Depuis Montréal, la productrice TDJ réhabilite la trance et l’eurodance des années 2000

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Esteban Gonzalez
Le 20.12.2021, à 14h46
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©Esteban Gonzalez
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Venue tout droit de Montreal, la productrice TDJ réhabilite la trance ou l’eurodance tout en piochant dans les références culturelles d’aujourd’hui. Après deux EP à la dimension XXL sortis en pleine pandémie, la Québécoise est d’ores et déjà l’une des grosses promesses de 2022.

« Dans cet univers vêtu de charme se trouve Tee Dee Jay, emblème de perfection, plus grande que nature, aux allures douces, au parfum pur ». Sorti il y a un peu plus d’un mois, la vidéo de presque 40 minutes de « SPF INFINI » est une carte de visite plutôt flatteuse pour la DJ et productrice de Montreal TDJ. Passé son intro où s’enchainent les phrases à sa gloire, ce mini film aux allures d’ovni tourné par l’artiste-réalisateur Laurence ‘Baz’ Morais célèbre l’esprit du « hot girl summer » et illustre un DJ mix composés de morceaux de Panteros666, Moistbreezy, Krampf, Suspect Raver ou les chansons de TDJ elle-même. À grand renforts d’effets 3D, la vidéo la montre en train de mixer, entourée par des jeunes obsédés par les selfies, les filtres et leurs téléphones portables. Les références 2k21 s’y télescopent à toute vitesse : TikTok, Boiler Room, Twitch, les camgirls, les content houses, Uber Eats, les placements produits et les contenus sponsorisés.

Mais c’est surtout TDJ elle-même qui fait la plus forte impression. Dans cet univers d’écrans et de réseaux, elle semble être un personnage désincarné, robotique, une sorte d’avatar aussi froid que parfait, un androïde à la beauté troublante. Comme les personnages du jeu vidéo Les Sims, on la voit déambuler d’une démarche rigide dans un maison vide. On aperçoit aussi son visage, moulé dans du silicone puis percé de dizaines de seringues de Botox. Une image qui semble avoir laissé une trace dans la tête de Geneviève Ryan Martel, la vraie personne derrière l’armure de TDJ. « J’ai fait un cauchemar la nuit dernière, expliquait-elle timidement lors d’un passage à Paris en plein milieu de la pandémie, juste après le tournage de la vidéo en question. J’ai rêvé que je marchais dans une salle à manger. Il y avait une version de moi-même, toute nue, allongée sur une table. Je savais que tout ça était faux. Mais dans ce rêve, j’avais besoin de m’en assurer. Et lorsque je touchais ce corps, je me rendais compte que c’était ma vraie peau. » Visiblement, l’expérience TDJ a tout à voir avec un trouble de l’identité.

Tony Hawk et Alice Deejay

Geneviève Ryan Martel n’a pas attendu sa récente transformation en cyborg techno pour se mettre à la musique. De son enfance dans la banlieue de Montreal, elle garde des souvenirs plein de musique classique via sa mère violoncelliste et son père clarinettiste. Mais dans la voiture, la bande-son des longs trajets en famille est plutôt faite de rock et de distorsions de guitares. Très vite, elle se met à la batterie et gratte sur sa six cordes ses premiers powerchords. Une adolescence typique de la fin 90’s début 2000’s se dessine progressivement : écouter Blink 182 en boucles, enregistrer de timides morceaux sur un petit multipiste Yamaha, faire du skate avec les amis – dans la vraie vie ou sur le jeu vidéo Tony Hawk’s Pro Skater. Après quelques expériences musicales en groupe, Geneviève se rend compte qu’elle préfère faire les choses en solo, dans son coin : « Au début, je voulais juste faire de la musique dans ma chambre, et à la limite la montrer à mes parents. C’est tout. ». À 20 ans, poussée par ses amis, elle sort ses premiers morceaux sous l’alias de Ryan Playground, à cheval entre la pop, la musique électronique et une grosse dose de culture rock indé’. De quoi attirer l’attention du producteur canadien Ryan Hemsworth qui décide de l’accompagner dans son projet en la signant sur son label Secret Songs le temps de deux albums très réussis : Elle et 16/17.

En 2020, alors que le monde s’est claquemuré pour endiguer la pandémie, Geneviève tourne en rond chez elle et se cherche de nouveaux horizons musicaux. Avec sa copine, elle réécoute des classiques électroniques de son adolescence et bricole en à peine une heure une reprise intimiste à la guitare du hit « Better Off Alone » d’Alice Deejay, sorti en 2000 sur un album nommé Who Needs Guitars Anyway ?. C’est un succès. Le morceau affole rapidement les compteurs des plateformes de streaming. Geneviève se rend compte qu’elle peut assumer sans complexe ses goûts pour l’eurodance ou la trance du début des années 2000.

« Une sorte de chevalier futuriste »

Il faut dire qu’en parallèle de son projet Ryan Playground, la Montréalaise n’a jamais vraiment oublié les classiques éléctroniques découverts pendant son adolescence : « J’aimais surtout le rock mais un de mes amis – Joel – me faisait écouter les disques de son beau-père. C’était dans un sous-sol, autour de l’ordinateur. Nous mettions du Tiësto, du Paul van Dyk, du ATB, ce genre de choses. Ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai toujours gardé une fascination pour les progressions d’accords infinies ou les arpégiateurs, mais je n’avais pas vraiment creusé tout ça. » En 2020, alors que le Covid-19 oblige tout le monde à rester chez soi, les cartes sont redistribuées. D’autant plus que le confinement créé des manques. Un peu partout, faute de pouvoir faire la fête, on rêve de dancefloors sans fin, on s’imagine au milieu de foules en liesse et on fantasme cette époque du début des années 2000, quand la musique électronique débordait de joie et d’enthousiame pour le nouveau millénaire qui débutait alors. C’est ce sentiment et ces styles musicaux (l’eurodance et la trance) qui vont servir de socle à une nouvelle déclinaison musicale de Geneviève : TDJ, comme Terrain de Jeu.

« Je crois que je voulais m’impressionner moi-même en reprenant ce type de sonorités à ma manière, » explique aujourd’hui Geneviève Ryan Martel, qui voit ce projet comme une façon de repousser ses limites, de se métamorphoser en une version XXL d’elle-même. « Dans la vie, je suis quelqu’un d’assez simple, un peu dans son cocon. Ryan Playground fait beaucoup référence à ça. Mais en même temps, je ne veux pas systématiquement me cacher dérrière des hoodies, des casquettes et une guitare. Je vois vraiment TDJ comme un avatar un peu déconnecté du reste du monde, quelque chose de très léché, d’un peu too much, qui vise une sorte de perfection plastique et narcissique. J’ai ces deux aspects en moi. J’aime m’imaginer comme une sorte de chevalier futuriste et en même temps je reste une personne normale qui mange des céréales. » 

Sur TDJ001 et TDJ002 mais aussi sur SPF INFINI ou BBY, TDJ est donc un être désincarné et magnétique, qui semble plus virtuel que réel, et dont la musique est comme perdue entre l’an 2000 et l’an 2021. Avec des hits en puissance comme « Lalala (Want Somebody) » ou « Open Air », la Québécoise prouve aujourd’hui qu’elle a toutes les armes et le talent pour aller très loin avec son avatar TDJ.

Prochaine étape ? La confection d’un album sur lequel elle travaille déjà, et l’achat d’une voiture de sport orange, qu’elle voit avant tout comme une sorte de métaphore : « C’est comme un symbole d’accomplissement, de réalisation qui montre ce que je peux être à mon état maximal. Ce n’est pas tant l’aspect matériel qui compte là-dedans. Il y a quelque choses d’intime. Quand j’étais petite, j’aimais vraiment beaucoup les voitures, j’adorais les Jaguar, les Porsche et les BMW. J’en veux une comme ça. Et orange car c’est ma couleur préférée. » En attendant son futur vaisseau spatial, l’extraterrestre TDJ se déplace à pied, parfois accompagnée par son chien. Son nom ? Tiësto. On ne se refait pas.

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