Dans son nouvel EP, Rony Seikaly explore toujours son « Rony style »

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 06.07.2020, à 18h18
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Se faire oublier pour mieux se faire connaître. C’est le mot d’ordre qui hante la carrière musicale de Rony Seikaly, producteur house américano-libanais dont le nouvel EP, Flying Circles, vient de paraître. Autrefois basketteur de renom, il raconte comment il a su mettre de côté cette image de stars pour pouvoir se libérer musicalement.

Par Brice Miclet

On a vu bien des stars s’improviser DJ dans le but de faire de belles stories Instagram, passer de la musique horrible afin de se voir accorder une heure de mix dans un club d’Ibiza peuplé d’idoles éphémères. Qu’on se le dise : Rony Seikaly n’est pas de cette espèce. Du haut de ses 2,08 mètres, l’ancien basketteur des Heats de Miami a toujours embrassé la house music avec sincérité. Sans arrivisme, sans mentir. Son nouvel EP, Flying Circles, en est une nouvelle preuve.

Tout commence dans un garage

Pour ceux qui ne le sauraient pas, Rony Seikaly a joué au plus haut niveau du basket mondial, en NBA, durant douze années. Il fut l’un des pivots majeurs de la ligue américaine au début des années 1990, et l’un des meilleurs éléments étrangers de l’époque. Car s’il vit aujourd’hui le rêve américain, le colosse est Libanais. Et grandir à Beyrouth durant les années 1970, c’est la garantie de voir ses rêves brisés par la guerre. « J’ai grandi entouré de musique, se souvient-il. Mais nous avons du fuir le pays pour atterrir à Athènes. A 14 ans, j’ai transformé le garage de mes parents en club. Je faisais payer trois ou quatre dollars l’entrée, et quand j’avais fait un peu d’argent, j’allais acheter des disques, ou j’améliorais le système son. C’était de la débrouille. Je n’en avais aucune idée à l’époque, mais c’était le début de quelque chose. »

Dans le garage des Seikaly, l’ado passe du disco, du Barry White, des titres très soulful. Et puis, quand la house commence à débarquer, il plonge totalement dedans. A l’époque, il fait déjà du basket à un très bon niveau junior local. Le sport est l’objectif, la musique est la passion. Et lorsque sa carrière décolle pour le voir atterrir en NBA, c’est donc Miami qui l’accueille, ville réputée pour sa vie nocturne et ses discothèques.

« Coupe ta musique européenne de merde ! »

Malgré le contexte, Rony Seikaly doit vite mettre son amour pour la musique entre parenthèses.  Il faut s’entraîner, se coucher tôt, se reposer… Mais il reste boulimique de house. « Parfois, quand j’emmenais des coéquipiers en voiture, je mettais du son. Il criaient : « Coupe ta musique européenne de merde ! » (rires) Dans le basket, c’était le RnB et le hip-hop qui comptaient. Tout ce qui n’était pas de cette catégorie était considéré comme merdique. Mais j’aimais ma house music. J’aimais mettre du Frankie Knuckles, du Louis Vega, tous les grands noms de cette époque. Mon modèle était Dani Tenaglia. Un set de dix ou douze heures paraissait en durer deux parce qu’il te faisait voyager. » Il investit aussi dans des clubs de Miami Beach, alors en pleine explosion immobilière. « C’était ma porte de sortie, ma façon d’échapper à la vie de basketteur. Je voulais pouvoir entrer dans un club discrètement, profiter de la musique depuis le côté de la scène, être avec mes amis, puis repartir tranquillement. Avoir un club, pour moi, c’était ça. Quelque chose de discret, de nécessaire. Pas un endroit pour boire du champagne entouré de filles à la vue de tous, bien au contraire. »

Lorsqu’il prend sa retraite sportive en 2000, Rony n’en peut plus d’être jugé sur ses performances, de subir les critiques des observateurs. Ça n’est que huit ans plus tard qu’il se met à composer, chez lui, dans le home-studio puis le club qu’il a construit dans sa villa. Là-bas, les noms défilent, et les DJs internationaux également. Parmi eux, Erick Morillo. « Alors que je mixais pour mes invités, il est venu me demander quel mix j’avais mis dans les enceintes. Je lui ai répondu : « Non mec, c’est ma musique. » Il m’a demandé pourquoi je ne voulais pas la sortir, en faire quelque chose, il trouvait mon son très singulier. C’est ce qu’il a appelé plus tard le « Rony style ». S’il lui arrive, encore aujourd’hui, de composer quelque chose qui ressemble au son que je pourrais faire, il pense toujours à marquer « Rony style » dans les crédits. J’ai fini par me jeter à l’eau, par prendre le risque d’être jugé à nouveau. En 2009, je jouais mes tracks pour la première fois en public à Miami. »

Sortir du moule

Mais les débuts sont difficiles. Rony Seikaly est confronté à ce qu’il redoutait le plus : être considéré comme un basketteur avant tout, comme un type qui aurait acheté sa place sur les estrades, comme une attraction. « Ça m’énervait pour être honnête, ça me blessait. » Il signe chez Subliminal Records en 2010, mais claque la porte peu de temps après, comprenant vite que les maisons de disques veulent le faire rentrer dans un moule musical bien établi, et utiliser son nom. C’est sous sa propre structure qu’il sortira ses projets, dont Flying Circles, le dernier en date, bourré de percussions qui ne sont pas sans rappeler, de son propre aveu, ses racines orientales. Cette patte rythmique, c’est aussi son amour pour les influences électroniques tribales 90’s qui ressort. Toujours avec cette base house, indispensable : « Passer de la techno dure devant cinq-mille personnes qui te fixent, qui ne dansent pas vraiment, se contentent de lever le poing en l’air et de le remuer pendant trois heures, c’est bizarre. Je veux que les gens dansent. C’est simple, non ? La house provoque cela. Elle désacralise le DJ par rapport à la techno parce que les gens le regardent moins. Ils bougent. »

Aujourd’hui, Rony Seikaly est un producteur accompli, qui a tourné sur la planète entière, tout en faisant en sorte que son nom et sa carrière passée ne soient pas mis en avant plus que sa musique. Ça n’a rien d’évident. S’il est impossible de ne pas penser au grand basketteur qu’il fut en l’écoutant et en contemplant son ossature, il a su atténuer ce phénomène par des choix forts. Certes, il peut se permettre de prendre des risques. Mais combien auraient fait la démarche inverse dans son cas ?

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