Tu te rappelles du premier morceau que tu as samplé ?
Oui, c’était l’intro guitare/tambourin de “I’ll Be Your Mirror” du Velvet Underground avec Nico. La boucle tournait trop vite et mon time stretch analogique de l’époque ne m’avait pas convaincu ! Bref, ceci n’a pas abouti sur un beat.
Tu es l’un des meilleurs représentants du trip hop en France, un son qu’on entend beaucoup moins aujourd’hui, ou sous d’autres formes… Pourquoi, selon toi ?
Je ne sais pas si on entend moins ces courants abstract hip-hop et trip-hop, il me semble qu’ils sont toujours là et/ou se sont réinventés en se métissant avec du rock, du folk, de la soul, de la funk, de l’afrobeat, du tango, de la musique électronique ou plus axée club, etc… Ces réinventions donnent de nouvelles sonorités, de nouvelles directions et me paraissent se démultiplier plus qu’elles ne se meurent. Et bien souvent, down / mid/ uptempo gardent un point commun : le sample. La démarche hip-hop est la mère de pas mal de courants.
Quel rôle jouent les extraits de dialogues de films dans ta musique ? Pourquoi est-ce un élément récurrent sur tes premiers albums, si l’on met de côté le fait que ça sonne plutôt bien ?
Tu fais référence à mes deux premiers albums. Ça fait longtemps je n’ai pas utilisé de dialogues de films, à part sur “Leitmotiv”… Depuis quatre albums, les titres oscillent entre instrumentaux et morceaux rappés, chantés. Le rôle des dialogues était, est et sera illustratif. Ils donnent le sens que tu veux donner aux titres en s’inscrivant dans une thématique choisie. Dans le cas de l’album Paradis Dirtyficiels, la thématique commune des samples était la solitude.
Ton dernier album est également autoproduit, pourquoi ce choix ? D’ailleurs est-ce qu’on peut expliquer ce qu’est l’autoproduction, ce que ça implique concrètement ? Le conseillerais-tu à un jeune producteur qui veut garder le contrôle total sur sa musique ?
Le choix de l’autoproduction est assez simple : c’est l’unique façon de faire exister ma musique commercialement à partir du moment où labels et maisons de disques ne veulent pas s’en charger ! J’aimerais bien signer un album. Cela m’assurerait sûrement de vendre du back catalogue et un rayonnement plus européen, voire international, mais l’occasion ne se présente pas. Alors j’avance en solo. En artiste artisan.
L’autoproduction représente le financement de l’enregistrement, du mixage et du mastering d’un ou plusieurs morceaux en vue d’une commercialisation sur un support (vinyle, CD, digital, streaming). Cela implique un processus de plusieurs étapes pour la production et ensuite des relations avec des partenaires pour la distribution. Dans mon cas, je travaille avec Differ-Ant pour le disque physique et Believe Digital pour le numérique et le streaming depuis plus de 10 ans. Je gère l’aspect promotion, communication et maintenant booking ! Pour résumer, c’est de l’artisanat culturel.
Il y a beaucoup de projets autoproduits aujourd’hui. Je conseillerais de s’autoproduire plutôt que de mal signer dans l’absolu. Après, l’auto-production a des limites flagrantes. C’est très difficile de s’exporter sur d’autres territoires. C’est déjà compliqué dans son propre pays… Le fait de bien signer peut ouvrir plein de portes sur les médias, le tour, la visibilité, l’export, l’édition, les synchros. Mais tout le monde n’a pas cette chance. Au final, étant donné l’aspect éphémère du marché, l’avantage de l’autoproduction, si elle dure, c’est qu’elle donne une chance de s’inscrire à long terme en conservant et quantifiant les fruits de son travail, comme les royalties du streaming, les ventes digitales et physiques en concert.
Il y a toujours eu un aspect politique dans ta musique. C’est également quelque chose qui disparaît dans ce qui se fait en ce moment, musicalement… Ça t’inspire quoi ?
A part pour certains morceaux de rap, ma musique n’est pas un exemple d’activisme. Pour ce qui se fait en ce moment, peut-être que les populations affranchies de trop d’autorité ont moins de messages politiques. Cela dit, il faut aller chercher l’activisme sur des territoires plus opprimés.
Peux-tu nous parler de ton projet Environnemental ?
Environmental est une nouvelle mise en scène habillée de projections mouvantes noires et blanches et de lumières blanches. Les sources vidéos répondent à des thématiques environnementales en mouvement (aquatiques, polaires, volcaniques, climatiques, aériennes, urbaines… etc) et sont projetées sur une douzaine de morceaux instrumentaux (tous albums confondus) que je réinterprète. Le rendu cohérent accentue l’immersion dans le live instrumental en donnant une vision de la phrase suivante : quand l’environnement devient mental.
Est ce qu’on peut parler d’un album à quatre mains, avec Yacine El Fath, pour SIX ?
Oui, définitivement. Sans Yacine, je n’aurais pas pu faire SIX. J’ai commencé par lui proposer une quarantaine de samples de départ, il m’a alors retourné sa vision des boucles en pistes séparées et sans effet. Il y avait une piste originale, une piste rythmique, plusieurs pistes mélodiques et enfin plusieurs pistes harmoniques pour chaque boucle. Ensuite j’ai travaillé avec toute cette matière première (beatmaking, effets, textures, structures) et très vite, les morceaux à développer se sont démarqués. Sans lui, je n’aurais pas pu m’affranchir des samples aussi simplement, il a pu descendre et monter à l’octave en m’envoyant sur de nouvelles directions. Au final, on est souvent bien loin des versions de départ. Le processus de création a été évident, rapide et définitivement singulier.