Il avait fait parler de lui dans la première partie de la décennie, avec ses EP’s acidulés sortis sur les tremplins Innervisions et Diynamic. Un pied dans l’exploration, David August avait été auréolé pour ses performances sur scène et même installé au pied du podium des meilleurs lives en 2014 et 2015 par le site Resident Advisor. Faute de pouvoir prouver ses bonnes intentions, le natif de Hambourg a longtemps été comparé — non sans erreur — à un Nicolas Jaar trop inspirant. Au point de sonner comme le producteur new-yorkais, diront ses détracteurs. C’est oublier l’approche toute en réflexions et remises en question de celui qui a, depuis, posé ses valises à Berlin. Après les leçons d’écoutes et les cours du prestigieux Tonmeister, David August revient le 5 octobre prochain avec son troisième album, D’Angelo. Fruit de deux années de recherches sur son identité, tenu à l’écart des clubs, ce long-format vient dans le sillage de la création de son label, 99Chants. Enquête sur les origines italiennes d’un revenant qui n’a jamais disparu.
Tu es resté éloigné des studios pendant un petit moment. Et tu en es déjà à deux albums pour l’année 2018… Tu as eu besoin d’un moment de respiration ?
Je voulais générer de nouvelles inspirations et être en mesure de construire une nouvelle histoire qui vaudrait le coup d’être racontée. Jusqu’à ce que je prenne ce break, j’ai fini par penser que je me répétais trop. Et puis, il y avait toutes ces idées, toute cette musique que je voulais explorer. Beaucoup de choses s’accumulaient dans ma tête et j’avais besoin de temps pour les élaborer. Les deux albums [D’Angelo et DCXXXIX A.C., ndlr] sont connectés les uns aux autres parce qu’ils viennent de la même source d’inspiration. De nombreuses questions sur mon identité me sont apparues ces deux dernières années, comme beaucoup de monde à mon âge, je suppose. J’essayais de trouver une réponse à la même question — « qu’est-ce qui compte vraiment ? » — pour pouvoir l’incorporer dans ma musique. Et il s’avère que ce sont mes origines italiennes. Elles ont toujours été présentes dès l’enfance, dans un coin de ma tête, mais je ne les avais jamais utilisées dans mon processus créatif jusqu’à présent. Derrière ça, il y avait une vraie quête de vérité : ça peut sonner naïf, mais je cherchais la vérité à propos de moi-même.
Tu es surtout aussi un pur produit allemand. Tu es né à Hambourg et tu vis à Berlin… Comment ces deux villes peuvent-elles toujours avoir un impact sur ce que tu fais aujourd’hui, malgré cette considération de tes origines italiennes ?
Inconsciemment, ce genre d’inspirations est toujours présent, vois-tu. Surtout Berlin, où je vis depuis huit années maintenant. C’est une ville tellement ouverte, les gens semblent surtout apprécier leur vie ici… Cette atmosphère est tellement inspirante ! Et puis après avoir terminé les cours à Tonmeister, mon quotidien a changé du tout au tout cette année : j’ai du réapprendre à jouer un live, produire deux albums… Ces derniers mois ont été intenses. Cet été j’ai joué dans quelques festivals pour faire écouter l’album avant qu’il ne sorte en octobre et avant que je parte en tournée dans la foulée.
Est-ce que le David August version DJ te manque ?
Pour l’instant, pas vraiment je dois dire… Après tout ce temps passé sur l’album, le jouer en live est très important pour moi. C’est ma priorité : raconter cette histoire sur scène. Je pense qu’ensuite, je vais commencer à vouloir revenir jouer en club pour des DJ sets. Mais je ne veux plus jouer de lives en club, ce n’est pas une bonne chose. C’est comme être enfermé dans une cage. Les gens viennent pour s’amuser en club, et moi-aussi. Ce n’est pas un endroit prompt à l’exploration parce que s’il n’y a pas de beats pendant plus de dix minutes, ça devient compliqué.
Est-ce que les sonorités des clubs influencent encore ta musique ?
Oui, évidemment. La musique que je produis avec ces deux albums n’est pas basée sur le clubbing. Mais c’est toujours présent en moi, et je suis toujours autant fasciné par cette musique. C’est une expérience tellement physique d’aller en club. Les concerts sont plus des expériences mentales, je pense. Après, évidemment, si tu vas à un concert de heavy metal ce sera peut-être l’expérience la plus physique que tu pourras avoir ! Mais généralement c’est plus réservée à des soirées en club. Aujourd’hui je recherche quelque chose de différent.
Dans le passé, tu as eu beaucoup de comparaisons avec Nicolas Jaar. Beaucoup n’étaient pas fondées, mais certains sons de D’Angelo, comme « Narciso » par exemple, auraient pu être joués par Jaar pendant la période Darkside… Est-ce qu’il a été une influence pendant que tu composais l’album ?
À vrai dire, je ne pensais à aucune musique précisément pendant que je composais D’Angelo. Je me suis référé à beaucoup d’artistes italiens et aussi à ceux de la scène Krautrock de Berlin dans les années 60-70, que j’ai découvert il y a quatre ans. Ash Ra Tempel, Tangerine Dream et toutes ces personnes qui partageaient une approche psychédélique de la musique. J’étais fasciné par comment la société peut être inspirée par le passé. Peut-être que nous partageons des similarités [avec Nicolas Jaar], mais ce n’est pas un manque d’originalité je pense. Il y a eu un tweet marrant de Kanye West à propos de son obsession pour l’originalité : il interpelait un gars à propos d’une musique qui ressemblait à l’une des siennes. Au fil des tweets, il s’est rendu compte que le morceau qui ressemblait au morceau qu’il avait produit venait en fait d’un sample qu’il avait déjà pris de quelque d’autre… La culture évolue en développant ce qui s’est passé avant ; et la plupart du temps les gens ne savent même pas d’où peut venir leur inspiration.
À propos du morceau « Elysian Field », quelque chose de vraiment différent se passe dans celui-là…
L’histoire d’« Elysian Field » est liée à celle du morceau précédant, « The Life Of Merisi ». Merisi est le prénom du Caravage [l’un des plus grands peintres milanais du XVIe siècle, ndlr]. Je me suis mis en tête de retracer sa vie en musique, et me suis pris d’obsession pour lui, parce qu’il était passionné par la vérité. Bien qu’il travaillait pour l’Église, il a voulu peindre le monde comme il le voyait, réel, et pas seulement de manière divine contrairement à ce que voulait Rome. Il a dû passer la plupart de sa vie en fuite : dans les rues de Rome, il a tué quelqu’un par accident et a été contraint de partir pour échapper à la décapitation. Sa vie malheureuse s’est achevée en mourant en mer au large de Malte. J’ai voulu mettre en musique sa vie caractérisée par la peur et l’exil. À la suite de ce morceau, arrive « Elysian Field », en référence aux Champs Élysées, l’endroit [dans la mythologie grecque, ndlr] où les héros se retrouvent après leur mort. Après tout ce qui lui est arrivé, je voulais lui donner une mort digne.
Le morceau qui ouvre l’album, « Narciso », est aussi une référence empruntée à la mythologie…
C’est le morceau qui m’a pris le plus de temps. Pas forcément qu’il soit plus compliqué que les autres, mais j’avais cette idée de mettre le coeur de l’album dans le premier titre. Il devait concentrer tous les ingrédients de l’album de manière microscopique. Je m’intéresse dans « Narciso » au tableau éponyme du Caravage, qui prend tout son sens dans notre époque. Il y a un moment où le rythme s’effondre dans le morceau, et pour moi c’est comme Narcisse qui s’effondre contre l’eau parce qu’il se regarde trop. En fond, il y a cette parole qui dit « With the mirror on the wall, this is how the fall » [Le miroir contre le mur, c’est là qu’ils tombèrent, en anglais]. C’est ma prédiction pour la société actuelle. Tu vois, derrière chaque moment se cachent beaucoup d’informations. Tout est placé très consciemment. On peut entendre mon souffle aussi dans le morceau. Ce son vient d’une vidéo de mon frère et moi prise par ma mère quand nous étions petits. Ce son se mêle dans une chorale du village de ma mère en Italie. Il y a également le bruit d’une cloche de l’église qui fait face à sa maison natale. Dans tout l’album, je fais beaucoup de références à Giovanni Pierluigi da Palestrina, l’un des grands compositeurs de la Renaissance dont le nom vient de la petite ville dans lequel ma mère a grandi.
Comment as-tu redécouvert toutes ces inspirations qui viennent de tes origines italiennes ?
Depuis mes dix ans, j’ai baigné dans tout cet environnement artistique, toutes ces peintures que ma mère m’a montrées. Tout m’est revenu assez vite quand j’ai décidé de me replonger dedans pour composer D’Angelo. Je suis allé en Italie pour m’y perdre. La première session d’écriture de l’album était à Florence, la ville où Botticelli, Michel-Ange et Giotto ont appris et se sont inspirés. Après je suis allé à Palestrina pour ces recherches et c’est de retour à Berlin que tout m’a transcendé et que j’ai vraiment pu accoucher l’album.
Tu viens de créer ton label 99Chants, sur lequel tu as sorti l’album DCXXXIX A.C. au début de l’année… Comment va ta maison de disque ?
C’est un projet de vie. Tout est venu de la Divine Comédie [chef d’oeuvre de la littérature et de la poésie médiévales] de Dante, qui a dessiné sa vie en 100 chants différents. Il y a un chant introductif au début et le reste de l’oeuvre est composé en trois parties : l’enfer, le purgatoire et le paradis, avec 33 chants par chapitre. Je me suis senti tellement connecté à cette histoire qu’il m’a semblé logique de me lancer dans un tel projet. La seule chose qui m’a gêné c’était le chiffre « 100 », qui m’apparaissait trop complet, trop fini. En appelant le label « 99Chants », je laissait le projet incomplet, avec plus de questions ouvertes. À la base D’Angelo devait en être la deuxième sortie, mais après l’avoir écouté terminé, nous avons décidé qu’il fallait trouver une maison de disque qui pourrait fournir à cet album une plus large audience. 99Chants restera un label de niche, moins accessible, mais où tous les styles seront représentés. Évidemment, l’une des intentions de ce projet est d’orienter le public vers de jeunes artistes : la prochaine sortie devrait être l’album d’un jeune de vingt ans qui vient de Bristol par exemple. Même si je ne me considère pas comme particulièrement âgé, il est important de les accompagner dans leur parcours, en les laissant s’appuyer sur mon expérience du milieu. C’est rendre ce dont j’ai profité quand j’étais un peu plus jeune.
D’Angelo sort le 5 octobre chez PIAS. David August sera en concert à Lyon (Le Transbordeur) le 31 octobre, à Paris le 6 novembre au Trianon et à l’Élysée Montmartre le 15 novembre, à Reims (La Cartonnerie) le 9 novembre prochains. Plus d’informations sur la page Facebook de l’artiste.
Aujourd’hui 7 septembre, l’artiste a publié l’un des morceaux de l’album à venir, sur soundcloud.