Cet article est tiré du TRAX#212 « Rave Générale | Quand la jeunesse monte le son ! », disponible ici.
Par Argyro Barata et Nikos Giassakis
Aux prises avec la crise économique et migratoire, la Grèce fait régulièrement les gros titres, souvent pour les mauvaises raisons. Mesures d’austérité drastiques sous prétexte d’une faillite planifiée, taux de chômage élevé chez les jeunes, packages « d’aide financière » : voilà ce qui vient à l’esprit lorsqu’on parle de notre pays à l’étranger. Pourtant, une nouvelle énergie émerge derrière ce sombre tableau. À Thessalonique, vibrante ville du Nord, métropole contrastée des Balkans et melting-pot de cultures depuis des siècles, on assiste à cette réinvention de l’intérieur. Quelles sont les conséquences de dix années de tourmente chez les Thessaloniciens ? Une résilience constante, des projets participatifs et de nouveaux espaces artistiques qui ont transformé et continuent de transformer la ville.
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L’une des caractéristiques de la scène de Thessalonique est une musique et des expressions artistiques venues de « l’underground », pratiquées par une jeunesse éduquée et ouverte sur le monde. Très souvent, ces initiatives émergent d’un désir combiné de solidarité globale et de volonté personnelle d’impact social. Le réalisateur Marios Ermitikos Spyroglou, par exemple, a fondé un groupe d’activisme par la culture pour exprimer, par l’humour et la symbolique, l’urgence d’un changement de système. Au départ, son groupe occupait juste un bus avec des instruments de musique en guise d’« armes », le convertissant en club pour protester contre le manque de transports publics de nuit. Aujourd’hui, ses actions – toujours entre humour et solidarité – sont suivies par des milliers de jeunes. « L’Histoire nous a montré qu’il suffit d’une personne pour créer un changement. Voilà ce qui me donne de l’espoir. » Parallèlement, un ensemble de petits espaces gérés par des collectifs a ouvert dans des bâtiments inusités aux loyers dérisoires. La création artistique y prospère en toute indépendance, dans un esprit de communauté. Ce type de projets investit aussi de grands espaces, dynamisés par les festivals d’art dont la popularité croissante semblait inenvisageable il y a quelques années.
Reworks a contribué à cet épanouissement culturel. Dès les premières années, nous avons créé un événement qui tire profit et s’inscrit dans son environnement urbain. En 2017, le nombre de visiteurs croissant d’année en année, le festival a déplacé l’un de ses évènements principaux vers un site plus grand. La brasserie « FIX », un bâtiment symbolique de l’histoire et de l’architecture de la ville, est devenue un point de rassemblement pour les Thessaloniciens et des milliers de visiteurs venus de Grèce et du monde entier. Dans d’autres villes, des festivals et projets émergents ont suivi l’exemple de Reworks.
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En explorant un large spectre de pratiques artistiques, ces évènements sont parvenus à trouver leur propre singularité dans leurs villes, et à investir des espaces similaires, dans une interaction culturelle réciproque avec la cité. Cela motive et inspire de nouveaux artistes, qui y gagnent aussi en visibilité. Plus de 500 artistes grecs sont passés par exemple à Reworks depuis sa création. Ils représentent aujourd’hui 50 % de sa programmation. Le projet « Resound/Echoes of Thessaloniki » est lui un appel ouvert du festival aux compositeurs et producteurs afin de créer une bande-son pour la ville à partir d’enregistrements bruts – effectués sous la supervision du duo local Tendts – de plusieurs lieux et ambiances caractéristiques de Thessalonique. Le nombre de contributions a dépassé nos espérances et douze de ces artistes se sont produits au festival en septembre. C’est à nouveau là une chance pour les jeunes talents de s’inspirer de leur ville, et de se produire dans des espaces publics autrefois abandonnés, contribuant en retour, de façon claire et directe, à l’évolution de l’identité culturelle de Thessalonique.
Ce dynamisme culturel a donné un nouvel élan à la zone ouest de la ville. Ses bâtiments décrépits ont pu être réhabilités, la rénovation de la porte ouest, ainsi que les plans pour le musée juif et les nouveaux lieux culturels tels le Labattoir, contribue à la renaissance globale de la ville. De manière générale, cette nouvelle identité culturelle repose sur deux conditions essentielles : une scène locale dont la production peut être diffusée à l’étranger, et l’intérêt du grand public. L’accès à des financements publics et privés, l’exploitation d’infrastructures économiquement abordables et dotées d’équipements high-tech sont d’autres besoins primordiaux. Chacun conviendra que ce n’est pas le cas à Thessalonique, mais la ville possède de nombreuses autres facettes à explorer, et c’est ce qui en fait une destination particulièrement excitante.
Argyro Barata est la curatrice du Reworks Agora, le forum de réflexion du festival Reworks Festival, qui promeut le développement des industries culturelles à Thessalonique. Nikos Giassakis est directeur artistique du festival Reworks. Pour plus d’informations, rendez-vous ici.