Après et avant quels artistes as-tu joué lors du festival Positive Education ?
Avant moi il y avait AZF et après Dave Clarke, j’étais bien entouré. AZF et moi c’était la troisième fois que l’on jouait l’un derrière l’autre au Positive Education. On est souvent booké dans des soirées ensemble. Puis c’était au tour du “Baron de la techno”, Dave Clarke, ça m’a fait super plaisir de le voir. Maintenant beaucoup de DJs préparent des intro et des outro. Lui c’était au tempo, direct, bam bam bam. Il a repris sur mon set, à l’ancienne, c’est assez rare aujourd’hui. C’est vrai que c’est quelque chose que je faisais souvent avant, mais la musique est tellement diversifiée aujourd’hui que c’est délicat, je peux rarement enchaîner directement après quelqu’un. Le fait que Dave le fasse, ça m’a fait super plaisir et il a fait un super set. Dave Clarke quoi, techno ! Il a un trip de photographe en ce moment, il n’arrêtait pas de faire des photos, avant et après son set, et même une ou deux pendant ! Il en a notamment pris une de moi assez drôle, car c’est une des rares photos ou je souris. Ça change de d’habitude… [rires]

Comment expliques-tu le choix du premier morceau du podcast, très ragga, “MC” de Big Red ?
Sur ma clé, j’ai toujours deux morceaux des artistes Kerry James et Big Red, qui font partie d’une de mes autres cultures musicales : le hip-hop/ragga. Ces morceaux qui ne sont pas “techno”, ou bien cette piste avec trois minutes de hurlements de loups, je ne les supprime jamais… Concernant la première musique du set, ce n’était pas du tout prévu. Normalement je ne fais pas d’intro avec ces morceaux. Le Big Red il tourne à 140 BPM, le Kerry James à 135 BPM, niveau mesure ce sont des titres assez 4/4. En général je fais des mashups avec ces trucs-là plutôt dans des sets hardcore. Comme je l’ai fait une fois à Dour, j’ai senti que Kerry James pouvait rentrer dans un truc super hard. Du coup si j’ai mis le morceau “MC” de Big Red en intro, c’est la faute, ou plutôt grâce à AZF qui jouait avant moi [rires]. Elle a fait un set très techno, dont un moment super hard, et je ne sais pas ce qui lui prend, en avant-dernier titre elle met un gros truc jungle, puis elle me laisse sur un gros morceau hip-hop ricain de Mobb Deep. Et là je me décompose derrière…
Je n’ai pas envie de finir dans les salles early oldshcool ou sur des radios nostalgiques du hardcore.
Manu Le Malin alias The Driver
Elle t’as mis galère du coup…
Oui et non, je dirai entre guillemets, avec un ton un cynique, je n’ai peur de rien. Mais là ça m’a fait grincer des dents, j’ai eu un petit moment de panique, j’avais déjà prévu mon premier morceau. Et je n’avais pas envie de faire stop et de mettre une nappe “Maintenant on va mettre de la techno…”. J’ai donc dû décider en quelques minutes quoi faire. AZF se retourne et me dit en rigolant : “Allez à toi copain !”. Je baisse un peu le retour, je mets le casque sur les oreilles, et là d’un coup sur ma clé je vois Big Red, je me suis dit “C’est parti”. Je ne l’ai pas mis depuis le début, j’ai choisi un passage particulier avec des lyrics qui me font marrer. Un genre de gros big up à Big Red car je kiffe ce mec, pour ensuite partir sur un genre de grosse intro industrielle qui part sur un truc peu trippy trancy. AZF était aux alentours des 135 BPM, alors que j’ai repris à 124. Si j’avais enchaîné direct avec un morceau techno derrière le titre hip-hop qu’à joué AZF, tout le monde prenait un pain dans la gueule, avec le premier rang qui vomit. C’était une manière de préparer le terrain, avec un côté commedia dell’arte au travers d’une intro spécifique. Comme une entrée théâtrale…
Comment s’est fait ta rencontre avec les organisateurs ?
C’est Charles (Les Fils de Jacob, ndlr) qui m’a contacté il y a maintenant 4 ans, suite à un dîner avec Boris, le gérant du club 101 à Clermont-Ferrand. On se met à discuter de ce festival Positive Education, dont j’avais vu la première prog avec Cabaret Voltaire, The Hacker… Une programmation mortelle pour la France déjà, et en plus à Saint-Étienne. Boris me dit “Je les connais, je leur dirais, ça leur fera plaisir que tu trouves bien leur projet”. Une des rares fois où j’ai répondu, “Tu peux même leur dire que c’est quand ils veulent avec moi !”. Charles m’a contacté quelques mois après en disant qu’ils avaient été touchés par ce que j’avais dit et qu’ils étaient intéressés pour que je vienne jouer chez eux. J’ai découvert toute une bande de mecs cool et super investis, qui font ça pour la musique. J’ai rapidement fait le parallèle avec Astropolis en fait, au niveau de la “vibe” comme on dit maintenant. [rires]
Tu as donc un lien particulier avec le festival. Comment ces liens se sont tissés ?
La première date en 2017 s’est super bien passée, je suis venu d’entrée de jeu sur les trois jours parce que le plateau me plaisait. Puis je ne suis pas du genre à faire trois dates dans le week-end, ce n’est pas mon truc de prendre un avion, dire “bonjour/au revoir”, “je joue/je pars”. Je préfère profiter des choses, écouter des artistes que je n’ai pas l’habitude de voir, vivre le moment à fond quoi. Ça c’est tellement bien passé qu’ils m’ont rappelé pour les années d’après, 2018 et 2019. J’ai joué deux fois en Manu Le Malin et une fois sous l’alias The Driver. Il y a une vraie relation qui s’est créée entre Charles, Antoine, moi et le reste de leur équipe. Jusqu’au chef de la sécu qui est légendaire là bas, entre l’accueil des artistes et du public. Il est adorable parce qu’il aime son métier. Quand la soirée s’arrête ils ne vont pas faire un cordon de sécu en mode “Allez dehors les shlags”, et ça c’est très appréciable !
Niveau setup, as-tu joué sur platines vinyle ou sur CDJ ? Comment vois-tu l’évolution des différentes technologies de mix qui évoluent à vitesse grand V ?
Les vinyles c’est fini. J’ai encore vu un débat sur moi il n’y a pas longtemps sur le net, même si je n’y vais plus beaucoup, ça m’a gonflé. Un mec a mis une vidéo de moi où je mixe sur CDJ : “Ouais, mais c’était quand même mieux sur vinyles, bla bla bla…”. Alors il faut savoir que la musique que je joue, beaucoup plus dans le hardcore, elle n’existe pas en vinyle. À un moment je me suis retrouvé à jouer toujours la même chose avec les mêmes disques, et ça me gonflait. Je n’ai pas envie de finir dans les salles early oldshcool ou sur des radios nostalgiques du hardcore. Pour la techno c’est un peu moins vrai, car il y a beaucoup de labels qui produisent encore du vinyle. Je ne joue pas les mêmes choses quatre mois d’affilé, je plug ma clé USB sur mon ordi et j’enlève pas mal de morceaux toutes les deux semaines, j’en remets d’autres…
Cela te permet donc d’avoir beaucoup plus d’exclu, voire des titres qui ne sont même pas encore released ?
Oui tout a fait. Par exemple une fois je jouais lors d’une soirée à Lyon, où un jeune artiste qui s’appelle Rabbeat, que je ne connaissais pas, était dans la salle. Le lendemain il m’envoie un message via Internet : “Mec mortel ton set, je fais de la zik chez moi, je suis rentré chez moi ce matin un peu oinoin et ça m’a inspiré”. Et le mec m’a envoyé une bombe ! Je lui ai répondu tout de suite. C’est pour ça que je laisse cette messagerie ouverte, c’est pour recevoir des trucs de “mômes” dans leur piaule. Je lui ai dit “C’est mortel, est-ce que je peux le jouer ?”. Il a continué à m’envoyer d’autres morceaux alors qu’il n’était signé sur aucun label, puis un jour il y a une vidéo qui a tourné alors que je jouais un de ses morceaux et il y a des mecs qui l’ont contacté. C’est une manière de renvoyer l’ascenseur. Si je jouais encore sur vinyles, ce genre d’échange ne serait pas possible.
Je ne suis pas en train de dénigrer les platines, mais il faut que les gens comprennent que les choses évoluent, c’est comme ça.
Manu Le Malin alias The Driver
Et concernant la partie technique ?
Ça fait deux ou trois ans que je me suis mis au digital. L’année qui précédait le switch complet pour moi, un set sur trois je sortais du DJ booth dégoûté… Le public en face ne comprenait pas le problème : “Ça y est le vieux il n’est plus capable, il n’a plus d’oreille, il n’a plus de main !”. Pourquoi ? Parce que les platines ont 25 piges, elles sont branchées au dernier moment, car tous les DJs avant et après moi jouent sur CDJ, donc ça créait des “blancs” super gênants. Donc branchement au dernier moment, bam 3h du mat’, et s’il y a une platine qui merde, et bien c’est foutu ! Ça peut m’arriver dans un petit club en pampa, comme sur un gros festival de 70 000 personnes. Il y a même des fois où je suis arrivé, il n’y avait pas de platines du tout… Les mecs ont décalé le line-up pour aller chercher une paire je ne sais où en Hollande. Aller-retour en bagnole. La paire de platines est arrivée, j’ai fait “Wow, tu peux être sur que sur l’heure de set, 50 minutes seront de la merde”. Donc il y a un moment, soit j’arrête, soit je marche avec mon temps… Bien sûr qu’il faut faire avec son temps.
Tu t’es vite adapté finalement.
Oui, mais j’ai du mal, c’est un apprentissage. Je n’ai pas de CDJ chez moi… J’ai appris devant tout le monde, et j’apprends encore. Une fois j’ai enlevé l’USB du mec en pensant que je pouvais remettre la mienne, ça a tout coupé… En fait j’utilise les CDJ comme des platines vinyles, je n’ai pas Rekordbox, je vais peut-être le mettre, car ça stabilise quand même les tracks et le tempo. Mais je n’ai pas de playlist préparée, je ne peux pas mixer les bras en l’air. J’envoie tout au tempo, tu me vois galérer avec le plateau, il y a des pains, même dans le set en question du Positive Education. Comme quand je jouais en vinyle, ce n’était pas une marque de fabrique, mais presque. C’est limite plus efficace, car il n’y a pas de bras qui saute ou je ne vais pas dégueulasser le diamant ! Je ne suis pas en train de dénigrer les platines, mais il faut que les gens comprennent que les choses évoluent, c’est comme ça. Le débat “DJ platine c’est un vrai DJ” ne m’intéresse pas. En ce qui me concerne je pense que je n’ai plus rien à prouver sur vinyles, si je suis passé là dessus ce sont pour les raisons que je viens d’exposer et que les gens arrêtent de me “casser les couilles”. Le plus important c’est ce que tu entends, peu importe la manière dont c’est fait.
Là j’ai tel un retour que ça m’aide à m’ouvrir et je n’ai pas envie de gâcher ça par le business. La musique dans ma vie, ça fait deux fois que ça me sauve.
Manu Le Malin alias The Driver
Le set contient certains tracks de W.LV.S, ton binôme avec Electric Rescue. Où en êtes-vous dans ce projet ?
On a de nouveaux projets avec “Wolves” (“Loups” en français). On a une manière de bosser où c’est Electric Rescue qui met tout en place, stabilise les choses et apporte un groove que je n’ai pas. De mon côté je propose des idées et mon grain de folie. Après les trois premiers EP qui sont déjà sortis, dont Misericordia, un nouveau est prévu en avril prochain. Quatre tracks en tout, avec deux morceaux de W.LV.S, un troisième en featuring avec Louisahhh en mode spoken words, un truc un peu vaporeux avec un poème, puis le dernier c’est un remix par Tommy Four Seven, dont nous somme supers contents. Musicalement on évolue, celui-ci sera un peu plus dur, c’est sans doute dans l’ère du temps. Je m’implique un peu plus puisque je commence à comprendre ce qu’il se passe dans les machines. À présent c’est un vrai boulot 50/50 avec Electric Rescue. Je n’ai pas souvent fait de collaboration, il y a vraiment un bon feeling entre nous deux, c’est très fluide. Ce quatrième EP sortira aussi sur Astropolis Records, c’est la famille. L’essentiel c’est que je m’éclate. Ça peut paraître égoïste, mais il faut que ça me plaise à moi d’abord ! Depuis quelques années j’ai des retours assez “bisounours”, alors qu’avant je n’avais pas de rapport avec les gens. C’était sans doute de ma faute, car j’étais ultra fermé. Là j’ai tel un retour que ça m’aide à m’ouvrir et je n’ai pas envie de gâcher ça par le business. La musique dans ma vie, ça fait deux fois que ça me sauve.
Tu fais partie des artistes curatés par Helena Hauff pour la programmation de jour de Nuits sonores. Tu vas donc jouer en tant que Manu le Malin en journée… Étonnant, non ? À quoi faut-il s’attendre ?
Je vais être sincère, j’ai hésité, parce que c’était le jour et parce que c’est sous l’alias Manu Le Malin, venant de la part d’Helena Hauff qui propose un gros plateau techno. Après on se connaît un petit peu, on s’entend bien. Elle ne vient pas d’arriver, la musique, elle la connaît. D’ailleurs c’est une des rares qui joue encore sur vinyles, je ne sais pas comment elle fait. C’est sûr que quand Helena Hauff arrive sur scène, le setup peut être un peu plus sécurisé que pour Manu Le Malin. Pour avoir déjà joué avec elle sur le même plateau, avoir partagé des moments dans les backstages, finalement je comprends pourquoi elle me demande sous cet alias. Concernant l’heure en journée, j’ai donné des coups de fil à des gens pour avoir leur avis, car au début j’ai dit non. J’ai réfléchi, sur certains conseils d’amis qui m’ont dit que les days de Nuits sonores étaient vraiment cool. Puis on ne dit pas non à Helena Hauff… C’est une DJ que je respecte énormément humainement comme artistiquement. J’étais assez fier qu’elle me demande, ce qui est sûr c’est que ce ne sera pas du Manu Le Malin édulcoré, elle le sait. Et vu qu’elle sait ce qu’elle veut, je vais lui donner ce qu’elle veut. Pas de problème.
Manu Le Malin sera prochainement présent au Festival Music Paris le vendredi 20 mars 2020, au Musée des Arts et Métiers, pour une performance de 40 minutes où il revisite en DJ set l’œuvre “Soleil Noir” de Barbara. L’article à ce sujet “Pour moi Barbara c’est du hardcore” était notamment paru sur le Trax numéro 177, en novembre 2014.