Drumcell : rencontre avec le porte-étendard de la techno californienne

Le 31.10.2016, à 15h50
05 MIN LI-
RE
Voilà en avant-première l’écoute du nouveau morceau de Moe Espinosa “Distant Mystic”. Un titre extrait d’une improvisation live à Berlin qui sort sur le nouvel EP Unwilling Suspension of Disbelief signé de son alias Hypoxia, l’autre projet plus expérimental du producteur américain de techno aussi connu sous le nom de Drumcell. On a profité de l’occasion pour lui tirer le portrait.

Surnommé le « porte-étendard de la techno à Los Angeles », Drumcell est principalement connu pour ses disques qui cognent chez des labels comme Droid Recordings ou Dystopian. Pourtant, c’est aussi un artiste capable de se saisir de quelques synthétiseurs avant de descendre sur les rives de la Los Angeles River pour jouer une performance live d’ambient alimentée par un générateur. Nous avions pu échanger avec l’Angelin, à l’occasion d’un reportage dans la Cité des Anges, et évoquer ses projets récents et la culture do-it-yourself dans laquelle il a grandi et dont est imprégnée sa ville natale.

   À lire également
À Los Angeles, entre gangs et flics, la scène techno la joue clandestino

« Je fais du bruit que j’organise parfois dans des motifs à moitié reconnaissables », annonce l’impertinente biographie de Moe Espinoza alias Drumcell. Alors que notre discussion s’engage sur Los Angeles et l’intérêt soudain de la presse spécialisée pour la mégalopole, il étonne tout de suite par son éloquence et son détachement. Les vannes s’enchaînent à tel point qu’il finit par demander si l’interview a bien commencé : « Je pense qu’il y a des trucs techno qui se passent à L.A. depuis longtemps, mais ça n’avait jamais attiré l’attention des médias. Soudainement, tout le monde en parle et je ne sais pas pourquoi, mais hey, tant mieux, je ne vais pas refuser cette attention ! »

Gamin des quartiers défavorisés, c’est à l’adolescence, autour de 1995, que Moe commence à explorer les soirées de Los Angeles. Le désert de Californie ainsi que les nombreux entrepôts du centre-ville de L.A. offrent un terrain de jeu propice à l’organisation de raves illégales. Celles-ci sont nombreuses et énormes, rassemblant parfois jusqu’à 4 000 personnes pour tout un week-end. Mais les années 2000 arrivent et le capitalisme commence à transformer ce mouvement en quelque chose de plus légal, de plus encadré et de moins en moins innocent. Devenue extrêmement populaire, la musique électronique va connaître une série de morts extrêmement médiatisées. La réponse du gouvernement ne tarde pas et le coup de grâce arrive en 2003 avec le Reducing Americans’ Vulnerability to Ecstasy Act, ou RAVE Act, qui réduit drastiquement la latitude des promoteurs pour tout évènement de musique électronique. Les clubs sont alors forcés de fermer à 2h du matin et la police intervient pour arrêter les soirées. C’est alors que Moe lance Droid Behavior avec l’aide de Vangelis et Vidal Vargas, les deux frangins qui forment Raíz.

« Nous avons réfléchi à une solution, et avons décidé de faire des fêtes illégales dans des warehouses tout en étant le plus discrets possible. En un sens, nous avons recréé ce que nous avions vécu au début des années 90. Devoir aller dans un endroit mystérieux pour arriver devant une porte où acheter son ticket, recevoir un plan qui vous mène à un parking où l’on se gare avant d’embarquer dans une navette qui amène à la soirée dans un entrepôt inconnu au milieu de Los Angeles. Ça a été notre réponse afin d’éviter les contrôles et de faire la fête comme on le voulait » raconte-t-il.

droid behavior beach
Parfois, les soirées Droid Behavior se posent sur les plages de Los Angeles

Droid Behavior grandit et est rejoint par différents artistes tels que Truncate ou DJ Hyperactive. Au centre de la communauté techno de Los Angeles, sa newsletter est désormais suivie par plusieurs milliers de personnes. Moe, quant à lui, regrette être moins impliqué, la faute à sa carrière de DJ qui le force à traverser l’Atlantique régulièrement. Mais il a bien l’intention de passer plus de temps chez lui, et continue de produire les Interface, une grosse rave qui se tient une fois par an. Son projet Droid Behavior vient d’ailleurs tout juste de s’offrir une compilation qui regroupe plusieurs artistes de Los Angeles et qui représente un peu la musique que les Droid défendent depuis toujours, une sorte de bande-son du mouvement.

Mais si la techno et l’envie de faire bouger les dancefloors occupent une place prépondérante dans sa vie, c’est son label Bl_k Noise – sur lequel il opère en tant qu’Hypoxia et lancé avec l’aide de Surachai – qui lui tient aujourd’hui à cœur.

« C’est un effort très personnel. Nous n’essayons pas de commencer une révolution ou d’établir une sorte de marque. Je pense que Surachai et moi-même avons l’impression d’appartenir à des mondes très codifiés. Je me sens parfois confiné dans mon rôle de DJ techno avec les attentes des gens qui veulent entendre des morceaux orientés pour les clubs. Parfois, certaines personnes entendent des trucs plus expérimentaux et se plaignent de ne plus entendre du bon vieux Drumcell. J’en ai rien à foutre et je ne veux pas entendre ces conneries. C’est pour cela que Bl_k Noise existe », explique-t-il dans une longue tirade sans respiration.

Espace créatif et de liberté, ce label qui existe depuis 2015 a, en quelques sorties, révélé cette facette de Moe jusqu’alors inconnue. Ces disques plus expérimentaux sont écoulés dans des quantités limitées sans aucune distribution, et les cinq sorties sont vendues par le biais de Bandcamp. Moe emballe lui-même les disques, les signe et  dépose des autocollants dedans avant de les porter à la poste. La surprise vient des ventes, qui dépassent de loin ce qu’il imaginait, et malgré le succès, il explique ne pas avoir l’intention d’essayer d’en faire plus, satisfait de garder une attitude do-it-yourself.

drumcell

Jusqu’au-boutiste, Moe conclut avec une dernière anecdote qui illustre parfaitement la philosophie issue de ce bagage unique : « Nous avons l’intention de garder une connexion avec les gens qui achètent notre musique. J’ai grandi là-dedans, si tu veux un truc, tu le fais toi-même. Lorsque nous avions 16 ans, mes potes et moi voulions sortir ce disque et nous n’avions pas une thune et aucune idée de ce qu’est la distribution ou les ventes. Nous sommes allés chez un pressage et avons rencontré ce mec qui nous a dit qu’il en ferait pas moins de 1 000 copies. Personne ne faisait de sorties limitées à 300 exemplaires à l’époque. Nous n’avions pas l’argent mais le mec nous a regardés et a bien vu que nous étions des gosses sans un rond. Il nous a proposé de faire nos vinyles à moitié prix à partir de restes qui traînaient dans l’arrière-boutique. Quand tu fonds et mélanges toutes les couleurs ensemble, le résultat donne des disques de couleur marron un peu comme de la merde, et en plus ça sonne comme de la merde. On lui a donné tout ce qu’on avait, et ces disques, nous sommes allés les vendre sur Melrose. Personne ne voulait les acheter. Par contre, les disquaires acceptaient de les prendre en consigne. On a donc tout laissé et récupéré des chèques consignés. Deux mois plus tard, nous sommes allés voir si ça s’était vendu et par miracle, tout était parti. Je pense que cette histoire de mecs de 16 ans qui se débrouillent pour sortir un disque montre bien l’importance de la culture DIY là d’où je viens. »

   À écouter également
Le podcast de Drumcell

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant