Lors de sa présentation à Cannes, Le Monde est à toi, nouveau film de Romain Gavras, avait autant fait parler de lui pour ses acteurs, sa mise en scène et son réalisateur que pour sa bande originale, pour le coup vraiment originale. Connu principalement pour ses nombreux clips réalisés pour Justice, M.I.A., ou Jay-Z & Kanye West, Romain Gavras est devenu une figure majeure de la pop culture made in France. Membre fondateur du collectif Kourtrajmé avec Kim Chapiron, il a fait ses armes sur des formats courts, avant de passer aux long-métrages avec son premier film, Notre jour viendra, sorti en 2010. SebastiAn était déjà aux manettes de la bande originale de ce film. Il avait composé les 13 morceaux originaux qui accompagnaient Vincent Cassel et Olivier Barthelemy dans leur road trip initiatique. Sur ce nouveau long métrage, son travail a été bien différent puisqu’il a dû travailler sur une bande originale déjà pleine de morceaux populaires choisis par le réalisateur. En compagnie de Jamie XX, il a donc composé la trame liant tous ces morceaux les uns aux autres avec la plus grande cohérence.
Il y a assez peu de musiques originales dans ce film, quel a été ton travail sur cette BO ?
C’est vrai qu’on n’a pas vraiment fait une BO finalement, on a surtout accompagné ce qu’il y avait de fort dans le film. Musicalement, Romain a un peu francisé la démarche de mecs comme Scorsese. Donc à la place d’un Rolling Stones, il met l’équivalent français. Romain avait des idées précises de morceaux qui accompagnaient bien le personnage et nous on a fait un travail de lien entre tout ça. C’est plus un travail de score qu’un travail de composition de BO.
C’est Romain qui a choisi tous les morceaux ?
Romain avait déjà tout choisi quand je suis arrivé dans le projet. Mais l’ouverture de Sardou c’est un morceau qu’on traine depuis des plombes et qu’on aime beaucoup. Je crois que c’est Kavinsky qui l’avait ramené une fois en soirée avec nous et c’est resté. J’ai l’impression que ça fait des années qu’il ne sait pas où le placer et là il a enfin trouvé et c’est parfait ! Il ne s’est pas dit qu’il allait faire une BO de film, il a juste choisi les morceaux qui collaient le plus aux scènes. Le film se veut semi-réaliste donc on n’allait pas faire un faux morceau de PNL pour que les mecs l’écoutent dans leur bagnole, ça aurait sonné faux. Il fallait juste mettre PNL.
Les morceaux qu’il a choisis sont des morceaux qui te parlent à toi ?
Ce sont des morceaux qui nous font marrer, mais aucun n’est utilisé de manière ironique. Tu peux trouver ça drôle de foutre un Sardou en ouverture mais en fait c’est un morceau qu’on aime vraiment. C’est un peu le patrimoine. Dans un film français ça aurait été absurde de foutre un gros morceau ricain juste pour faire les ricains alors que le propos du film c’est l’inverse. Le film s’appelle Le Monde est à toi, en français, ce n’est pas du tout le rêve américain. C’est même l’inverse, c’est le rêve français. Dans le film, le mec veut juste se poser dans son pavillon, il veut vivre normalement. C’est l’antithèse du film américain où le héros veut une énorme baraque et une grosse bagnole.
Tu avais déjà composé la BO de son premier film, quelle est ta relation avec Romain Gavras ?
C’est un ami. Je crois que je l’ai connu au moment où les Justice l’ont appelé pour “Stress“. Ils ont vraiment commencé à travailler ensemble, puis lui les a suivis sur la tournée. J’étais proche de Mehdi (Dj Mehdi) et lui aussi, donc ça s’est fait comme ça.
Donc ça s’est fait naturellement cette nouvelle collaboration ?
Ça s’est fait vraiment comme un truc de potes. Si t’as un problème de plomberie, t’appelles ton pote plombier. On est amis, il savait que je pourrais travailler vite sur son film, ça s’est fait assez simplement. Il avait déjà commencé son film, Jamie XX avait déjà mis quelques bases sur la BO, et ensuite il m’a appelé pour que j’ajoute des passages un peu plus costauds et énervés.
Vous avez travaillé ensemble ensuite ?
Je ne sais pas exactement à quel moment Jamie a commencé mais quand il m’a appelé il avait déjà travaillé des bases, des nappes. Ensuite il y a eu du répondant mais on ne s’est pas mis tous les deux en studio ensemble. On proposait chacun des idées à Romain et on affinait à partir de ses réactions.
Pour Notre jour viendra, tu avais composé la BO en intégralité, tu n’as pas été frustré d’avoir moins de travail cette fois-ci ?
Non pas du tout, c’est juste un exercice très différent. Cette fois-ci j’ai plus travaillé par petit bout, en reprenant des choses déjà faites, en faisant des liens entre les morceaux. J’ai aussi pris des morceaux de Jamie pour les fondre dans les miens et ainsi faire en sorte que tout fonctionne sur la longueur.
Les deux films ont aussi une ambiance très différente.
On sent qu’il est plus jeune sur le premier, c’est un peu plus dépressif. Mais quand tu vois le deuxième ensuite, je trouve que ça prend tout son sens. Romain est en train de construire une œuvre assez cohérente et je pense que son travail va vraiment être de mieux en mieux. Je vais pas faire le mec qui dit « j’y croyais dès le départ », mais depuis le début je pense que c’est un mec qui ne fait que s’améliorer. Et à chaque saut y’a un vrai saut donc j’ai déjà hâte de voir le prochain.
Au niveau de la composition, qu’est-ce qui a changé pour toi entre les deux films ?
Pour Notre Jour Viendra j’avais tout fait à l’ordinateur. Je ne savais pas qu’on pouvait demander des sessions d’enregistrement avec des instrumentistes, donc j’avais fait exprès de reconstituer des fausses erreurs dans les parties de piano pour faire comme si c’était des vrais musiciens. À l’époque, les instruments sur ordinateurs n’étaient pas aussi perfectionnés qu’aujourd’hui. Sur Le Monde est à toi les trois quarts des trucs sont fait à l’ordinateur mais c’est beaucoup plus simple avec la qualité des logiciels.
C’est ta troisième bande originale, quel est ton rapport au cinéma ?
Je ne suis pas un vrai passionné de cinéma. Franchement, je matte des films comme tout le monde, beaucoup de merdes malheureusement. J’ai eu une période étant jeune où j’essayais de voir plein de trucs pour avoir des références et pouvoir dire « oui oui j’adore le cinéma ». Mais en réalité je suis comme tout le monde, je regarde souvent des trucs très nuls que je ne citerai pas. J’ai une consommation de films assez lambda, j’ai Netflix quoi.
Et le fait de travailler sur une BO, ça ne t’a pas donné envie de plus travailler dans le monde du cinéma ?
En fait je n’ai pas trop affaire à ce monde-là. Je croise les acteurs et les actrices mais ça s’arrête un peu là. Je venais aussi dans les salles de montage parfois pour voir Romain, et c’est assez similaire à ce que je connais, c’est souvent un mec derrière un ordi tout seul dans une salle noire, on fait ça depuis 15 ans. De toute manière la réalité du cinéma c’est pas un truc très sexy, il n’y a que le film final qui est grandiose. Certains films sont construits dans un énorme bordel où les acteurs se barrent mais là avec Romain ça ne se passe pas comme ça, il cadre beaucoup. Il a une espèce de stature, donc à un moment tu sais qu’il faut pas trop déconner.
Concrètement, comment as-tu travaillé cette BO ?
J’avais les images du film et Romain me donnait des consignes. Ensuite j’ai proposé des trucs et en fonction de ça on a affiné. Mon travail sur ce film n’est pas évident à décrire, c’est assez discret dans le film finalement. Il y a quand même quelques morceaux qu’on pourrait ressortir de tout ça. J’ai vu Jamie quand le film a été projeté à Cannes et on en a parlé mais on ne peut rien avancer pour l’instant.
Ça serait envisageable de partir de ce qui a été fait sur cette BO et d’en tirer un projet à part entière ?
J’attends de voir mais j’aimerais vraiment sortir quelque chose, voire même aller encore plus loin en retravaillant et en prolongeant les morceaux. Ça serait drôle, mais là pour l’instant tout le monde est focalisé sur l’organisation de la sortie du film. Ensuite chacun fait ses trucs de son côté donc on a pas avancé là-dessus mais peut-être que ça viendra.
Tu as composé des musiques de film, tu as produit plusieurs albums pour d’autres artistes, alors que tu n’as pas sorti d’album depuis 2011. Tu préfères travailler pour les autres ?
Les BO, tant qu’on ne vient pas me chercher, je ne vais pas gratter aux portes pour en faire, même si c’est super intéressant et que ça me fait plaisir qu’on me propose. En revanche, travailler sur des projets pour des gens et produire des albums pour eux c’est vraiment un truc que j’aime faire.
Tu as aussi travaillé avec Quentin Dupieux sur la BO de Steak. C’est mieux de travailler avec Dupieux ou Gavras ?
C’est pas du tout les mêmes personnages. Romain est très brut de décoffrage mais dans le bon sens du terme, Dupieux c’est un mental. Avec Dupieux, il y avait quelque chose d’extrêmement « pas professionnel », et pour moi c’est un terme positif. Les morceaux, on les a fait à moitié dans une chambre d’hôtel et on a bouclé le truc en studio ensuite. Avec Oizo ça va très vite, moi je vais vite mais lui c’est pire, si c’est pas fini dans l’heure ça le fait chier, 30 minutes pour lui c’est extrême. Je l’ai déjà vu mettre pause sur son film parce que je sais pas qui lui parlait, et puis quand il est revenu sur l’écran il a dit : « bon bah en fait ça s’arrête là le film. » Il ne sait jamais trop où il va, il a juste fait pause et il s’est dit que finalement ça ferait une bonne fin. Il n’y a pas de méthode chez Quentin. Gavras, ce n’est pas non plus l’inverse mais il sait plus ce qu’il veut.
Il a été très exigeant avec toi ?
On se connait très bien donc c’est allé assez vite. Quand tu connais les gens c’est beaucoup plus facile de travailler avec eux. Après, ça peut créer des tensions mais dans ce cas c’est le côté amitié qui est impacté, pas le coté art.
Le monde est à toi, de Romain Gavras, sort le 15 août au cinéma.