« Les assureurs couvrent des risques et pas des crises systémiques ». L’argument, tenu en off par la fédération française des assurances (FFA) pour justifier ses réticences à dédommager les pertes d’exploitations liées à la pandémie, n’est pas de nature à convaincre les établissements de nuit, contraints à fermer leurs portes pour plusieurs semaines encore. Alors que les trous dans les trésoreries s’agrandissent chaque jour un peu plus pour les bars indépendants, cafés-concerts, clubs et autres lieux culturels de nuit, la position du secteur de l’assurance passe mal.
Mardi 7 avril, le syndicat représentatif Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (Umih) tirait la sonnette d’alarme par voie de communiqué. Selon une enquête menée en interne, 98% des commerces adhérents à l’Umih se sont vu refuser par leurs assureurs le versement d’une compensation au titre de la perte d’exploitation engendrée par la pandémie. Et les services juridiques des assureurs vont parfois plus loin, comme en témoigne Ben Barbaud, directeur du Hellfest, dans les colonnes de Presse Océan : « [notre contrat d’assurance] comprenait une clause d’annulation prévoyant la prise en charge des frais du Hellfest en cas de pandémie. Quand on les a rappelés au début de l’épidémie, ils nous ont juste envoyé un courrier pour nous dire qu’ils avaient trouvé une faille. Que cette épidémie ne serait pas couverte car il s’agissait d’une pneumonie atypique. »
Du côté des assureurs, la FFA par l’intermédiaire de son directeur général Jean-Laurent Granier fait valoir que la fédération soutient les exploitants indépendants à travers le fonds de solidarité instauré en urgence par les pouvoirs publics. Le secteur de l’assurance a ainsi mis au pot 200 millions d’euros sur les deux milliards qu’en compte le fonds. Mis en place par Bercy à la suite des annonces de confinement, le fonds vise, notamment, à soutenir les petites entreprises et indépendants avec une aide de 1 500 euros mensuels, sous conditions d’éligibilité.
Toucher le fonds
Ce fonds est lui-même sujet à critiques de la part des différents syndicats : « Un grand nombre de nos adhérents n’y ont pas accès, soit parce qu’ils sont trop petits, soit parce qu’ils dépassent à peine les plafonds ou parce que les critères ne sont pas adaptés », rappelle Rémi Calmon, directeur exécutif du Sneg & co, syndicat national regroupant des lieux festifs. « Ce montant de 200 millions est très faible au regard des moyens du secteur de l’assurance », pointe-t-il encore. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que la FFA rejette toute forme d’indemnisation pour le moment. » La fédération d’assureurs qui se refuse à toute réaction officielle, évoque en off « l’impossibilité pour le secteur d’éponger de telles pertes qui se chiffrent en dizaines de milliards. »
Le Sneg comme l’Umih ou le collectif Culture Bar-Bars négocient actuellement avec l’État et les représentants des compagnies d’assurance pour sortir de l’impasse. Denis Talledec, directeur de fédération au sein de Culture Bar-Bars, collectif représentant les cafés et lieux festifs à programmation culturelle, considère que la réponse étatique à la crise n’est pas à la hauteur de la situation : « Les économies des cafés concerts et bars culturels étaient déjà très précaires avant la crise. Souvent tenus par des jeunes issus des milieux artistiques ou des scènes musicales locales, ces lieux ne bénéficient pas de la trésorerie nécessaire pour faire face à l’arrêt de leur activité ». Et ce, malgré les garanties apportées par l’État auprès des banques. « L’État se porte désormais caution des prêts par l’intermédiaire du fonds de solidarité, mais les bars et clubs sont toujours considérés comme des clients à risque par les établissement bancaires et l’obtention de prêts demeure très compliquée », estime Denis Talledec, rejoint par Rémi Calmon : « les banques savent que les bars sont souvent menacés par des fermetures administratives et que cela augmente considérablement le risque de banqueroute ».
Quant aux reports des factures de quittance autorisés par l’État, s’ils apportent de la “souplesse” à la trésorerie, ils ne font que retarder l’échéance de paiement. Sans une action forte, le collectif Culture Bar-Bars estime, en se basant sur des constatations empiriques, que ce sont 30 à 40 pour cent des bars et clubs qui pourraient disparaitre définitivement à l’issue de la crise. « Il est difficile de s’accorder sur un chiffre », commente Rémi Calmon, « mais il est certain qu’il y aura beaucoup de casse. »
L’idée partagée par les représentants : une réponse solidaire des différents acteurs, compagnies d’assurance, banques et autorités publiques, ainsi que la reconnaissance rapide de l’état de catastrophe naturelle ouvrant droit à réparation. « Je suis persuadé que la position du secteur des assurances va évoluer », espère encore Rémi Calmon, qui affirme que « Bercy met la pression sur le secteur ». « Ce serait une bonne chose que les assureurs décident d’indemniser leurs clients », ironise enfin Denis Talledec. « Sinon, il faudra m’expliquer comment ils comptent convaincre les gens de souscrire une police à l’avenir. »