S’il fallait choisir un mot pour qualifier le parcours de Nu Guinea, ce serait sans doute « virage ». Le duo italien, composé de Massimo di Lena et Lucio Aquilina, aurait en effet pu s’en tenir à la carrière-type de la plupart des artistes techno/house prometteurs de la fin des années 2000 : s’adapter aux nouvelles tendances, produire des hymnes de warehouses et jouer dans les clubs du monde entier. Un destin qui, vraisemblablement, ne leur correspondait pas.
Originaires de Naples, les deux hommes rencontrent d’abord le succès séparément, officiant au sein de labels comme Spectral Sound ou Cocoon avant de commencer à collaborer. « On était les deux jeunes qui jouaient partout », se remémorent-ils d’un air amusé. Mais très vite, raconte Massimo, le duo prend ses distances vis-à-vis d’une scène gangrénée par des règles absurdes où, selon eux, « l’esthétique primait sur la musique ».
« Au début, on faisait du downbeat à la J Dilla ou Dam-Funk qui, rétrospectivement, sonnait un peu comme des bandes-son de films érotiques », s’amuse Lucio. C’est donc au bout d’un long cheminement et avec la création du label Early Sounds en 2012 que Nu Guinea naît officiellement. S’installant en collocation à Berlin, le duo se met alors à produire des morceaux mêlant house, disco, funk et world music.
« Si on en reste au disco-funk stéréotypé », confesse Massimo, « on finit par toujours faire la même chose ». Fasciné par le boogie américain, mais aussi la musique nigériane ou les poly-rythmes cubains, le groupe se garde bien d’enfermer ces styles dans une image figée. « Notre but est d’aller au-delà de ça en partant des niches » afin de « comprendre l’histoire et le sens des morceaux dont on s’inspire », explique Lucio. En conséquences de cette démarche quasi-anthropologique, le groupe s’astreint à une recherche perpétuelle de styles ou de patterns musicaux méconnus. Pour autant, ce changement de style ne correspond pas à une sortie de route, et si les deux hommes ont « vite compris qu’[ils préféraient] le dancefloor traditionnel avec un batteur », leur passé techno continue de les inspirer. Au fond, ce qui, fait lien entre tous les styles de dance-music, expliquent-ils, c’est ce concept de « boucle répétitive », que cette dernière soit électronique ou acoustique.
Conçu comme la métaphore de ce syncrétisme musical, le nom du groupe ne désigne donc pas un lieu spécifique, mais vise à évoquer une forme « d’onirisme exotique », un “ailleurs” abstrait présent au coeur des premiers projets que sont l’EP World (2015) et, la même année, The Tony Allen Experiments. Mais au-delà de l’ailleurs, le groupe tenait également à se ré-approprier l’ici, c’est à dire le patrimoine de sa région d’origine : Naples. Le projet se réalise en 2018 avec la sortie du premier volume de Napoli Segreta, compilation de titres provenant de « la scène cachée de Naples ». Le duo cite en exemple le groupe Tonica Y Dominante, dont le titre “Cicogna” incarne le mélange typique entre disco américaine et une « funk napolitaine » dont la spécificité réside dans une technique de chant privilégiant la mélodie sur le rythme et une orchestration moins « maximaliste » que les productions américaines.
À propos de l’album Nuova Napoli, sorti la même année, le duo a tenu « à respecter les musiciens dont on s’inspirait afin que l’auditeur ait l’impression d’être à Naples dans les années 70 en l’écoutant. ». Un projet dont, pour le groupe, le maître mot est “contraste”. Entre joie (“Disco sole”), nostalgie (“Ddoje Facce”) et rêverie (“Nuova Napoli”), ce disque savamment orchestré, au son homogène et rythmé navigue entre des ambiances nuancées, presque contradictoires. Symbolisant cette réunion des contraires, “Je Vulesse” allie un arrangement disco ultra-dansant organisé autour d’une mélodie rappelant le mandolino amalfitain avec un poème d’Eduardo de Filippo qui, écrit en dialecte napolitain pose la question de savoir « comment trouver la paix sans mourir, au coeur du chaos ». Pour Nu Guinea, le principal objectif était donc de produire un album à la fois « simple à comprendre » et musicalement accessible tout en évitant les paroles superficielles qui, parfois, peuvent rendre la disco cheesy.
Si l’album a intégralement été réalisé en post-production à partir d’enregistrements d’instruments séparés et de bout de jam sessions enregistrées entre Naples et Berlin, tout dans ce disque sonne live. Une prouesse technique rendue possible par un an et demi de travail acharné. Afin d’obtenir un son le plus naturel possible, le groupe à notamment fait le choix de conserver des pistes comportant ce qui, pour certains, pourrait s’apparenter à des imperfections comme, sur l’un des morceaux, les cris d’un batteur un peu excité. « Je ne sais pas comment on a réussi, mais ça a fonctionné », résume Lucio en riant.
Recréer cette énergie en live, tel était le grand challenge de Massimo et Lucio qui, auparavant, ne montaient sur scène qu’en tant que DJs. Le groupe explique d’ailleurs avoir longuement hésité avant de se lancer dans une aventure qui, il y a quelques mois, était « totalement nouvelle » pour eux. « En studio », ironise Massimo,« tu peux corriger, effacer. En live, ce n’est pas possible ». Pour retranscrire le son de Nuova Napoli, il a donc fallu se mettre à niveau, étudier le piano et, surtout, apprendre à jouer au sein d’un groupe. Pour éviter l’anarchie, le groupe a fixé des règles permettant de « laisser une marge d’improvisation aux musiciens tout en respectant la structure et le son des morceaux. »
Et les efforts ont payé. C’est en effet à guichets fermés que, les 17 et 18 mars dernier, le groupe investissait le New Morning pour deux concerts marqués par la chaleur du public et un incident technique mineur : « un verre de pastis renversé sur une prise électrique » le premier soir. Le groupe sera également à l’affiche de Nuits sonores et We Love Green, mais également du Radio Meuh Circus festival aux cotés des italiens de Marvin and Guy et des turcs d’Altin Gün, formation exerçant une influence importante sur le groupe de par un projet analogue : redonner vie au rock psychédélique anatolien des années 70.
Malgré ce programme chargé, et pas de nouvel album prévu pour l’instant, le groupe entend bien satisfaire son public, annonçant de nouveaux singles et, prochainement, le second volume de Napoli Segreta. « On pourrait faire un album à l’arrache mais on préfère être entièrement satisfait de ce qu’on propose », concluent-ils en coeur.