensonge. Je suis conscient d’avoir la chance de pouvoir produire une musique que je veux écouter. Quand je fais de la musique, j’espère qu’elle va plaire à un maximum de gens, qu’ils vont être nombreux à l’écouter, mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai souhaité me rapprocher de tel ou tel genre.
Dans ce cas, j’aurais fait un album EDM. Mon précédent album, III, n’était pas du tout orienté pop, mais il reflétait diverses émotions, mon état d’esprit, mon humeur au cours du processus de création. C’est la même chose pour ce nouveau album. Après avoir passé un moment aussi charmant, l’été dernier, je ne pouvais pas faire un disque de techno industrielle, sombre et mélancolique. Ça n’aurait pas du tout été spontané.
Apparemment, tu aurais l’oreille absolue. Et vu la qualité de production de tes albums, ça pourrait presque se deviner. Cette question peut paraître stupide (mais nous ne le saura jamais si nous ne te l’adressons pas), mais comment perçois-tu la techno à côté de la musique vocale ? Es-tu plus à l’aise avec la pop ? Qu’est-ce que te permet cette aptitude ?
En fait, ça n’est d’aucune utilité aujourd’hui, surtout dans la musique électronique. L’oreille absolue te permet de reconnaître une note de musique, sans qu’il n’y ait aucun point de repère.
Ça peut s’avérer utile lorsque tu joues d’un certain instrument, le violon par exemple. Mais ça ne me permet pas d’améliorer mes créations.
Est-ce que je suis plus à l’aise avec la pop ? Comme je l’ai déjà mentionné, c’est ce que j’écoute principalement, mais le fait de produire un album purement pop m’ennuierait beaucoup et je ne pense pas que j’en serais capable ; je veux dire de faire un bon album de pop.
C’est sans doute le genre le plus difficile à produire ces temps-ci. Je suis sûr que ma nièce de 10 ans pourrait faire un track de techno, si je lui donnais un laptop avec Fruityloops dessus. Elle y parviendrait au bout d’une semaine, peut-être même moins. Elle deviendrait compétente au bout d’un mois, et pourrait probablement se produire en club au bout d’un an ! (rires)
Je pense qu’on a besoin de plus de temps, plus de connaissance pour faire un album pop de qualité, et dans certains cas, d’un grand cœur.
Mais je pense qu’on a besoin de plus de temps, plus de connaissance pour faire un album pop de qualité, et dans certains cas, d’un grand cœur. Mais je ne veux pas dire par là que ma nièce a un cœur de pierre ! (rires)
Comment se porte la scène électronique italienne en ce moment ?
Pour être honnête, j’y suis totalement en dehors de ça. J’ai eu la chance de jouer en Italie, quelques fois seulement, mais je connais quelques très bons noms techno, comme Joseph Capriati et Luigi Madonna.
Qu’est ce que tu prépares actuellement ?
J’ai un projet en tête, et j’espère pouvoir être capable de le faire l’an prochain 🙂 Mais pour le moment, je compte rêver et profiter de l’été en Sardaigne !
❖
ENGLISH VERSION
Welcome back with your new album. When did you start working on this one? You’ve been touring a lot lately… Where did the idea to write a brand new album come from?
Actually last summer has been the best summer I ever had in the last 10 years, I haven’t toured much so I really enjoyed spending a lot of time here in Sardinia with friends and family discovering new amazing places I have never been to, going to very beautiful beaches every day and drinking a lot of Vermentino. The album started last summer, precisely the 5th July. I had the idea of doing this concept album during a lovely wedding party of my two good friends. It took a while to decide how to make it, and I can tell most of the work has been done in February – March this year, when I was dividing myself between studio and hospital, a friend got very sick and in two months we lost him. I don’t know why but during those two very bad months, every hour spent in the studio was giving me back months of work I hadn’t done before February, that day we discovered his sickness. I learned a lot from this very sad experience, and my music just reflects what i have learned. The track “Durke” is for him, obviously, but I haven’t made it sad at all, I’d say instead it is just delicate and full of good hope.
Why the title Not So Green Fields? You always like landscapes in your music, as the previous one, III, which I remember the note you gave us about the appreciation of the piece as a journey across mountains and lands…
Not So Green Fields represents the main colour of landscapes to a tourist, ideally from north Europe or anywhere from a cold country, would remember after seeing my island. It is a positive way to describe what really kills the land here, arsons, that make everything looking dry and burnt every summer. But at the end of the record I explain my vision of these not so green fields, which is just romantic and naive, and not related to arsons at all 🙂
In this last decade, we noticed a certain interest for ethnic researches in electronic music, like Floating Points for Morocco, Omar Souleyman with Syria M.I.A with Sri Lanka, etc… As if electronic music needed to reinvent itself and to dig into new influences, maybe the primary ones… Was it your case for this album with Sardegna?
There are a lot of ethnic elements in my albums except for III, and I think this last one really explodes on certain “primary” influences: there are tribal moments, as well as very Mediterranean melodies and instruments, and I find them close to my idea of how the island sounds, and what I really think it describes it from a modern “dance” point of view. But tribal for instance, always been the nucleus of dance, since the Neolithic era!
Could we say this album is more pop than anything of your previous albums? What happened to techno?
Techno for me is dead. Not that the techno genre is dead, I think techno never been so alive and kicking as nowadays. I mean techno for me is dead as I have lost interest in it at the moment, there is a lot of extremely good techno out there now, that is simply… too much! There is no need for more techno, that I have to make it. There are better artists that can make better techno that the techno I would do today. So I preferred to move a bit away from it and do something still danceable, still rave-ish somehow, but not techno.
That’s what I felt doing this album. I found trance much more interesting these days, more dreamy and uplifting, more the way I feel now. Of course I am not talking about Psytrance or that music you hear in big festivals, I can’t stand that! But there was a lot of incredible good trance music in the ’90 that I admit sounds cheesy and out of trend now, but when I play it, I don’t know, I feel something magic in it that techno doesn’t give me much anymore these days. You said the album is more pop.
Well it is, there are very pop tracks here and there, and pop is still the main genre I listen to together with rock and folk, you can tell so listening to the music I usually make. I’d rather consider the whole album more crossover than pop maybe, it is in between a dance album and a pop/rock album.
Paul Kalkbrenner said on Trax that his last album (much more pop than he usually does) was a way to spread his music worldwide. Did you secretly have the same wish?
I won’t say I make music only for myself and that I don’t care if people like it or not, it won’t be true. It is true I am lucky enough to be able to make the music I want to listen to. But when I make music I hope a lot of people will listen and like it, but I can’t say that’s the reason I do a certain genre or another.
Otherwise I would have made an EDM album. My previous album III was certainly not pop at all, but it reflected feelings, state of mind, and the mood I had when I composed it. Same is this new one, after such a magic summer as the one I had last year I couldn’t ended up making another industrial dark moody techno album, it wouldn’t have been spontaneous at all!
We heard that you have the perfect pitch… And with the level of production of all your albums, we could almost confirm it. It could be a silly question (but we would never know if we didn’t ask), but how do you discern techno music next to something more vocal? Are you more confortable with pop music? What your perfect ear allows you to do per example?
It’s actually useless nowadays, especially when you make electronic music. Absolute pitch is when your ears are able to recognize a certain note without any reference point. It can be helpful when you play certain instruments such strings for instance. But this doesn’t really make my productions any better! To answer your question, as I said before, pop is the main genre I listen to, but doing an entire pop album would be very boring for me, and I don’t think I would be able to do so, I mean to make a good pop album.
It is probably the most difficult genre you can do nowadays. I am sure I can ask my niece (10 years old) to make a techno track, if I gave her a laptop with Fruityloops. She would do it in a week or so, maybe less. In a month she would be very good, in a year probably she would get gigs! lol. But I think to make good pop music it takes more time and knowledge, and in certain good cases a very big heart….not that my niece is an heart of stone lol !
How are things going on the Italian electronic scene right now?
To be honest I am totally out of it, I had the chance to play in Italy very few times only, but I know some very good names in techno like Joseph Capriati and Luigi Madonna.
What’s next for you?
I have a project in mind I really hope I’ll be able to do next year 🙂 For now it’s just dreaming and enjoying the summer here in Sardegna!