[DISQUAIRE DAY] Labels : pourquoi faire le choix de la cassette en 2016 ?

Écrit par Léo Ferté
Le 07.04.2016, à 16h31
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Écrit par Léo Ferté
Pour la première fois, à l’occasion du Disquaire Day ce samedi 16 avril, Trax Magazine investit une ancienne usine dans le quartier de Bastille, 1 800m2 sous verrière sur deux niveaux au beau milieu de la rue de Lappe. Au programme, entrée gratuite de 12h à 22h pour une rencontre avec une trentaine de labels indépendants dans un espace média avec baby foot, canapés, DJ sets, direct sur Rinse France, bar, restauration sur le pouce et salon d’écoute. En amont de cet exceptionnel événement, Trax vous présente ses invités à travers une série d’articles sur le thème du label. Après “comment monter son label en 2016 ?”, nous sommes retournés voir les labels pour qu’ils nous expliquent pourquoi faire le choix du support cassette en 2016. Et en France, ils sont encore nombreux : In Paradisum, Opal Tapes, Tripalium ou, participant à cet article, les maisons Cindys Tapes, Anywave et Hylé Tapes.

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Selon vous, qu’est-ce qui fait la particularité du format cassette ?

Hylé Tapes : Le pleurage et le scintillement. Non, plus sérieusement, le fait que ce soit un objet physique avec son esthétique, ses codes, son visuel et des informations sur l’artiste, sur l’enregistrement, etc. Tout ceci contribue à l’immersion dans un univers auquel on accède moins facilement avec un mp3. J’aime les objets, lorsqu’ils sont faits avec amour.

Cindys Tape : SUPPORT, et non format cassette, c’est important. Je pense que pour moi, la particularité du support cassette est qu’il est autant préconisé pour éditer et distribuer des albums que pour créer un son aux sonorités particulières.

“C’est le côté DIY qui nous unit, plus qu’un quelconque son lo-fi” – Hylé Tapes

Anywave : En tant que format audio, un support analogique à coût réduit, mais avec une bonne qualité sonore, même si relativement peu pérenne. En tant qu’objet, un truc un peu désuet, pas forcément gratifiant esthétiquement, mais la contrainte fait émerger des idées, donc ça reste intéressant.

Qui achète des cassettes aujourd’hui, y a-t-il un profil type ?

Cindys Tape : Oui, ce sont souvent des personnes de petite taille avec une calvitie… Non je déconne, il n’y a pas vraiment de profil particulier, ça dépend de la musique que chacun écoute. Si les groupes qui nous plaisent décident de sortir leur projet sur cassette, nous ferons sans doute l’effort de nous la procurer. En ce qui nous concerne, on envoie beaucoup de cassettes aux États-Unis !

Hylé Tapes : Plein de gens achètent de la cassette. Il y a même assez de jeunes qui n’ont pas connu les cassettes pendant leur enfance qui s’intéressent à ce format aujourd’hui. Par contre, je ne pense pas qu’il y ait un profil type, surtout sachant que chez Hylé Tapes j’ai sorti des projets très différents : JUJU (“électronique libre”, musique improvisée), Pointe du Lac (krautrock/kosmische musik), Théodore Lüne (noise/drone), Kritzkom ou Julia Blythe Gaines (techno), Forest Management ou D. Burke Mahoney/Persona Mercure (ambient/drone), ou mon projet Acid Fountain (parfois post-house/techno, d’autres fois plus proche d’une électronique lo-fi et improvisée, comme sur l’album Aitana). Dans tous les cas, il s’agit de passionnés qui commandent des cassettes à des petits labels comme le mien mais aussi à Phinery, Opal Tapes, Seagrave, The Tapeworm ou Where to Now ? Records. La plupart des copies que je vends partent aux États-Unis, au Canada, au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède ou en Norvège. Seulement une petite partie des exemplaires reste en France.

Anywave : Honnêtement, je n’en ai aucune idée. On a des acheteurs de cassettes qui se foutent du format parce que le digital est inclus dedans, donc pour eux c’est l’objet, s’il est beau, qui compte (et la musique, bien entendu). Des vrais k7-addicts, on n’en a pas tant que ça j’imagine.

“Nous dupliquons toutes nos cassettes nous-mêmes à la maison, aussi bien vêtus d’un caleçon que d’un vêtement chaud, sans aucune dépendance du temps d’attente d’une usine de pressage.” – Cindys Tape

Financièrement, est-ce intéressant pour vous de produire de la musique sous ce format ? Comparé au vinyle ou au CD ?

Cindys Tape : Nous dupliquons toutes nos cassettes nous-mêmes à la maison, aussi bien vêtus d’un caleçon que d’un vêtement chaud, sans aucune dépendance du temps d’attente d’une usine de pressage. Donc, financièrement, c’est déjà moins cher que le vinyle, ça nous prend juste un peu de temps, mais ça sort plus rapidement. On a pas à investir des milliers dans les services d’une usine de pressage. On vend ça pas cher et ça nous coûte pas cher, c’est chouette comme concept. Puis y’a un côté assez intime et personnel, on s’occupe de chaque cassette une par une, vierges, on les dépucellent les unes après les autres…

Hylé Tapes : Je n’ai pas la moindre idée des bénéfices générés par une sortie vinyle ou CD. Le vinyle est un format que j’adore, mais ma situation économique ne me permet pas de faire presser des disques. Quoi qu’il en soit, de nos jours, on ne crée pas un label cassette de musique électronique expérimentale qui sort des éditions limitées à 50 exemplaires pour s’enrichir. Il faut savoir que je ne fais pas de bénéfices avec Hylé Tapes. Lorsque je vends des cassettes, l’argent est directement réinjecté dans le label afin de produire les nouvelles sorties.

Cependant, lorsqu’une sortie est épuisée, les bénéfices me permettent de financer une, voire deux nouvelles sorties (cela dépend des coûts de la nouvelle sortie : type de cassette (ferro ou chrome), qualité du papier pour l’artwork, stickers, etc.). Ce qui veut dire que, dans l’absolu, je peux générer de 100% à 200% de bénéfices. Mais mon label n’est pas à but lucratif. Il y a déjà assez de vendeurs de tapis dans l’industrie musicale. Aussi, ce qui est intéressant pour moi en tant que musicien et producteur, c’est le fait de “bypasser” l’industrie, ou si l’on préfère, de m’approprier les moyens de production, et de pouvoir ainsi accélérer le processus de publication des cassettes. J’ai appris à faire le master cassette à partir d’un master digital. Je possède un duplicateur de cassettes professionnel qui me permet de produire 50 exemplaires de qualité en une ou deux heures (en fonction de la durée de la cassette). 

La partie visuelle de la cassette est la partie la plus longue à faire : j’imprime l’artwork avec une imprimante que j’ai chez moi et je découpe, plie, numérote et tamponne à la main. C’est un procédé à mi-chemin entre la manufacture et l’artisanat. Disons que je m’auto-exploite en quelques sortes. Concrètement, si j’ai déjà un stock de cassettes vierges chez moi et que les fichiers audio et les visuels sont déjà prêts, je peux produire une série limitée à 50 exemplaires en une journée ou deux de travail, et ceci sachant que je suis seul chez Hylé Tapes. J’ai sorti 24 références pendant la première année d’existence d’Hylé Tapes. Il faudrait que je sois riche, ou bien une major, pour pouvoir sortir autant de références en vinyle en aussi peu de temps.

Anywave : Carrément. Déjà, ça permet de sortir des séries vraiment limitées. On en a sorti deux pour l’instant, à 50 et 100 exemplaires. On travaille sur une édition de 60 exemplaires en ce moment. Le prix par copie est nettement inférieur à du vinyle, c’est comparable au CD de ce point de vue et le son est plus chaud, même s’il faut aimer le souffle.

Ce format semble s’être fait approprier par plusieurs micro-scènes très underground, avec une base commune de sonorités lo-fi. Comment l’expliquez-vous ?

Cindys Tape : En effet, le coût de production n’est pas élevé et le nombre d’éditions peut être très limité, allant de 2 à 300. Alors grâce à ce support, sortir une édition de 20 cassettes est facile et permet de faire exister un micro-label. Pour la question du lo-fi (low fidelity), la cassette prône entièrement cette basse fidélité de par son manque de précision, l’omniprésence du souffle, l’intervention de bruits parasites qui séduit certains groupes. Cependant, aujourd’hui, il y a beaucoup de projets musicaux presque “hi-fi”, très bien produits, qui décident tout de même de sortir sur cassette. Je pense que la facilité et la rapidité de production attirent les labels.

Hylé Tapes : Chaque label a ses propres raisons de choisir la cassette comme format de prédilection, mais je crois que, consciemment ou pas, c’est le côté DIY qui nous unit, plus qu’un quelconque son “lo-fi”. L’industrie est en crise depuis un moment. Mais la musique n’a pas besoin de l’industrie pour exister. En très peu de temps, je suis devenu ami avec plein des personnes qui ont créé des “tape labels”, aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni, en Grèce, en Espagne… Et je communique autant avec les artistes qu’avec d’autres labels ou avec les personnes qui ont commandé des cassettes chez Hylé Tapes. Nous discutons directement, sans interférences. C’est assez excitant.

Anywave : J’ai l’impression que le format s’est maintenu notamment grâce à la scène noise-expé, quand les disquaires ont cédé au tout-CD dans les 90’s. Il y a toujours eu des tapes chez Souffle Continu ou Bimbo Tower, sur la catalogue de Metamkine… Donc le retour à la k7 passe forcément pas les niches, par cercles concentriques, du plus expé à des choses plus accessibles. Pour l’auto-prod, par exemple c’est parfait. La sonorité lo-fi vient un peu du support, quand même. Si tu sors un Oneohtrix Point Never sur une k7, il devrait normalement sonner crade.

“Ceux qui détestent les sons un peu punk, un peu sales, on ne pourra pas grand chose pour eux.”  Anywave

Comment procédez-vous exactement, au niveau de la distribution ? Est-ce un format plus “DIY” que le CD ou le vinyle par exemple ?

Cindys Tape : Pour la distribution, nos cassettes peuvent être achetées sur bandcamp ou chez différents disquaires comme “Ex-Vinylo” à Rabastens, “Blind Spot” à Rennes, ou même encore Nice Shop Su à Osaka. Sinon, nous envoyons tout nous-mêmes en passant par l’entreprise française La Poste. C’est forcément un format plus DIY que le vinyle de par son mode de production indépendant.

Hylé Tapes : Il y a des labels qui font faire leurs cassettes, visuels/packaging… par des sociétés spécialisées. Ce n’est pas mon cas. Ce que je fais est totalement DIY, soigné au niveau visuel et sonore, mais dans une démarche vraiment DIY. Concernant la distribution, je vends les cassettes principalement via Bandcamp, mais Hylé Tapes est aussi distribué par Undo Music en France, Cassettivity aux États-Unis ou Nice Shop Su au Japon. Compte tenu du petit nombre de cassettes que je fais à chaque sortie, je privilégie la vente directe via Bandcamp ou via des concerts/événements.

Anywave : De la même façon, on s’auto-distribue donc ça ne change rien.

Que répondriez-vous aux détracteurs de la cassette qui l’accusent d’avoir une mauvaise qualité sonore ?

Cindys Tape : Je leur dirais que j’avais pas vraiment remarqué et que j’essayerai d’éditer des CDs du coup.

Hylé Tapes : Pas grande chose. C’est très subjectif tout ça, et je ne veux convaincre personne de quoi que ce soit. Cependant, si on écoute une cassette (bien masterisée et puis dupliquée sur bande “métal” ou “chrome”) sur un bon Nakamichi, et qu’après on compare le son à celui d’un mp3 qui sort d’iTunes, de quel côté serait la “mauvaise qualité sonore” ? Beaucoup de vinyles pressés ces dernières années ont un son exécrable : ils sont pressés dans l’urgence et le master n’est pas toujours fait correctement pour un pressage vinyle. La cassette est peut être lo-fi pour certaines personnes, mais c’est justement ça qui m’attire dans le son de la bande : l’imperfection. J’apprécie tout particulièrement le fait qu’elle se dégrade avec le temps. Je trouve la perfection très ennuyante et inhumaine.

Anywave : Qu’ils écoutent deux trois k7, ça les ferait changer d’avis. À titre perso, j’écoute plus de k7 que de CDs ou de vinyles, c’est revenu dans ma vie quand on en a sorti l’an dernier, j’ai ressorti tout mon stock d’il y a 20 ans – je suis le parfait détracteur converti, en somme. Après, de toute façon, ceux qui détestent les sons un peu punk, un peu sales, on ne pourra pas grand chose pour eux.

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