Désespéré, un patron de club breton a entamé une grève de la faim

Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Mike Ludwig
Le 24.06.2020, à 23h53
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©Mike Ludwig
Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©Mike Ludwig
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Depuis le 21 juin, Mike Ludwig, patron de la discothèque le Tremplin à Montauban-de-Bretagne, se prive de nourriture. Son complexe de quatre salles, situé en rase campagne à 35 kilomètres de Rennes, restera fermé au moins jusqu’au mois de septembre, conformément aux annonces confirmées par le ministre de la Santé, Olivier Véran. Lou Ludwig, son épouse, témoigne pour Trax du sentiment d’abandon qui motive le patron de club.

Les appels téléphoniques, c’est Lou Ludwig qui les passe pour son mari. La voix tremble, les sanglots sont proches mais la Bretonne de 43 ans, à la tête de la discothèque Le Tremplin, tient bon : « Je ne peux pas vous le passer, regrette-t-elle, j’essaie de l’épargner. Il s’est installé dans le club mais hier, en insistant, j’ai réussi à le convaincre de dormir à la maison. »

Depuis dimanche 21 juin, Mike Ludwig, 57 ans, a cessé de s’alimenter. Tout au plus, il s’accorde un verre d’eau par jour pour rassurer les soutiens qui lui demandent de s’hydrater. Ses traits sont tirés, il a les jambes qui tremblent, sa tête lui fait mal. S’il a accepté hier de se lever du siège simili-rococo noir et argent pour dormir une nuit chez lui, c’est uniquement « afin de (se) doucher, pour ne pas rester dégueulasse », comme il l’explique sur la page Facebook de son établissement.

Le Parking du Tremplin, D.R. Alexandre Frémont

Dans son Tremplin, le plus grand club de Bretagne, la lumière froide des néons éclaire sans distinction la boule à facette figée comme le parquet en bois du dancefloor, forcément vide et silencieux. L’établissement de 3000 ㎡ n’a pas ouvert ses portes depuis le 17 mars dernier, en raison des mesures de restriction de rassemblements qu’implique l’état d’urgence sanitaire. Très tôt, Mike Ludwig et Matthieu Lebrun, patron de la discothèque Le Hilton, comprennent qu’ils seront les derniers à pouvoir rouvrir leurs établissements. Ils réunissent 80 patrons de clubs autour d’une lettre à l’intention des députés, pour provoquer une prise de conscience de la catastrophe qui guette la nuit. Depuis, le monde se déconfine mais pas les clubs. Les 22 employés du couple Ludwig attendent chez eux que la situation se débloque et, pendant ce temps, le patron débourse 11 000 euros de loyer tous les mois. Tous espéraient pouvoir relancer la machine le 10 juillet prochain, date annoncée de la fin de l’état d’urgence.

Nos clients ne sont pas des bêtes

Lou Ludwig, patronne du Tremplin

Mike Ludwig a commencé à douter du scénario au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, le 14 juin dernier. « Le Président n’a même pas pris deux minutes pour parler des cinémas, théâtres et discothèques. Pas un mot. Pas une date ni une perspective. On est dans les « si » , les « peut-être », rien de concret. », confiait-il alors au journaliste de Ouest France qui l’interrogeait. Il prévenait : « Si rien n’est dit (au sujet des boites de nuit) au moment de l’annonce de la phase 3 du déconfinement, j’entamerai une grève de la faim. »

« Il avait ça qui lui trottait dans la tête, explique Lou Ludwig, mais ce qui l’a poussé à mettre sa menace à exécution, c’est l’intervention d’Olivier Véran face aux députés, mercredi 17 juin ». Ce jour-là, le ministre de la Santé s’exprime avant le vote des élus sur l’organisation de la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Au pupitre, il évoque le cas des discothèques : « [Si on réouvre les clubs en juillet ] 1500 ou 2000 personnes pourront allègrement danser, profiter de l’été retrouvé et se tousser dessus. » Lou Ludwig ne décolère pas : « Ces mots nous ont choqué. Nos clients ne sont pas des bêtes. Tenir des propos pareils, c’est faire preuve de mépris pour ce que nous représentons ».

Des rires aux larmes

La petite phrase s’ajoute alors à une succession de maladresses qui finissent, du côté des patrons de clubs, par faire déborder le vase. En mai dernier, le député du Calvados, Christophe Blanchet, avait pris la parole dans l’hémicycle pour défendre la cause des patrons de discothèques. « C’est le seul qui ait défendu notre secteur d’activité et qu’est-ce qu’il a récolté ? Des rires », s’emporte froidement Lou Ludwig, faisant référence aux ricanements entendus dans les rangs de l’Assemblée nationale au moment où le député prononce le simple mot de « discothèque ».

Le Tremplin, ambiance

« Les discothèques ont toujours été perçues par la presse et les politiques comme des lieux de débauche. On ne parle de nous que quand une star se rend en boite, tout le reste on ne veut pas savoir que ça existe », constate la Bretonne, habituée aux sarcasmes et à ce qu’on dénigre son activité. La presse locale s’intéresse au Tremplin principalement lorsque des rixes surviennent sur son parking. La mauvaise réputation et les stéréotypes attachés au monde de la nuit motiveraient, d’après Lou Ludwig, l’interdiction d’ouvrir les clubs. « On nous explique que les discothèques sont des endroits confinés, mais je crois que les supérettes aussi, pourtant elles sont ouvertes. Ils ont même accordé le droit d’ouvrir à Disneyland Paris, » déplore-t-elle, se disant prête à reprendre une activité même avec une jauge limitée à 50%.

Les Ludwig l’assurent : leur métier, c’est aussi de faire respecter des règles. Depuis qu’ils se connaissent, le couple vit par et pour la nuit. En 1996, Lou et Mike investissent un club breton, qu’ils quitteront en 2003 pour le Tremplin. L’énorme club est une institution dans la région depuis plus de trente ans. Situé en rase campagne, à 35 kilomètres de Rennes, l’établissement peut accueillir 2700 personnes tous les soirs dans ses quatre salles, quatre ambiances. Du fait de sa situation géographique et de sa taille, le Tremplin était particulièrement visé par les mesures de prévention routière à l’intention des fêtards instaurées au cours des années 2000, mais aussi par l’interdiction de fumer sur les pistes de danse dès 2006. « Toutes ces mesures, on a toujours réussi à les faire respecter. Nos clients comprennent et nous, on n’a évidemment pas du tout envie qu’ils se tuent sur la route. » Et la patronne insiste sur l’aspect culturel de son activité : « Après une période de confinement très dure, les gens ont besoin de danser, de lâcher prise. La discothèque c’est aussi une culture qui fait vivre des artistes et des intermittents. »

Depuis que Mike Ludwig a entamé sa grève de la faim, la situation a un peu évolué, sans pour autant convaincre le Breton. « Tant que je n’aurais rien de concret, je ne lâcherai pas. Je veux une réponse du Président, et je suis très têtu », prévient-il. Quant à l’idée de transformer sa discothèque en bar, conformément à ce que négocie le Syndicat National des Discothèques et des Lieux de Loisirs (SNDLL) avec le gouvernement, il ne faut pas lui en parler : « Je ne suis pas du tout d’accord. Je suis pas barman, je ne suis pas un restaurateur ni un pâtissier. Je tiens une discothèque. » Son épouse reste quant à elle solidaire, bien qu’elle n’approuve pas la méthode employée par son mari. « J’ai très peur, mon mari, c’est toute ma vie. J’espère qu’il aura une réponse. On a le droit à un peu de considération, non ? »

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