Daniel Wang – In The Streets (1995)
Au Panthéon des producteurs house, une place est chaudement réservée à Daniel Wang, figure majeur de la scène Chicago house des années 90. Elevé à Taïwan, le musicien a construit sa réputation de puriste à force de maxis classiques et efficaces qu’il signera presque toujours sur son propre label, Balihu Records. Il s’impose aujourd’hui comme l’un des grands sages de la musique électronique, notamment grâce à l’équilibre qu’il aura toujours maintenu entre talent, appétit musical et discrétion médiatique.
A voir également
A weekend in Paris : trois jours au cœur de la jeunesse parisienne
Quand on parle de Daniel Wang, une citation n’est jamais loin. On lui attribue cette fameuse phrase : “La house music toute entière peut se résumer à 200 disques vinyles.” Si elle peut sonner un peu dure, elle ne manque pas de justesse dans la bouche d’un acteur de la scène qui aura vu naître, mourir et survivre des dizaines de sous-genres de house. Il s’explique :
“Pour la plupart des DJ’s et amateurs de musiques électroniques d’aujourd’hui, le commencement de la house music se situe entre 1987 et 1989, avec certains morceaux désormais “classiques” de Chicago comme “Can You Feel It” de Mr. Fingers ou “House Music Anthem” de Marshall Jefferson.
Pour ma part, j’ai décidé de formuler une réponse plus précise, et donc plus intéressante pour les lecteurs de Trax – basée sur une vieille revue “black et queer” de cette époque-là. Thing Magazine a été créé et édité par deux hommes qui ne sont malheureusement plus parmi nous : Robert Ford et Trent Adkins. Ils étaient tous deux Afro-Américains, ont grandi dans le Midwest des États-Unis et sortaient tous les soirs pendant ce qu’on appelle “l’âge d’or” de la culture DJ.
Daniel Wang @ RTS.FM (03.06.2011) :
J’ai rejoint l’université de Chicago en 1992, et là, j’ai fait la connaissance de deux personnes pleines d’humour et de connaissances à propos du disco, de la culture gay et de la Chicago house. Et déjà à cette époque là, on parlait avec une certaine nostalgie de la “vraie house music”. Celle qui était jouée par des DJ’s comme Frankie Knuckles et Ron Hardy. Ça n’avait presque aucun rapport avec ce qu’on appelle aujourd’hui “Chicago house”. C’était de la musique exclusivement faite à partir de boîtes à rythmes comme les TR-909 ou TB-303 de Roland. Parce qu’à l’origine, le mot “house” venait simplement de “music of the house”, comme vous parleriez du “vin de la Maison”.
Les gars de Thing Magazine ont compilé des listes incroyables de disques qu’ils entendaient régulièrement en soirée. J’en partage 10 ici, volontiers.”
1/ Montana Sextet – “Heavy Vibes” (1982)
La batterie est une Linn Drum Machine, et c’est Paul Simpson (plus tard producteur de Serious Intention et Adeva) qui s’est occupé du mix en studio. Le groove est en fait basé sur “Love Break” de Salsoul Orchestra, et Vince Montana a dit que le titre était à prendre au mot car son vibraphone était tellement lourd (plus de 120kg) qu’à chaque fois qu’il devait le transporter, il vivait un cauchemar.
2/ Eddy Grant – “Time Warp” (1982)
Le rythme 100% répétitif venait évidemment d’une boîte à rythmes primitive ou bien d’un synthétiseur. Ces sons tellement spatiaux et futuristes, combinés à l’esthétique deep bass du reggae-dub d’Eddy Grant sont étonnants quand on y pense…
3/ T.W. Funkmasters – “Love Money” (1980)
Le batteur Tony Williams a enregistré ce morceau en live avec tous les effets électroniques de Synare, ce qui lui donne cette énergie. Au moins deux autres morceaux ont ré-empruntés des motifs de ce disque plus tard : “Love Honey Love Heartache” de Man Friday et “What You Need” de Soft House Company. Mais celui-ci était le premier.
4/ Hugh Masekela – “Don’t Go Lose It Baby” (1984)
Ce morceau est en fait une sorte de cover-version électronique de l’original “Going Back To My Roots”, un grand tube du compositeur Lamot Dozier signé sur Motown. Stewart Levine en a séquencé les parties de guitare sur des synthés, ajouté des nappes d’un clavier Fairlight et puis la trompette et les cuivres de Masekela. Une production très intéressante si on la regarde ainsi.
5/ Persia – “Inch by Inch” (1979)
L’eurodisco faisait aussi parti du milieu house à Chicago. Il fallait jouer ce disque à -3 ou -5 sur les platines, mais à chaque fois que j’allais écouter Frankie Knuckles, tout le monde connaissait les paroles de ce disque et chantait avec.
6/ Ashford & Simpsons – “Found A Cure” (1979)
Enorme tube de house et disco classique. Non seulement bien écrit, le morceau procure un plaisir peut-être dû au fait que les producteurs aient laissé de l’espace pour le développement du groove dans la seconde partie. Les éléments (tels que les guitares, les violons, les chœurs) sont isolés les uns des autres. Ils s’arrêtent, puis reprennent, quoi que la grosse caisse (le kick) ne cesse jamais de maintenir le tempo.
7/ Powerline – “Double Journey” (1981)
Semblable à “Love Money”, peut-être parce que ce disque est complètement live, instrumental et basé sur une ligne de basse simple de deux mesures. Le morceau n’en reste pas moins irrésistible à cause de son insistance et de ses variations funky. Et parce que la basse tue, bien sûr ! C’était une production anglaise, et non new-yorkaise.
8/ Billy Frazier – “Billy Who?” (1980)
Un morceau plus mystérieux, et fascinant aussi parce qu’il n’a pas vraiment de mélodie distincte. Et puis ce sifflement bizarre à la fin !
9/ The Clash – “Magnificent Dance” (1980)
Plein de gens veulent penser que la house music est basée sur un rafraichissement de la musique Motown, soul et funk. C’est un peu vrai et faux en même temps. Des tracks rock comme celui-ci faisaient toujours partie des playlists des grands DJ’s de house ; et quand on analyse la ligne de basse, son principe n’est pas si différent de ceux des titres comme “Mysteries of The World” de MFSB.
10/ MFSB – “Love Is The Message” (1973)
Je viens de lire que la version longue (de 11 minutes) que nous connaissons existe seulement grâce au producteur Tom Moulton, qui n’était pas content de la première version courte de six minutes. Il a invité Leon Huff à rejouer les claviers et l’orgue dans le studio, mais il ne lui a pas dit que les machines à bandes magnétiques étaient déjà allumées et enregistraient tout ! Toujours l’hymne éternel de la house, et c’est assez incroyable car ce truc est toujours là même après plus de 40 ans, n’est-ce pas ?