Des églises aux clubs : comment l’électro catho prêche la bonne parole à 120 bpm

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R
Le 09.05.2018, à 15h36
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Une foule en liesse, des bras en l’air et un DJ balançant des sons électroniques : une soirée normale, sauf que derrière les platines se trouve le Père Zeton et que, sur le dancefloor, ce sont majoritairement des jeunes cathos qui s’enjaillent. La scène se déroule au Brésil où, pour « contrer » la montée des évangélistes, la religion catholique a décidé d’allier foi et fiesta lors de « christothèques ». Loin d’être isolée, cette tendance se développe un peu partout dans le monde, et même en France, même si le chemin est semé d’embûches jetées par les gardiens du temple.


Par Arnaud Rollet

Patrie du christian rock, c’est évidemment aux États-Unis que s’est développée la Christian Electronic Dance Music (CEDM), un genre qui fait de plus en plus d’adeptes, y compris à Detroit. C’est d’ailleurs dans la Motor City que Gods DJs a vu le jour. Cette communauté des « DJ’s de Dieu » revendique près de 150 000 membres à travers le monde, dont une majorité de chrétiens. Le site du même nom propose une webradio et dresse un panorama assez complet des acteurs du mouvement. Une bible de la CEDM fondée il y a dix ans par Nate Carlisle, qui est lui-même DJ. « Raveur élevé au son de la techno de Detroit dans les années 90 », il a pris le pseudo de DJ Rodimus et ne jure désormais plus que par Armin Van Buuren et Tiësto.

Pour lui, le lien entre musique électronique et christianisme est évident : « Les deux sont compatibles : un des premiers genres de dance music n’est autre que la gospel house née à Detroit au début des 80’s. D’ailleurs, il existe aussi des morceaux de CEDM sans paroles. La Bible mentionne à plusieurs reprises que l’on peut témoigner notre amour pour Dieu simplement avec des instruments. Cette culture a longtemps été mise au ban par l’église parce que trop peu de Chrétiens s’y intéressaient. Grâce à Internet, ces derniers ont pu se rassembler et changer la donne. »
Si, grâce à l’impulsion de Nate et ses apôtres, des labels se montent et des milliers de morceaux sortent sur le Net, le chemin reste encore long pour faire de la CEDM la bande-son officielle des Journées mondiales de la jeunesse et de donner naissance à de gigantesques fêtes, en tout cas chez l’Oncle Sam. « Durant six ans, nous avons organisé sur le territoire un événement annuel de moyenne envergure, en plus d’une poignée d’autres manifestations plus petites, mais nous avons arrêté. », explique Nate. « Aux États-Unis, l’Église n’accepte que le rock chrétien dans son enceinte, pas la musique électronique. On l’a compris après avoir essayé de faire évoluer les mentalités pendant plusieurs années. Cela changera uniquement quand la génération actuelle à la tête de l’église laissera sa place à une nouvelle école de pensée. »

La France, un territoire à évangéliser

Et la France dans tout ça ? Avec ses querelles de clochers, elle est à la traîne et n’accueille pas encore de grandes teufs christiques (les performances du groupe Justice ne comptent pas). Pourtant, certains se bougent pour faire entendre la voix du Seigneur à 120 BPM dans un pays qui comptait en 2015 près de 43 millions de baptisés. Mais ces activistes se retrouvent confrontés à un obstacle de taille : le catholicisme, qui représente 80 % des chrétiens sur le territoire. « Il y a encore des freins et blocages, surtout chez les catholiques où la tradition et le dogme sont très présents », analyse Matthieu Beck. Vice-président d’Event4HIM, ce protestant passionné de musique comptait attirer 1 000 personnes pour la cinquième édition de son festival Mitt’HIM en Moselle, au mois de juillet 2018. Pour lui, la France avance, même si les artistes, DJ’s et événements restent minoritaires. « On part de très loin, mais il y a de l’espoir, avec des formations rap ou rock se mettant au niveau musical du monde séculier. L’électro va se développer en ce sens, petit à petit. »

« Le monde de la nuit est un peu le milieu du vice. Pour moi, c’est justement là qu’il faut amener l’amour de Dieu. Il y a un message à porter. »

Depuis quinze ans, l’Église catholique aurait d’ailleurs mis de l’eau dans son vin de messe vis-à-vis de la musique actuelle, suivant l’exemple des protestants très actifs dans ce domaine depuis plusieurs décennies. « Les positions et les avis ont bien changé », estime Marc Brunet, créateur et ancien dirigeant de Sephora Musique (le plus grand distributeur de musique chrétienne de France) pendant quarante ans, aujourd’hui co-organisateur de la cérémonie des Angels Music Awards. « L’évolution a été constante dans les milieux protestants, mais plus récente dans les milieux catholiques, avec une étape franchie en l’an 2000, avec les Journées mondiales de la jeunesse de Paris et l’apparition de Glorious. » Fer de lance de la « pop louange », ce groupe catho a inspiré une nouvelle génération d’artistes (Hopen, Heroic Nation, Echo) et fait suffisamment parler de lui pour être invité deux fois au Vatican et se voir confier l’animation musicale de la paroisse Lyon Centre par le cardinal Barbarin.

Le club, l’objectif ultime ?

Le succès de Glorious prouve que l’église n’est pas hermétique, à condition que l’électro ne nuise pas à la prière dans son enceinte. « Il n’y a aucun instrument qui soit banni ou exclu de l’espace sacré », précise Fabien Barxell, responsable du département musique liturgique de la Conférence des évêques de France. « Cela n’a pas toujours été le cas, les instruments ayant longtemps été associés au monde profane et païen, à la réjouissance et aux cérémonies occultes, voire ésotériques. Il n’y a donc pas d’opposition nette à la présence de cette musique dans une église durant une liturgie, à condition que cette présence ne tourne pas au spectacle. La musique dans l’église ne doit pas servir à elle-même, mais à la prière. »

Festivals et églises de l’Hexagone s’ouvrant peu à peu à l’électro du Christ, reste à convaincre les lieux de vie nocturne, où l’on imagine encore mal s’organiser des soirées spéciales. C’est pourtant là plus qu’ailleurs que la bonne parole doit se répandre selon Yoann, ex-DJ professionnel, protestant et vrai passionné de techno et de house, désormais retiré des platines. « Le monde de la nuit est un peu le milieu du vice, où l’on va boire, se lâcher, consommer de la drogue… Je ne juge pas les uns et les autres : c’est juste un constat personnel, après avoir passé dix ans en club et pub. Pour moi, c’est justement dans un milieu comme celui-là qu’il faut amener l’amour de Dieu. Il y a un message à porter. » Qui sait, dans vingt ans, le meilleur des afters à Paris se fera peut-être dans une paroisse et non plus sur une péniche ?

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