Comment les VJ’s sont devenus des artistes et ont réinventé le dancefloor

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Transmissions Festival / Photos dans l'article Joanie Lemercier Nicolas Ticot
Le 14.08.2018, à 16h35
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©Transmissions Festival / Photos dans l'article Joanie Lemercier Nicolas Ticot
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Ils sont vidéastes, architectes, bidouilleurs informatiques ou programmeurs. Hier, on les appelait VJ’s. Ce sont désormais des artistes à part entière, scénographes ou sculpteurs de lumière, invités des galeries et des festivals d’arts numériques. Instantané d’une génération qui révolutionne les arts visuels dans la musique.

Par Maxence Grugier

« VJing multimédia », « performances AV », « live AV » (pour audiovisuel), installations : il existe aujourd’hui de multiples terminologies pour une foule de disciplines mutantes, innovantes et tournées vers l’avenir. L’arrivée de technologies légères et peu coûteuses (comme le LED), l’exigence du public rodé aux festivals d’arts numériques et la volonté des artistes visuels – comme des musiciens – d’évoluer avec leur temps, a poussé le VJing dans ses retranchements. Désormais, les performeurs audiovisuels doivent évoluer aussi rapidement que les technologies qu’ils manient (quand ils ne les inventent pas). Les nouvelles tendances s’enchaînant rapidement dans ce domaine, on parlera plutôt « d’instantané » de l’histoire des arts audiovisuels.

« Au départ, c’était clair : le VJ sur le dancefloor et l’artiste vidéo dans les galeries. Aujourd’hui, tout a changé. »

Y a-t-il encore un VJ dans la salle ?

Le terme VJing est presque devenu péjoratif aujourd’hui. Des activistes, se revendiquant comme tels il y a dix ans, sont revenus sur cette appellation. Surtout depuis que des collectifs et labels comme 1024 Architecture (à l’origine du Square Cube d’Etienne de Crecy) ou AntiVJ (d’où sont issus Joanie Lemercier, Yannick Jacquet et Olivier Ratsi) se sont imposés comme des références internationales dans le domaine des arts visuels – et désormais de l’art contemporain. Pour Ana Ascencio, coordinatrice artistique du festival Mapping de Genève, « les pratiques ont évolué et il ne faut pas confondre les disciplines. Le VJing, c’est mixer des images en temps réel. Au Mapping, nous utilisons moins ce terme même si, au départ, le festival est né de la scène club, et donc du VJing, puisque l’événement a été fondé en 2005 par le créateur du logiciel Modul8. Ce terme n’est pas représentatif de l’activité créative du secteur. Par exemple dans le domaine de la nouvelle scénographie, on utilise beaucoup plus les LED ou le laser, pour sortir du format de projection traditionnel. » Joanie Lemercier (ex-AntiVJ, artiste visuel), raconte son évolution : « J’ai commencé le VJing en 2004-2005. En 2007, j’ai découvert le mapping, les projections sur façade, et je me suis intéressée à cette pratique où l’écran disparaît au profit d’un contenu et d’un support original. Plutôt que de projeter des images, je me suis mise à projeter de la lumière, sur l’arrête d’un bâtiment, sur du tulle, des écrans semi-transparents ou des petites pyramides en papier. Après cela, je n’ai plus envisagé ma pratique comme du VJing sur un écran. 

Des free parties aux galeries

Au départ, c’était clair : le VJ sur le dancefloor et l’artiste vidéo dans les galeries. Aujourd’hui, tout a changé : certains VJ’s sont passés du statut de respectables bidouilleurs d’images à celui d’artistes multimédias confirmés. L’artiste visuel rejoint de plus en plus le musicien sur scène pour des collaborations raisonnées. Comment s’est opérée cette mutation et comment se vit-elle concrètement ? Dans une hybridation audiovisuelle tous azimuts mélangeant les médias. C’est ce que présente Paris Musique Club, l’exposition de la Gaîté lyrique, où l’on peut découvrir (sous la direction de Vincent Cavaroc) ce que les artistes visuels proposent en termes de « renouveau du dancefloor », d’appropriation de l’espace, de scénographies lumineuses, d’interactions entre images et sons. Un événement qui illustre la mutation des arts visuels et que l’on retrouve à l’échelle internationale dans des manifestations comme le Mapping, pionnier des festivals mettant ces pratiques à l’honneur. Ana Ascencio : « Nous nous sommes rendu compte qu’il existait beaucoup de modes d’expression distincts – qu’il s’agisse de performances audiovisuelles ou d’installations –, qui relevaient des arts numériques. Au fil des années, nous avons eu à occuper des espaces dédiés à l’art contemporain pour des expositions. Tout cela nous a incités à porter un regard plus large sur l’usage de l’image en musique. »

« Tout le monde utilisait les mêmes images. Il fallait inventer. » Dudley Smith, VJ du duo Spreads.

Le mapping pour sortir de l’ennui

L’une des premières disciplines innovantes issues du VJing se nomme le mapping. « Dans le milieu, il y a eu une lassitude quant à l’utilisation d’extraits vidéos, de pubs ou de dessins animés », détaille Dudley Smith, VJ au sein du duo Spreads (Grenoble). « Tout le monde utilisait les mêmes images. Il fallait inventer. Il y a eu des collaborations avec des architectes, des gens qui avaient d’autres idées sur la scénographie, l’occupation de l’espace. Ça a donné le mapping. » Aujourd’hui, le mapping est bien identifié par le public. Il est présent dans tous les spectacles nationaux (Fête des Lumières, Nuit Blanche, etc), mais cela n’a pas toujours été le cas. Nicolas Ticot, fondateur de XLR Project, a débuté dans les free parties, à l’époque où l’on se trimballait dans la forêt avec trois magnétoscopes VHS sous le bras. Aujourd’hui, il s’exprime partout dans le monde (Chine, Brésil, Etats-Unis, Canada), en galeries ou sur des édifices. « Je suis l’un des premiers VJ’s français. Nous sommes passés de l’analogique au numérique et les projets ont évolué en même temps que les technologies, explique-t-il. Je fais toujours du mapping, mais le processus artistique est différent. Je ne travaille plus “derrière un DJ”. Je lance des projets scénographiques avec des danseurs, peintres ou musiciens. Nous travaillons ensemble pour créer de la matière à projeter. Pour moi, le mapping, c’est s’approprier un espace, un monument, lui redonner une vie, de la mémoire, un imaginaire. » Une discipline qui, elle aussi, a évolué en suivant les envies et le rythme des technologies.

Sortir de l’écran traditionnel

Passer des soirées aux galeries, festivals et musées a permis de développer une nouvelle culture à base de rencontres et de collaborations. Architectes, graphistes, bidouilleurs informatiques, tous se croisent dans un grand bain créatif. C’est le cas de Nicolas Paolozzi (collectif RDV), architecte, passé des soirées et de l’événementiel aux expositions et à la construction d’installations : « Aujourd’hui, nous évoluons sur différents formats. Nous sortons de l’écran traditionnel pour proposer des scénographies innovantes à base de LED avec des structures monumentales et robotisées. Nous développons la dimension immersive. » Le VJ, désormais artiste et scénographe, développe des ambiances, déploie des concepts. « Il ne s’agit plus d’envoyer pendant cinq heures pour un public qui ne se concentre que sur la musique », ajoute Nicolas. Une volonté qui nécessite une formation en continu et un investissement sur les nouvelles technologies. LED, capteurs de mouvement, microcontrôleurs : les technologies audiovisuelles ont muté, ce qui oblige les artistes à s’investir dans la programmation et à bricoler eux-mêmes. « Il y a de plus en plus de programmeurs dans ce milieu, explique Pym (collectif WSK, agence Visuaal). Il y a beaucoup d’outils audiovisuels mais nous sommes nombreux à vouloir sortir du cercle des logiciels utilisés par tout le monde. D’où la nécessité de créer les nôtres. »

« Pour moi, le VJ est une personne qui mixe de la matière qu’il emprunte à d’autres pour faire vibrer des gens. »

Nouveaux artistes, nouveaux labels 

On l’a compris, l’art du VJing est actuellement un champ de recherche. Un domaine qui nécessite l’apparition de nouvelles structures, labels et agences de booking, qui se spécialisent dans la promotion d’artistes visuels explorant ces territoires innovants. Gaël Michel, président de l’agence Visuaal, brasse large : « J’envisage mon travail comme celui d’un label manager. Au sein de notre agence, nous avons AV Exciters, basé à Strasbourg, qui fait de la scénographie, du mapping vidéo en installation LED ; WSK, qui évolue un peu dans le même domaine ; Malo, qui est VJ et vidéaste, avec une tendance à la narration ; il y a aussi Mysterious Kid sur Bourges, du mapping vidéo sur des formats monumentaux. RDV est aussi sur de grosses structures mais sous formes d’installations. Cela permet de couvrir tout ce qui se fait aujourd’hui dans ce domaine, avec des artistes aux approches très différentes même quand ils évoluent dans des domaines parallèles. »



Apporter une plus-value

Pour autant, le VJ n’est pas en voie de disparition. Pour preuve, des artistes comme Malo Lacroix, VJ/vidéaste (agence Visuaal), qui présente des œuvres originales usant d’images uniques, filmées par le VJ lui-même et retransmises en temps réel, ou montées et projetées en coordination avec un artiste. Comme l’a fait Malo en novembre dernier au festival Transient (Paris) lors d’une collaboration inédite avec le Mexicain, Murcof. « Je pense que mon travail dépasse le simple VJing, affirme-t-il. Pour moi, le VJ est une personne qui mixe de la matière qu’il emprunte à d’autres pour faire vibrer des gens. De mon côté, je crée quasiment toute la matière que j’envoie. Ce que je montre est à 99 % joué live et créé par mes soins. Aujourd’hui, de plus en plus de producteurs de musique électronique s’efforcent de coller à une esthétique singulière. Ils développent un propos artistique qui nécessite une illustration visuelle particulière. Quand ça fonctionne, c’est vraiment impressionnant. Quand j’ai la chance de collaborer avec des artistes qui ont un univers particulier, j’essaie de raisonner en tant que plus-value. »

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