Plus aboutie, mais plus risquée. Voilà, en substance, ce qui caractérisait cette seconde édition de NS Bruxelles. Après un coup d’essai prometteur mais perfectible – « on se jette toujours un peu à l’eau », avouait le coprogrammateur Baptiste Pinsard d’Arty Farty au sujet de la première édition – en 2017, le festival avait revu sa copie. Aux têtes d’affiche dans un lieu excentré – Rone, Laurent Garnier et The Hacker à Brussels Expo – succédaient cette année une programmation plus défricheuse, logée au cœur du Bruxelles arty, le palais Bozar. Un lieu institutionnel, certes, mais déjà bien connu des noctambules grâce au festival Bozar Electronic, dont le programmateur Roel Vanhoeck cosignait l’affiche de NS. Objectif : mettre à l’honneur la scène locale et proposer une programmation à l’image de la scène bruxelloise – émergente et bourrée de talent.
Pari réussi avec le parcours The Loop du vendredi soir. De l’insubmersible Ancienne Belgique, à l’ancienne brasserie BRASS et au centre d’art branché Beursschouwburg, où le beatmaker en vogue Le Motel partageait la scène avec l’artiste footwork DJ Taye (Hyperdub), le public ne cachait pas son plaisir devant cette déferlante de concerts gratuits. Gros succès, notamment, de la release party du duo chilien de Nova Materia, Belges d’adoption puisque le navire amiral Crammed Discs signe leur nouvel album. Même des propositions plus ardues, comme le délirant Meneo, sautillant sur scène en onesie bariolé en claquant des reprises 8-bit du thème de Super Mario ou de « Freed from Desire » sur sa Game Boy, rencontraient un franc succès. À mesure que la nuit avançait, le public finit tout de même par se ranger derrière une formule plus éprouvée en convergeant vers le palais de la Dynastie, grande bâtisse de pierre angulaire au petit air de Berghain, bâti pour l’exposition universelle de 1958, investi par le collectif phare Under My Garage. Josey Rebelle y livrait un set techno et acid bien plus dur qu’à l’habitude, devant un parterre qui ne demandait que ça, prêt à endurer pour la peine le rendu approximatif d’un sound-system crachotant sur les basses.
Ambient en bonnet de bain et punch maison
Le lendemain, place aux Extra!. Là où l’édition lyonnaise a additionné les événements au fil des années, l’équipe misait ici sur une formule concentrée où les activités se comptaient sur les doigts d’une main. L’esprit, lui, était résolument bruxellois : détendu, alternatif et légèrement décalé. Sur les coups de 15H, on pouvait ainsi assister à d’étonnants live ambient diffusés sur des enceintes subaquatiques à la piscine couverte des Bains du Centre, à deux pas des puces des Marolles. À l’entrée, on troque ses chaussures contre d’élégants sacs en plastique bleu et on se laisse porter par les nappes de Devon Loch jouant du saxophone et des pédales à effet en maillot devant la vingtaine de têtes flottant dans le grand bassin. Du côté de Molenbeek, on découvre un fabuleux jardin abrité par une école-monastère en friche, devenu la résidence d’artistes autogérée Kispas. Profitant d’un soleil bruxellois radieux (oui, vous avez bien lu), on s’y prélasse un verre de punch maison à la main, assistant à un DJ set suivi d’un solo de danse contemporaine. Le pied. La déco tout en fanions, guirlandes et tissus bariolés est signée Oh My Garden, collectif et coorganisateur qui s’invite depuis 2011 dans les plus beaux jardins planqués de la ville. Dernière escale du côté du Parc Royal, où la jeune webradio Kiosk Radio ne tient pas toutes ses promesses, puisqu’en dépit de sa mention dans la programmation [off], elle n’a rien organisé en plus de ses émissions hebdomadaires. On ira donc plutôt voir du côté de sa voisine la Guinguette Royale, où les DJ’s ambiancent la terrasse sur une note hip-hop.
Arrive enfin le plat de résistance : la nuit à Bozar. La plus ancienne maison des arts de Belgique ouvre ses portes à 19 heures pétantes, mais les choses sérieuses commencent à 20h30, où il ne fallait pas louper le prometteur Strapontin et sa dance music tortueuse – sans aucun doute l’un des DJ’s belges à suivre de près en 2019. Dans la salle principale, le grand auditorium Henry Leboeuf converti pour la première fois en dancefloor, Detroit Swindle livre un set efficace mais sans surprises. Ils en ont pour 2 heures, tant mieux : cela laisse un peu de temps pour explorer le Palais et repérer les six (!) scènes de la soirée.
Sur le papier, le lieu semblerait se prêter tout particulièrement à une rave grand format, avec ses 8 000 m² et ses dizaines de salles et galeries, autant de coins sombres et d’espaces chill potentiels. Sur place, le constat est en mi-teinte : si l’architecture art nouveau du bâtiment en impose, on passe un peu trop de temps en transit, à arpenter de larges couloirs trop éclairés pour rallier telle ou telle scène. L’immersion en pâtit forcément. Les idées claires, on passe se déhancher sur le puissant concert des Amazones d’Afrique dans la salle Terarken, de plus petit format, avant de se mettre à la recherche de The Studio, où l’on nous a promis une claque avec Céline Gillain.
On repère la porte qui mène à cette scène dérobée. Dans un petit auditorium plongé dans la pénombre, la jeune femme se tient déjà au centre de la scène, seule, assistée d’un set-up rudimentaire de quelques synthés et d’un micro. Pas de place pour danser, tout le monde s’assied face à elle, fauteuils rouges dans le noir. Céline Gillain chante des airs faussement candides sur des compos entre techno épurée et trip-hop métallique. Le surréalisme prend instantanément, on se croirait dans une scène coupée de Mullholand Drive. Ça dure 30 minutes : intense, élégant et post-punk. On note d’une grande croix la sortie de son album Bad Woman en décembre 2018 sur notre agenda, et on file voir la fin de Mehmet Aslan dans la halle Horta, dont la grande verrière surplombe un dancefloor clairsemé (et un peu trop éclairé, encore). Le live de Die Orangen, l’insaisissable duo signé sur Malka Tuti, lui succède. Il est minuit, et la piste commence (très) lentement à se remplir. Certes, la soirée commence et finit tôt (3h30 du matin, suivi d’un afterparty au C12), mais pour 25€ et cette qualité de plateau, on s’attendait à voir un peu plus de monde. Die Orangen parviendra à capter une bonne partie de la foule avec un set à combustion lente, psychédélique et tribal.
Dans la salle principale, Lil Louis envoie la sauce, mais nous ne sommes pas venus réviser nos classiques. On file à la salle Terarken, où le Portugais Batida présente son mystérieux show « The Almost Perfect DJ », dont on ne dira rien pour ne pas gâcher la surprise, si ce n’est que ce fut LA révélation du festival (un article dédié au bonhomme est à lire dans Trax 216), et que l’on y a vu un mannequin taille humaine, d’incroyables danseurs, des sifflets et des pastéis de nata. Et une bonne dose de kuduro, de quoi donner le ton pour le grand costaud de Príncipe, DJ Nigga Fox, qui lui succède. La techno breakée d’Or:la résonne désormais dans la salle principale, les lights fonctionnent à plein régime (mention spéciale à l’esthétique old school très réussie, avec ses lasers verts qui fusent de partout), l’ambiance commence à bien se réchauffer. Les premiers groupes prennent le chemin de l’after au C12, le nouveau chouchou des clubbers bruxellois. Après un set du résident Kafim, les rennes sont confiés à l’excellent Zadig qui enchaîne pour 4 heures de pure techno, énergique et maîtrisée. C’est là que l’on retrouvera enfin la pénombre rassurante qui faisait défaut à Bozar, et les danseurs se laissent aller, jusqu’au bout de la nuit.
En jouant la carte de la finesse plutôt que celle des têtes d’affiche, Nuits sonores semble avoir trouvé son cap à Bruxelles. Malgré un samedi soir dont l’on soupçonne la fréquentation inférieure aux attentes – on lui aurait souhaité le succès des concerts gratuits de la veille –, le festival anticipe la montée en puissance de la musique électronique dans la capitale, et l’exigence croissante du public qui l’accompagne. Une formule gagnante ? Réponse aux prochaines éditions.
Nuits Sonores jouera à domicile du 28 mai au 2 juin 2019 en compagnie de James Blake, Maceo Plex, Bonobo, Chilly Gonzales. Les places pour l’édition lyonnaise sont d’ores et déjà disponibles ici.