Comment un Français a créé l’un des festivals les plus dingues d’Europe, le Distortion

Écrit par Smaël Bouaici
Photo de couverture : ©Jacob Khrist pour toutes les photos
Le 05.07.2018, à 12h33
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©Jacob Khrist pour toutes les photos
Écrit par Smaël Bouaici
Photo de couverture : ©Jacob Khrist pour toutes les photos
Cinq jours de fêtes, 100 000 personnes dans les rues, Lunice sur une des dizaines de scènes qui parsèment le centre-ville, Solomun, ses lunettes de soleil et les Pachanga Boys en after dans les bois : c’était début juin pour les 20 ans du Distortion, le festival monté par un Français qui a placé Copenhague sur la carte des destinations festives.

Distortion, c’est l’histoire d’un mec qui avait envie de monter la fête dont il rêvait. Le Parisien Thomas Fleurquin (dont la mère est danoise) s’est infiltré presque par hasard dans les nuits de Copenhague, qu’il a bousculées par sa volonté d’entreprendre. À la base de l’histoire, un constat : la vie culturelle de la capitale danoise est sous-estimée. Pour lui donner de la visibilité, il monte avec quelques proches le magazine Copenhagen Post, qu’il distribue dans sa camionnette le jour tout en bossant dans les bars la nuit. Quand le rédacteur culture quitte son poste, il reprend son job et se met à écrire des dizaines de profils et recommandations de sorties par semaine. Au bout de quelques mois, il devient incollable sur toutes les activités culturelles et festives de la ville. « Grâce à ce guide, j’ai connu tous les gens du réseau culturel, bars, clubs, théâtre, expos, opéra… Le journal n’a jamais vraiment marché mais je me suis fait un réseau. Au bout de six mois, j’avais des contacts dans tous les milieux et en 1998, j’ai décidé de monter une fête où j’invitais tous ces gens différents ».

La première réunit 200 personnes sur une journée, dans trois lieux différents. Après une fête avec Ariel Wizman qui passait dans le coin en 1999, il solidifie son concept de festival ambulant l’année suivante en organisant une fête par quartier durant 5 jours. Déjà, Thomas, qui supporte mal de rester plus de deux ou trois heures dans un club, avait l’idée d’éparpiller les énergies. “Au début, ce n’était pas vraiment du clubbing, j’étais pas trop techno. J’ai fait mon bon Français idéaliste, je voulais éclater et partager la culture, inviter un maximum de gens pour des fêtes gratuites avec la meilleure culture de chaque quartier et des boissons pas chères. Il n’y avait aucun budget, aucune stratégie. Je faisais une fête avec tous mes potes, les galeries de street art, les bars, une boutique de fringues, les clubs, tout le monde était le bienvenu.” L’idée de valoriser les forces locales lui assure l’appui du voisinage. “C’est ce qui m’a attiré au Danemark, ce côté ville paisible, où tout le monde est copain. Le truc incroyable ici, c’est la manière dont les gens se font confiance entre eux.”

Du babyfoot avec les flics

Si Thomas est parvenu à décompartimenter les différents milieux culturels de la ville, c’était par hasard : « Ce concept de fête mobile, ça répondait à mon besoin, pas celui des gens. Je pensais à organiser la fête parfaite pour moi, et c’était pour faire la promo du journal. » Sauf que, peu à peu, toute la ville commence à se prendre au jeu. « Au bout d’un moment, de plus en plus de monde venait et on avait parfois 400 personnes dans une galerie qui pouvait en accueillir 50. Le Distortion commençait à déborder dans les rues. Et c’est là que c’est devenu magique : alors qu’on était au milieu de la rue, les flics, au lieu de nous faire circuler, disaient : Oh, c’est un peu dangereux avec les voitures, on va vous bloquer le trafic. »

Vingt ans plus tard, les policiers danois ne jouent plus au babyfoot avec les orgas mais ils ont parfaitement intégré le concept du Distortion. Malgré la foule impressionnante digne d’une Fête de la Musique à Paris, ils restent totalement zen, comme quand ils interviennent sans violence pour mettre fin à la seule bagarre aperçue dans les rues, devant le stage Red Bull. De l’autre côté des enceintes, Luniz, moitié de TNGHT avec Hudson Mohawke, fait ses étirements avant de monter sur scène pour une perf à base d’infrabasses qui fera jumper la jeunesse danoise et un gros contingent hexagonal, signe que la ville a désormais une belle réputation festive à l’international. À force d’entendre du français à tous les coins de rue, on se serait presque cru à Barcelone…

La soirée se terminera dans une boîte noire dégoulinante de sueur après le set techno de Charlotte de Witte, le Vega, qui dispute les meilleurs line-up électroniques de la ville aux clubs Rust et Culture Box, preuve de l’émulation qui règne à Copenhague, même si le public n’est pas aussi geek qu’à Amsterdam ou Paris. « On avait eu raison de dire que c’était une ville sous-estimée !, reprend Thomas. Toute une culture underground artistique a explosé entre 1998 et 2008. Beaucoup de gens du réseau d’origine ont explosé et sont devenus la meilleure galerie, le plus grand designer, les meilleurs DJ’s, et les premiers lieux sont devenus les phares de la nuit et de la vie culturelle de Copenhague. »

Street parties et techno tunnel

Les premières années de Distortion, on pouvait ainsi voir les futures stars danoises Trentemoller ou WhoMadeWho jammer dans les rues avec Chicks on Speed devant une centaine de personnes. Mais le DIY a ses limites, et en 2008, le festival est devenu trop gros pour que les autorités continuent de l’ignorer. Elles font passer le mot à Thomas, gentiment, à la danoise. « La police et la mairie sont venues me voir en disant, de façon supercool : ‘Thomas, ton projet est devenu vraiment grand, il faudrait que tu fasses des demandes maintenant, on ne peut pas faire des fêtes dans la rue comme ça.’ Ils m’ont appris à rédiger les demandes administratives, mais on avait une équipe de deux ou trois personnes. Donc j’ai laissé les autres le faire et en 2008, tout le monde pouvait organiser sa propre street party.»

Thomas et son équipe passent pro et il est désormais employé par la mairie pour monter l’évènement, qui s’étale du mardi au samedi, dans trois quartiers avant un festival « régulier » le weekend, le Distortion Ø, sur l’île de Refshaleøen, une ancienne zone industrialo-portuaire transformée en quartier branché avec ses terrasses au bord de l’eau, restos, bar à bières, murs d’escalade et food trucks sédentaires. C’est ici que le festival, suivant la tendance européenne, a pris le virage dance music, avec son labyrinthe d’une demi-douzaine de scènes, dont le fameux Techno Tunnel, un cube de conteneurs qui vibre toute la nuit à plus de 130 BPM. 

Si le programme est blindé d’artistes locaux, les têtes d’affiche internationales ont fait le travail avec l’Australien Mall Grab, qui a fait honneur à sa réputation avec un set d’abord funky avant de virer hypnotique, les Français d’Acid Arab, toujours aussi efficaces, DJ Okapi et sa fabuleuse sélection, ou Solomun, avec sa recette habituelle qui fait danser la sécu jusqu’au lever du soleil à 4 heures du matin… Vraiment étrange, surtout quand découvre que les appartements danois n’ont pas de volets, mais parfait pour l’after des Pachanga Boys le dimanche matin, après qu’Acid Pauli a été victime d’une coupure de courant, signe que le Distortion n’est pas encore une grosse machine bien huilée. Et c’est sans doute mieux ainsi.

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