Comment Rowjay est devenu le porte-étendard du rap québécois

Écrit par Jacques Simonian
Photo de couverture : ©DR
Le 21.12.2021, à 15h54
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Écrit par Jacques Simonian
Photo de couverture : ©DR
Depuis qu’il s’est lancé au début des années 2010, le Montréalais Rowjay a toujours occupé le rôle de passeur. Dans son ascension, en plus d’avoir développé un style et un son reconnaissable entre mille, le rappeur a sans cesse mis un point d’honneur à faire le trait d’union entre les scènes, qu’elles soient underground ou mainstream, et entre les gens, qu’ils viennent du Canada ou de la francophonie. Une ouverture clamée haut et fort dans son dernier album, Carnaval de Finesse 2 : Les Chroniques d’un Jeune Entrepreneur.

Chez Rowjay, autant pour l’homme que pour l’artiste, il y a des messages et une mentalité qui ne trompent pas. D’abord, proximité avec les États-Unis oblige, son « mindset » : à la façon des voisins américains, le Québécois a le sens de l’entertainment et du business, qu’il gère en totale indépendance. Mais attention, cette formule n’a pas pour unique but son enrichissement personnel, au contraire. C’est ce qu’il nous explique, accompagné par Elon du groupe NoKliché et son ingé son Roby, dans les locaux de Hotel Radio Paris où nous l’avons rencontré : « Si on fait les trucs tous ensemble, on gagnera tous ensemble. » Cette sorte de mantra, Jason Rosauri (dans le civil) la respecte scrupuleusement. La preuve, dans ses deux premiers projets, Stunnin’ et Stunnin’ 2, apparaissent des noms que l’on retrouve régulièrement dans toute sa discographie. Que ce soit les producteurs DoomX, Platinumwav ou Rami B — « un des grands absents de CDF2, avec Blasé » —, ou les rappeurs Tony Stone et Andrike$ Black.

Ne jamais changer son fusil d’épaule

Outre cette loyauté envers ses collaborateurs, le MC est resté fidèle à lui-même, à ses goûts, ainsi qu’aux thèmes qu’il explore dans ses morceaux. En 2014, lorsqu’il publiait Birth Of Rowjayzus — ses « vrais débuts », il précise —, tout était déjà là : l’influence du rap de Memphis, les samples, la trap, Rick Ross, Kanye West ou les références à l’univers Nintendo et aux jeux vidéo. Un capital culturel que ce « geek de hip-hop américain » a construit de toutes pièces et qui sert de base à ses lyrics. Dedans, il évoque le « hustle » et cette idée d’entreprendre, à laquelle il ajoute cette volonté de voir autre chose que le Québec. Concernant cette ouverture au monde, il développe : « C’est grâce à des morceaux commeSalope Du Quartier 2” et “Jeune Visionnaire 92’que j’ai commencé à avoir du public en France. Les mecs de Bon Gamin [ndlr ; Ichon, Myth Syzer, Loveni…] avec qui j’ai connecté sur Internet me repostaient souvent. »

S’il n’écoutait jusqu’ici qu’« un peu » de rap français — « Booba, Rohff, La Fouine, Joke, Or Noir de Kaaris ou Alpha 5.20 en tête » —, Rowjay va se rendre compte « qu’il se passe vraiment un truc dans l’hexagone » lorsqu’il va rencontrer le collectif Bon Gamin. Avec Loveni, il en profite pour croiser la rime sur son album suivant, A Trappin Ape (2015). Quand il pense à la façon dont il a découvert le Québécois, l’auteur de In Love (2021) se rappelle : « À cette époque, je reprenais en français le flow de Project Pat [ndlr ; membre de Three 6 Mafia]. Quand j’ai écouté Rowjay via Facebook, j’ai vu qu’il l’utilisait aussi et je me suis dit : “Putain, je ne suis pas le seul à le faire. Et avec son accent québécois en plus, c’est méga lourd !” Aussi, je me souviens d’un de ses titres, “Salope Du Quartier 2”, que je trouvais super chaud. En allant à Montréal pour un de nos concerts, quand on s’est capté, je lui ai dit : “Mec si tu fais un SDQ3, je suis dessus, tu n’as pas le choix”. Il existe d’ailleurs un remix ghettohouse, mais il n’est jamais sorti. » Après cette collaboration, les deux artistes se sont logiquement retrouvés : « J’étais très content qu’il m’invite sur son nouveau projet. Je l’ai toujours soutenu comme je pouvais, à ce moment ou pour un rappeur québécois en France… c’était impossible. »

Nouveau Casino, nouveaux horizons

Dans le sillage de Bon Gamin, Rowjay fait la connaissance d’un homme qui lui permet de traverser l’Atlantique. Cette connexion a été déterminante : « Mon gars Jay Breez avec qui je bosse encore était le manager de Jwles avant. Ils avaient un crew qui s’appelle La Table Ronde. Début 2016, ils ont organisé une soirée et m’ont invité en “headliner”, pour mon tout premier show à Paris. Ils savaient que j’avais un buzz ici, et on a pu faire un gros événement de 600/700 personnes. » Le Montréalais garde une affection particulière pour Jwles et sa team. Il le répétait pendant sa dernière parenthèse parisienne, à son concert au Sacré où ils étaient présents : « Sans eux, je n’aurais pas vu cette hype que j’avais ici. » 2016, c’est également l’année où sort Carnaval de Finesse, premier du nom. À sa parution en décembre, cet album jette les bases sur lesquelles il s’appuiera pour la suite. Il marque aussi le début d’une collaboration qui va compter pour Rowjay, celle avec le beatmaker montréalais Freakey!.

« Je connais Freakey! depuis qu’il a 14/15 ans, mais c’était un petit fou à cette époque , reprend le rappeur. Il faisait déjà des prods type Chicago et parlait même avec Chief Keef sur Twitter ; un truc de dingue ! Puis avec DoomX, on s’est mis à traîner avec lui. On a d’abord fait “Game Cube”, puis “Manoir, le premier single de Carnaval de Finesse. C’est là que le projet a pris un sens. » Avec ce morceau — « et “Kung Fu Margiela » —, Rowjay trouve une direction musicale qui confirme sa mue  : toujours très trap, mais avec des sons plus électroniques. Labélisé « Saint Yo Trap » par DoomX, poussé plus loin par un Freakey! inspiré et par le jeune français Platinumwav (protégé de Richie Beats), leur musique va atteindre de nouvelles sphères. En Belgique, Hamza est le premier à être séduit : « Il était venu à Montréal et on avait chillé ensemble. Quand j’ai drop Carnaval de Finesse, Hamza a voulu remixer Strip Club. On a fait une session studio, et je lui ai présenté DoomX et Freakey!. Depuis, ils bossent ensemble. »

« Hors Catégorie »

Adoubé sur ses terres à force de concerts et de feats, constamment en marge de l’industrie locale, Rowjay va frapper un grand coup. En direct du studio de Radar Radio à Londres, il « drop » son album suivant, Hors Catégorie, en janvier 2018 : « Avec ce disque, j’ai vraiment eu l’impression de maîtriser la formule. On a “step up” ! J’ai aussi essayé ce nouveau format 8 titres qui — comme la DA — a été pas mal copié. » Une initiative saluée par ses pairs et le public, puisque pour la release party française de Hors Catégorie organisée par le média Yard à La Machine du Moulin Rouge, 2400 personnes sont présentes. Sa musique gagne en ampleur, et à ses collaborateurs habituels vont venir se greffer de nouveaux artificiers : Di-Meh, Slimka, Mister V ou encore Alpha Wann — « on va dire que grâce à cet album, j’ai “plug” à un autre niveau ». Toujours dans cette logique de connecter les gens, il présente Freakey! à tous ceux qu’il croise, sans oublier les derniers venus, comme le beatmaker Demna, présent sur la mixtape Free CDF2 (août 2020).

Toutes ces spécificités misent bout à bout donnent Carnaval de Finesse 2 : Les Chroniques d’un Jeune Entrepreneur(décembre 2021), un dernier album que Rowjay a pris trois ans à faire. Véritable synthèse de sa carrière, ces 19 titres dévoilent toute la palette du Canadien, autant à l’aise sur du néo boom-bap (“Exercice de Finesse”), dans des morceaux-fleuves (“Cryptocurrency” ou “RIP Pimp C”), qu’avec le flow DMV (“Savoir Faire”). Ils montrent aussi un aspect plus personnel, peu exploité jusqu’ici, où il se livre sans secret (“Chasser mes Démons”). Là encore, les invités et les références se bousculent, notamment dans son feat avec Alpha Wann, “Devil May Cry” : « Le héros de ce jeu, Dante, est un vrai blanc qui se bat avec un flingue et une épée. Alpha, c’est le flingue, et Freakey! à mis des bruits d’épée dans le son ! Aussi, tu comprendras plus tard, mais je donne le nom de mon prochain projet dans une “line”. J’ai toujours fait ça. » En attendant de savoir, Rowjay prévoit déjà un CDF2 Deluxe.

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