Concrete : l’histoire jamais racontée de la fête qui a changé Paris 3/3

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Lara Kiosses
Le 24.10.2016, à 15h20
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©Lara Kiosses
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Lara Kiosses
Depuis la première TWSTED en 2011 à l’ouverture de la première édition du Weather Festival au Palais des congrès de Montreuil, l’équipe de Surpr!ze remonte le temps et raconte l’histoire de Concrete, qui a placé Paris parmi les villes qui comptent sur la carte des musiques électroniques. Concrete fête d’ailleurs ses 5 ans du 5 au 7 novembre sur la barge.Par Raphaël Malkin

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Bateau pirate


Aurélien Dubois

“La première année de Concrete, il fallait monter le matériel le vendredi. On arrivait à ouvrir tout juste à l’heure prévue le dimanche. Enfin, en janvier 2013, nous sommes devenus exploitants de la barge. Nous n’étions plus locataires : nous étions chez nous. Quel soulagement ! Cette fois, ce n’était plus la peine de monter et démonter nos affaires en jouant les déménageurs. Nous pouvions les laisser là.”

Pierre-Louis Hirel

“Au bout de dix Concrete, la barge est devenue un élément incontournable de la scène parisienne. Pour le coup, tout Paris savait ce qui se passait quai de la Rapée. Lorsque Resident Advisor s’est mis à s’intéresser à nous, nous avons senti que Concrete commençait à s’installer. C’était le boom. Je me souviens que mes parents s’inquiétaient du fait que je travaillais beaucoup et que je n’étais pas très bien payé, mais moi, je m’en fichais : je voyais Concrete grandir et c’est ce qui me faisait avancer. Je savais pourquoi je bossais dur. C’était bien et beau. Je vivais Concrete.”

concrete weather interview

Pete Vincent

“On avançait dans le temps et les souvenirs commençaient à s’accumuler, c’était bon signe. Ma mémoire n’était plus faite que de petits moments marrants avec des DJ’s. Il y avait des sacrées histoires ! Je me souviens de Big Strick. Après son set, l’Américain est retourné à son hôtel pour se changer. Il est revenu habillé comme un milord, avec des chaussures vernies. Il m’a demandé une bouteille de vodka et un sac plastique. Il s’est baladé avec sa bouteille dans le sac toute la soirée, en servant les gens. Il y a aussi ce DJ qui m’avait demandé un petit ventilateur pour son set. Quand il est arrivé, il a également demandé un seau à champagne uniquement rempli de glaçons. Au bout d’un moment, le seau a disparu du booth : le mec jouait avec ses deux pieds dans le seau pour se rafraîchir.”

Souleiman Bouri

“Je me souviens avoir donné la becquée à la DJ hollandaise Sandrien qui était complètement bourrée après son set. Une fois, j’ai aussi dû négocier sur le tas avec un artiste pour qu’il joue trois heures de plus que prévu à cause d’un trou soudain dans le plateau. Plusieurs fois, on a dû gérer des DJ qui perdaient leurs moyens. Des mecs qui stressaient parce qu’ils n’avaient pas prévu de jouer autant de temps. Dans ces cas-là, je devais les galvaniser.”

Quatre saisons

Adrien Betra

“Avec Aurélien, nous avions monté un festival dans le sud de la France. Tout semblait parfait : un champ, dix soundsystems et des milliers de personnes attendues. Ça s’appelait Anthologic. Mais quelques jours avant le coup d’envoi, le festival a été annulé à cause d’un arrêté préfectoral.”

Aurélien Dubois

“Nous rêvions de monter un festival. Après l’échec d’Anthologic, nous attendions la bonne occasion. Il fallait que ça se passe à Paris. La ville avait besoin d’un événement d’envergure, mais qui ne soit pas généraliste. On voulait un festival techno.”

Adrien Betra

“On en a parlé un soir ensemble. La nuit, dans mon lit, j’ai trouvé ce nom : Weather. J’avais un concept : il y aurait quatre scènes qui représenteraient chacune une saison. On donnerait une chaleur, une dimension, aux quatre endroits à travers le style musical que l’on y jouerait.”

C’était comme si l’on s’apprêtait à monter un petit Bercy techno.

Brice Coudert

“Nous n’étions pas certains de nos moyens ni de notre capacité à organiser un tel événement, mais quand on a trouvé le lieu où planter le décor de Weather, le fameux Palais des Congrès de Montreuil, on s’est dit qu’il fallait y aller. Au départ, on pensait peut-être attirer 3 000 ou 4 000 personnes, mais au fur et à mesure que nous avancions dans les préparatifs, la jauge augmentait jusqu’à dépasser la barre des 10 000 personnes.”

Laura Lambert

“Le Weather approchait à grands pas et il y avait une tonne de papiers à finaliser. J’étais encore en stage et au même moment, je devais passer mes derniers examens oraux. Aurélien m’a dit que je pouvais m’absenter pour l’occasion. Mais en réalité, avec tout le travail qu’il restait à faire, il était impossible que je quitte le bureau. J’ai donc raté mes oraux. Et peu importe, d’ailleurs : c’était la boîte qui comptait. J’attendais avec impatience l’ouverture du festival et les premiers retours des gens.”

Adrien Betra

“L’organisation du festival n’a vraiment pas été simple. L’adjoint à la culture de la ville de Montreuil ne nous a vus qu’une seule fois. Nous lui avons présenté un dossier détaillant nos envies et nos ambitions. Le type nous a répondu qu’il trouvait ça formidable et qu’il allait tout faire pour nous aider à obtenir quelques subventions et faciliter la collaboration avec les différents services de la ville, de la voirie à la police. Le problème, c’est qu’ensuite, il ne nous a plus jamais donné de nouvelles. J’ai appelé cinquante fois son bureau et je n’ai jamais réussi à le joindre. Nous n’avions aucune aide, aucun accompagnement. Heureusement, la situation s’est débloquée dans les derniers instants.”

concrete weather interview

Tejjy Gauthier

“Lorsque j’ai débarqué dans le bâtiment, le soir du festival, j’ai trouvé ça extraordinaire, gigantesque. Ça me paraissait vertigineux. C’était comme si l’on s’apprêtait à monter un petit Bercy techno. De la fenêtre du bureau où nous avions pris nos quartiers, j’ai vu la rue se noircir de monde. On nous disait que la foule s’étendait jusqu’à la station de métro voisine. On attendait plus de 10 000 personnes. La soirée s’annonçait bien.”

Aurélien Dubois

“Le propriétaire du lieu nous a joué un sale tour. La soirée venait à peine de démarrer qu’il nous a expliqué qu’il fermait l’accès aux toilettes parce qu’il avait peur que les festivaliers fassent des dégâts. Les gens n’avaient donc pas la possibilité de boire aux robinets et, évidemment, au bout d’une heure, nous nous sommes retrouvés à cours de bouteilles d’eau.”

Tejjy Gauthier

“Soudain, il y a eu un énorme coup de chaleur. Et la climatisation ne marchait pas ! C’était encore un coup du propriétaire qui avait coupé la climatisation. On avait l’impression d’être pris à la gorge. Il faisait de plus en plus chaud, la condensation faisait pleuvoir des gouttes d’eau à l’intérieur du bâtiment et les gens n’avaient pas d’eau.”

Aurélien Dubois

“Nous avons dû organiser un réassort de bouteilles d’eau en urgence en allant dévaliser les épiceries du coin. Et nous avons décidé d’ouvrir les portes du Palais pour que les gens puissent prendre l’air. Ce n’était pas prévu au départ, nous voulions respecter le voisinage en accord avec ce qui avait été dit avec la mairie, mais la situation était exceptionnelle. Il fallait réagir pour des questions de sécurité. Je crois que c’est l’une des pires expériences de ma vie. Ce propriétaire a tout fait pour que cette soirée se passe mal en allant à l’encontre du bon sens.”

Pete Vincent

“Quel bordel encore ! Il faisait si chaud que je devais littéralement essorer mon t-shirt toutes les cinq minutes. Nous étions tous en nage.”

Souleiman Bouri

“Le maquillage de Nina Kraviz ruisselait sur son visage. L’image glamour que je m’étais faite jusque-là de la DJ en a pris un petit coup sur le moment !”

Ici, c’est pas New York, c’est pas Londres, c’est pas Berlin ! Ici, c’est Paris !

Adrien Betra

“Et qui s’est pointée dans cette chaleur ? Dominique Voynet ! Madame le maire devait évidemment venir à un événement censé dynamiser sa ville.”

Pete Vincent

“Il y avait tellement de monde que l’on avait l’impression que le sol de la grande salle ondulait. Comme si, d’un coup, il allait s’écrouler. Et pareil pour la scène sur laquelle jouaient les DJ’s : elle tremblait si fort ! Moi, je me suis perdu. Je suis tombé sur des pièces où d’autres fêtes étaient organisées, comme cette soirée africaine ou cette fête déguisée sur le thème de la science-fiction. Et c’était pendant que le Weather se déroulait !”

Tejjy Gauthier

“La soirée à Montreuil, les fêtes sur la barge, les différents afters, dont celui de l’Electric : ce festival est sûrement le plus gros marathon de fête que j’aie jamais fait. Lorsque je suis arrivé à l’Electric, il était 7 heures du matin, je venais de fermer Concrete, je n’avais pas pris de douche depuis trois jours et je ne savais plus quand j’avais dormi pour la dernière fois. Normalement, c’est interdit de bosser aussi longtemps, mais on était tellement excités par le moment qu’on ne comptait plus nos heures.”

Adrien Betra

“Avec ce premier Weather, on s’est senti pousser des ailes. On avait fait un festival : c’était l’aboutissement de tout un travail, d’un rêve aussi. C’était fou de voir toute cette masse de gens devant nous, d’écouter ce son comme ça. Je n’avais jamais vécu ça. À Montreuil, mon père était là, juste à côté de Nina Kraviz. J’étais si heureux de partager ce moment avec lui que je suis tombé dans ses bras.”

concrete weather interview

Brice Coudert

“15 000 personnes ! C’était plus que tout ce que l’on avait pu faire auparavant. Certaines figures des raves, comme Jérôme Pacman ou Djul’z, m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça de leur vie. J’étais vraiment fier. Et lorsqu’un DJ a crié au micro devant la foule de Montreuil « Ici, c’est pas New York, c’est pas Londres, c’est pas Berlin ! Ici, c’est Paris ! », et que tout le monde a hurlé de bonheur, j’ai eu la chair de poule. Depuis les débuts de Concrete, je ne me rendais pas véritablement compte de ce que je vivais comme expérience, j’évoluais au jour le jour sans trop prendre de recul. Peu de temps après le Weather, je suis passé devant un immeuble où j’avais l’habitude d’avoir des réunions quand j’étais commercial. Devant la porte, il y avait tous ces gens en costard, comme mes anciens clients à qui je vendais des logiciels. Là, je me suis souvenu de mon ancienne vie. Et j’ai pensé au présent : il était 10 h 30 du matin et j’allais au boulot sans pression. Pour écouter de la musique.”

Article paru dans le Trax #192 du mois de mai. Pour s’abonner, c’est par ici.

Nina Kraviz – Desire

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